À la fin des années 1990, tout le monde attend le premier opus de Mos Def. Après Black Star, son projet très réussi avec Talib Kweli, et quelques maxis sortis sur le label indépendant Rawkus, l’impatience se fait sentir pour ce nouveau prodige du rap, entre l’esprit Native Tongues de De La Soul ou A Tribe Called Quest et le côté street à la Nas ou Jay-Z.
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À ces influences, il ajoute une voix singulière, très profonde et enveloppante, proche des envolées Neo-Soul de son époque comme les pratiquaient Jill Scott, Erykah Badu ou D’Angelo. Poussé par Q-Tip, Puff Daddy le voulait chez Bad Boy, et tout le monde se l’arrachait pour trouver un renouveau après le traumatisme des meurtres de Tupac et Biggie.
Les sessions d’enregistrement de ce premier album sont épiques. Diamond D et Psycho Les des Beatnuts font partie des premiers producteurs à entrer en studio et travailler avec le rappeur. Puis DJ Premier, Ayatollah, 88Keys ou Ge-ology vont envoyer leurs meilleures compositions pour le prodige du moment.
Tout est supervisé par David Kennedy, un illustre ingénieur du son qui a forgé sa légende entre New York et la Jamaïque dès les années 1980. Il a alors déjà travaillé avec Bob Marley, Run DMC, Keith Richards, LL Cool J, Brand Nubian ou encore Shabba Ranks.
David Kennedy en studio. (© Soundbetter)
En 1999, David Kennedy vient de terminer le dernier disque de A Tribe Called Quest, The Love Movement, sur lequel apparaît d’ailleurs Mos Def. Le rappeur de Brooklyn cherche un son similaire, un hip-hop teinté de jazz qui brille mais reste rugueux. David Kennedy va polir les différentes productions et les voix de Mos Def en ce sens.
Au beau milieu de toutes ces séances, Mos Def se cale une petite respiration, un morceau monté comme un bœuf de jazz, une improvisation spontanée qui sort du cadre du binôme rappeur/producteur. Il est alors en studio avec Weldon Irvine, célèbre pianiste de jazz, qui fut notamment le chef d’orchestre de Nina Simone.
Weldon est aussi connu pour avoir composé l’hymne officiel de la lutte pour les droits civiques. Et surtout Weldon est un mentor pour Mos Def, qui veut faire de son premier album un véritable manifeste sur la condition des Noirs aux États-Unis à la fin des années 1990.
“I don’t wanna write this down / I wanna tell you how I feel right now”
Weldon Irvine est donc là pour faire quelques arrangements de piano sur différents morceaux. Pendant la session, Mos Def improvise avec son ingénieur David Kennedy un morceau totalement inclassable. Weldon pose alors par-dessus un solo d’orgue Hammond versatile et inspirant.
Plus tard, un autre ami de Mos Def vient poser sur la piste une ligne mélodique au piano électrique. Il est alors touche-à-tout, très friand de studio et de collaborations incongrues mais peu connu du grand public. Il s’agit de Will.I.am des Black Eyed Peas, qui vient alors de sortir son premier disque, Behind the Front. Comme il est devenu une méga star par la suite, il est intéressant de le voir juste partager le studio avec Mos Def et Weldon Irvine autour de ce morceau totalement improvisé.
Niveau texte, Mos Def dit vraiment tout ce qu’il a sur le cœur de manière spontanée. En parlant d’Umi et Abi (“maman” et “papa” en arabe), il rend son discours encore plus universel. Alors que son album documente une prise de conscience de la communauté noire en partant de Brooklyn puis en élargissant le propos au reste du pays, sur “Umi Says” Mos Def développe une parole qui traverse toutes les frontières.
Et la musique aussi brise toutes les barrières, entre acid jazz, neo-soul et rythmique presque drum n’ bass. Le mélange des générations entre Weldon Irvine, David Kennedy, Mos Def et Will.I.am offre une nouvelle perception de ce que peut être le hip-hop. Et surtout de ce que peut définir l’artiste Mos Def pour le futur, entre Gil Scott-Heron et Rakim.
Car ce morceau un peu atypique va devenir un des plus emblématiques du rappeur : plébiscité par le public, il devient le second single de l’album puis est habillé d’un premier clip en 2000. “Umi Says” est ensuite choisi par Nike et la marque Jordan pour la campagne de promo de la Air Jordan XVI, nommée “Much Respect”, l’inscrivant pour toujours dans la pop culture.
Ainsi, ce morceau improvisé, sorte d’interlude chanté et prêche pour le futur, devient l’un des titres les plus emblématiques de l’insaisissable Mos Def et un instant classic du hip-hop à l’aube des années 2000.
Weldon Irvine nous a quittés le 9 avril 2002 après un demi-siècle d’expérimentations et de luttes incroyables. David Kennedy a continué son incroyable travail d’homme de l’ombre jusqu’à réaliser le tout dernier album de A Tribe Called Quest, We Got It from Here… Thank You 4 Your Service, sorti en 2016. Will.I.Am est devenu Will.I.Am et Mos Def a continué d’être totalement insaisissable. Et c’est bien là que réside la magie intemporelle de “Umi Says”.