De JuL à l’OM, Delphine Dénéréaz tisse la culture marseillaise sur des tapis

De JuL à l’OM, Delphine Dénéréaz tisse la culture marseillaise sur des tapis

Image :

© Delphine Dénéréaz

photo de profil

Par Pauline Allione

Publié le

Avec ses tissages, Delphine Dénéréaz rend hommage à la cité phocéenne et aux symboles d’une génération.

C’est dans un atelier collectif, en plein centre-ville de Marseille, que Delphine Dénéréaz compose ses tapis à la vue des passant·e·s, penchée sur son métier à tisser derrière une grande verrière. Diplômée de l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre à Bruxelles, cette artiste textile est depuis revenue à sa terre d’origine, dans le Sud, où elle fait se rencontrer la tradition du tissage et l’esthétique contemporaine de la culture populaire de Marseille. Résultat : des tapis colorés faits à la main sur lesquels sont tissés le logo de l’OM, des stades de foot, des chichas et des TN.

À voir aussi sur Konbini

“Le textile est un vecteur de transmission d’histoires de l’humanité et, vivant à Marseille, fatalement, il me paraissait important de raconter le folklore de la ville”, expose l’artiste. Avec une pointe d’autodérision, la Marseillaise rend hommage aux symboles d’une culture et d’une génération réputés pour être fédérateurs.

© Delphine Dénéréaz

Parmi eux, l’OM évidemment, qui rythme la ville les soirs de matchs, les Nike TN, omniprésentes sur le bitume marseillais, sans oublier JuL, originaire du 12e arrondissement et devenu le rappeur français le plus vendu. “Ça aurait pu être les cigales et la pétanque, mais ce n’est absolument pas mon quotidien”, reprend Delphine Dénéréaz.

Une technique ancestrale à la sauce street-provençale

Influencée par des artistes des États-Unis tels que Kayla Mattes, Yann Gerstberger ou encore Hannah Waldron, l’artiste marseillaise s’est peu à peu éloignée des codes académiques du textile pour croiser la technique traditionnelle aux trottoirs de la cité phocéenne. “Je me suis vraiment émancipée de cette approche très ‘arts appliqués’ grâce à des rencontres avec des artistes qui m’ont permis d’ouvrir des vannes en moi. J’ai réalisé que, moi aussi, je pouvais faire passer un message, ce n’est pas parce que j’avais une technique artisanale que je devais me limiter à créer un produit.”

© Delphine Dénéréaz

Ses créations sont aussi une manière d’ouvrir des portes et de croiser deux mondes qui n’étaient jusque-là pas amenés à se rencontrer. Même si au départ, l’artiste ne l’avait pas vraiment anticipé : “Ça émane d’abord d’envies personnelles, mais je me suis rendu compte que je touchais des gens qui n’avaient pas accès au milieu artistique et à l’artisanat, et inversement, que j’amenais un public vers autre chose à travers le textile.” Ravie d’attirer l’attention des jeunes Marseillais·e·s avec ses tapis, l’artiste en profite pour les sensibiliser au travail de la main et au recyclage, valeurs qui lui sont chères.

Donner ses lettres de noblesse au tissage

Derrière ses hommages à l’OM et aux Requins de Nike, l’artiste met en avant un savoir-faire artisanal trop souvent réduit à la sphère domestique. “Le textile a longtemps été cantonné aux femmes, ça devait rester à la maison”, retrace-t-elle. La couture et le fait main ont beau connaître un regain d’intérêt depuis la crise sanitaire, la pratique reste encore en retrait par rapport aux autres domaines artistiques.

© Delphine Dénéréaz

“On ne connaît souvent que la partie industrielle du textile, et tous ces métiers artisanaux sont longtemps restés au fond du grenier, avec la grand-mère ou les hippies des années 1970… Mais c’est important qu’on ne perde pas ce savoir-faire. Ce métier de la main est unificateur, c’est une affaire de transmission intergénérationnelle qui est à la portée de tout le monde”, pose la tisseuse.

En plus de militer pour la reconnaissance et la transmission du tissage, Delphine Dénéréaz s’inscrit dans une démarche écoresponsable, puisqu’elle travaille uniquement à partir de chutes de tissus. “En regardant une pièce, on va pouvoir détecter l’objet que c’était avant grâce à des petits indices : on peut retrouver des étiquettes, des boutons… C’est un peu tout ça qui m’habite et que je veux partager. C’est important de préserver ce savoir-faire et de ne pas aller vers des choses trop lisses et académiques”, conclut la Marseillaise.

Pas contre l’idée que l’un de ses tapis pimpe la Twingo de JuL un jour, l’artiste rêve surtout de voir ses pièces entrer dans un musée. “Grâce à des artistes femmes, depuis quelques années, le textile s’émancipe de la sphère domestique et investit les galeries d’art… Mon kif absolu, ce serait d’avoir une pièce monumentale dans une collection de musée.”

© Delphine Dénéréaz

© Delphine Dénéréaz

© Delphine Dénéréaz

© Delphine Dénéréaz

© Delphine Dénéréaz

© Delphine Dénéréaz

© Delphine Dénéréaz

En attendant d’entrer dans les musées, les œuvres de Delphine Dénéréaz sont actuellement visibles à la galerie Backside (à Marseille) dans le cadre de l’exposition collective “13.94.77”, jusqu’au 18 mars 2021 (selon les mesures gouvernementales liées à la crise sanitaire).