“Generation Wealth ne traite pas des riches, mais du désir de richesse à tout prix”, annonce la quatrième de couverture de l’épaisse monographie qui rassemble les images de Lauren Greenfield. Pendant 25 ans, la photographe a suivi les traces de ceux qui détiennent et polarisent les richesses de ce monde, aux États-Unis et par-delà ses frontières, de Dubaï à Moscou en passant par la Chine.
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C’est dans l’univers des super-riches que l’artiste nous entraîne. Pendant plus de deux décennies, elle a suivi cette infime portion de la population fortunée, rapportant des entretiens, souvent lunaires, à la première personne et des photographies de ce monde à part.
En feuilletant le livre, le lectorat est tout de suite estomaqué par l’opulence affichée à travers les pages. Une opulence d’ailleurs symbolisée par le livre lui-même. Épais, lourd, doté d’une tranche dorée et d’images clinquantes, l’ouvrage très grand format est parfaitement coordonné au sujet qu’il traite. Au fil des pages, Lauren Greenfield nous balade dans des villas de pierre et de marbre, des jets privés et autres jardins luxuriants tout en nous offrant un aperçu d’un quotidien aux apparences irréelles. Se côtoient des petites filles surmaquillées, des préadolescentes filiformes obsédées par leur poids, des jeunes gens qui dépensent sans compter et des adultes qui accumulent biens et espèces sonnantes et trébuchantes.
Les témoignages sont multiples et diversifiés. On suit aussi bien les multimillionnaires que “les familles touchées par la crise qui continuent de vouloir s’offrir des maisons luxueuses, des voitures de sport et des vêtements de marque”, des étudiant·e·s, des stars du hip-hop ou de la télé-réalité, qui peuplent les images dont nous abreuve quotidiennement la culture populaire, créant ainsi ces désirs de richesse et de reconnaissance.
La photographe semble toujours se trouver dans l’intimité de ses modèles, proches d’eux et de leurs habitudes. Les images parviennent à faire sourire, rire, étonner voire soupirer sans pour autant être empreintes de jugements de valeur. On croise aussi bien des familles dont la richesse semble être inscrite dans le code génétique que des individus faisant tout pour grimper l’échelle sociale et financière, quels que soient les moyens entrepris. Plus qu’un simple reportage anecdotique sur les riches, c’est un véritable reportage sociologique que Lauren Greenfield a entrepris.
Le mythe du tonneau percé
Dans une petite vidéo (disponible plus bas) annonçant le projet, qui se compose d’une exposition et d’un film en plus du livre, on entend les paroles de certains des modèles, affirmant adorer l’argent ou expliquer avoir constamment besoin de quelque chose. On y voit aussi la photographe, qui revient brièvement sur la genèse du projet :
“Quand la crise financière de 2008 a éclaté, je me suis rendu compte que les histoires que je racontais depuis les années 1990 sur la consommation et le matérialisme (et la façon dont cela prenait de plus en plus importance dans l’American dream) étaient toutes connectées.”
Les histoires racontées par Lauren Greenfield n’ont pas forcément de quoi faire envie, elles relatent plutôt un mythe de Sisyphe contemporain (Sisyphe était condamné à monter un énorme rocher en haut d’une colline, à l’infini) ou de tonneau percé (qu’on ne finit jamais d’alimenter mais qui ne se remplit jamais). Ce ne sont pas seulement des images cocasses représentant des gens vivant dans une réalité parallèle, mais bien un témoignage contemporain du capitalisme, de l’individualisme et de la soif d’argent, de pouvoir et de reconnaissance. Un livre sur le mal du siècle, en quelque sorte.
Generation Wealth est disponible chez la maison d’édition Phaidon.