Pourquoi les œuvres de Sophie Calle reflètent si bien le Poissons

Pourquoi les œuvres de Sophie Calle reflètent si bien le Poissons

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© Alberto Pizzoli/AFP

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Par Lise Lanot

Publié le , modifié le

Notre rubrique "Artstrology" vous fait (re)découvrir des œuvres et artistes à la lumière d’un signe astrologique.

C’est la fin de l’hiver, la fin du cycle zodiacal et voici le Poissons qui clot cette ronde des douze signes. Pour représenter ce signe d’eau, double et sensible, nous avons choisi ce mois-ci le travail de l’artiste conceptuelle française Sophie Calle.

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Un signe d’eau

Tout comme le Scorpion (que nous avions liés à la carrière d’Anish Kapoor) et le Cancer, le Poissons est un signe d’eau instinctif et sensible, connu pour sa force introspective et sa propension à naviguer, voire s’embourber, dans ses émotions.

Cela fait plus de quarante ans que Sophie Calle puise son inspiration artistique dans son intimité, de telle sorte que les frontières entre son travail et sa vie privée finissent par se brouiller. En 2007, alors qu’elle représente la France à la biennale de Venise, elle expose Prenez soin de vous, un projet né d’un mail de rupture reçu auquel elle n’a “pas su répondre”.

Prenez soin de vous, 2007. (© Sophie Calle)

Pour dompter sa peine, elle convoque 107 femmes, “choisies pour leur métier”, et leur demande d’interpréter ce courrier “sous un angle professionnel”. Photographes, écrivaines, comptables, sexologues, illustratrices, même un perroquet femelle et deux marionnettes, y passent.

Outre des noms célèbres tels que l’actrice Jeanne Moreau, la chanteuse Camille, ou l’écrivaine Mazarine Pingeot, on retrouve une chasseuse de têtes qui salue l’“admirable capacité à licencier” de l’ex-compagnon ; une médecin qui refuse la prescription d’antidépresseurs à l’artiste ; ou encore la diplomate Leïla Shahid, dont les écrits traitent de “décisions unilatérales” et de “violations de résolutions prises en amont”. Une belle façon d’exorciser sa douleur et de transformer une expérience intime en un projet collaboratif, à visée universelle.

Prenez soin de vous, 2007. (© Sophie Calle)

Un signe représenté par… les pieds et le système lymphatique

Chaque signe est associé à une ou plusieurs parties du corps, et le Poissons, dernier signe du calendrier zodiacal, a, en toute logique, récolté les extrémités de notre corps : les pieds. Le signe trouve également reflet dans le système lymphatique – qui associe le réseau de vaisseaux lymphatiques et les organes qui fabriquent, entreposent et libèrent” un certain type de globules blancs.

Cette idée de réseau correspond parfaitement au travail de Sophie Calle, qui navigue entre les sphères (publique et privée), les domaines (photo, performance, écriture, vidéo) et les projets collaboratifs. Au micro d’Augustin Trapenard sur France Inter, l’artiste confirmait ce cheminement en réseau en confiant avoir toujours “besoin d’une situation pour démarrer une œuvre”.

C’est une peine de cœur qui l’a menée à Prenez soin de vous, le décès de son chat Souris à Souris Calle, un projet musical mêlant une quarantaine de musicien·ne·s, la disparition de Bénédicte Vincens, une employée de Beaubourg, à Une jeune femme disparaît.

“Habituée à pousser des portes”, selon ses propres termes, Sophie Calle fait naviguer ses projets au gré de ses rencontres et expériences. Tout comme les globules blancs jouent un rôle important en termes de protection immunitaire du corps et de défense des attaques extérieures, on peut considérer que les projets de Sophie Calle l’aident à gérer les aléas et traumatismes de l’existence.

Un signe mutable

Sophie Calle n’hésite pas à se glisser dans la peau de nombreux personnages. À la manière d’une détective privée, elle a pris des inconnu·e·s en filature (elle s’est également fait suivre par un détective, à sa demande), elle a dansé comme strip-teaseuse dans une fête foraine, et elle s’est infiltrée dans des hôtels – pour ne citer que quelques-unes de ses multiples vies.

Cette adaptabilité, cette capacité à glisser d’un état à un autre, trouve écho dans la caractéristique mutable du Poissons. “Je fais appel à plusieurs façons d’être l’artiste que je suis”, résumait-elle sur France Inter. Parfois lunatiques, les signes mutables semblent insaisissables, voire incompris. Incompris, à l’image parfois du travail de Sophie Calle ?

On peut noter sa proposition iconographique envoyée à La vache qui rit et rejetée par la marque – elle y présentait la célèbre vache rouge “en train de se faire lécher par un taureau”, une blague pas vraiment appréciée par l’entreprise au fromage triangulaire. Précisons cependant que l’artiste a à cœur d’expliciter son processus créatif et que le développement de sa démarche fait souvent partie intégrante de ses travaux.

Un signe… dans son bocal

Bien qu’adaptable, le Poissons est aussi célèbre pour sa propension à écumer ses eaux troubles, voire à rester dans son bocal. En plus d’être introspectifs, les projets de Sophie Calle sont le plus souvent liés à des thèmes difficiles qui touchent les tréfonds de nos âmes, à l’instar de la mort, de l’absence, du manque ou du souvenir.

L’artiste elle-même admet réaliser de nombreuses performances autour du lieu, sacré et ô combien intime, de la chambre. En 1981, alors qu’elle est devenue femme de chambre dans un hôtel vénitien, elle immortalise les chambres des client·e·s et les traces de leur passage dans L’Hôtel. Lors de la Nuit Blanche 2002, elle installe une chambre au quatrième étage de la tour Eiffel et invite son public à lui raconter des histoires afin de la tenir éveillée.

Sophie Calle, le 4 octobre 2002. L’artiste avait installé une chambre au dernier étage de la tour Eiffel et invitait le public à la tenir éveillée avec des histoires. (© Bertrand Guay/AFP)

C’est aussi une histoire de chambre à coucher qui signa ses débuts d’artiste. En 1979, elle “demande à des gens de [lui] accorder quelques heures de leur sommeil” : “De venir dormir dans mon lit. De s’y laisser photographier, regarder. De répondre à quelques questions. J’ai proposé à chacun un séjour de huit heures.”

L’époux d’une des participantes est critique d’art. Intéressé par la démarche de Sophie Calle, il l’invite à la biennale des jeunes au musée d’Art moderne : “C’est lui qui a décidé de m’exposer et de faire de moi une artiste.” Traversé par un spleen autant que par un élan vital certain, le travail de Sophie Calle transforme le réel pour le rendre un peu plus digeste et place le quotidien sur la scène afin que toute chose devienne œuvre d’art, objet créatif et sensible.