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Vol d’un Banksy au Bataclan : retour sur un procès très agité

Vol d’un Banksy au Bataclan : retour sur un procès très agité

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© Giovanni Grezzi, Greg Ozan, Jacques-Alexandre Brun/AFPTV/AFP

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Par Konbini arts

Publié le

Infidélité, menaces, volonté de vengeance : les deux jours de procès se sont déroulés sous haute tension.

Lors du procès à Paris, qui s’est tenu sur deux jours, trois hommes, dont deux anciens amis brouillés, ont reconnu le vol en 2019 d’une porte du Bataclan ornée d’une peinture de Banksy en hommage aux victimes du 13-Novembre. Un Italien et sept Français sont impliqués dans cette affaire.

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Au premier jour du procès, le tribunal a interrogé les trois trentenaires qui ont reconnu avoir subtilisé la porte, le 26 janvier 2019, peu après 4 heures du matin. “Oui”, confirment-ils d’une voix basse à la présidente. Danis Gerizier et Kévin Gadouche ont “ouvert” la porte au pied de biche puis l’ont “portée”, Franck Aubert a “utilisé une meuleuse” reliée à un groupe électrogène dans le fourgon pour “découper les gonds”.

La version de Danis Gerizier, seul prévenu dans le box, est à peu près consensuelle. On lui a proposé de participer à l’opération “un mois avant les faits” et, après avoir hésité, il a “dit oui”. “On est venu me chercher, le 25 janvier au soir, tout était prêt.” En revanche, Kevin Gadouche et Franck Aubert, debout côte à côte à la barre, ne sont d’accord sur quasiment rien. Amis “depuis très longtemps”, les deux hommes aux casiers judiciaires chargés ont “coupé les ponts” depuis les faits. Entre eux, la tension est forte.

“Il ment”

Selon Franck Aubert, c’est son coprévenu qui a eu l’idée du vol et c’est lui qui a “tout préparé”. Il reconnaît être allé voir le pochoir par curiosité à l’occasion d’une manifestation des “gilets jaunes” mais réfute tout “repérage”. Plus encore, il affirme qu’il ne voulait pas participer et “espérait que ça avorte”. Travaillant de “6 h 30 à 20 heures”, avec une “famille à s’occuper”, il ne voulait pas “faire de conneries”. S’il s’est résigné, c’est “par peur”, après s’être fait “tirer dessus” au “Colt 45” par son ancien ami, assure-t-il.

“Ce monsieur, il ment”, s’énerve Kévin Gadouche. Ils ont eu l’idée “ensemble” et c’est son coprévenu qui s’est chargé d’acheter et de préparer le camion, jure-t-il. “Vous avez de l’expérience : vous avez déjà entendu ça, quelqu’un qui menace quelqu’un d’autre pour aller voler quelque chose ?”, lance ce barbu aux cheveux longs retenus en chignon.

À son tour, il réfute un autre “repérage”, cette fois en novembre 2018, lors d’un trajet à Paris avec son ami Mehdi Meftah qui allait chercher une Ferrari. Son téléphone a borné près du Bataclan ? Il est juste passé en voiture, affirme-t-il. Mehdi Meftah fait lui aussi partie des prévenus et sera entendu au second jour du procès.

Un vol crapuleux sans avoir pensé au “symbole”

Infidélité, menaces, volonté de vengeance : les tensions entre les prévenus et leurs compagnes, tou·te·s placé·e·s sur écoute, ont mis les forces de l’ordre sur la piste du lieu où était cachée la porte. Acheminée en Isère, puis dans le Var, elle a ensuite été emmenée à Tortoreto puis dans une ferme de Sant’Omero en Italie, où elle a été retrouvée le 10 juin 2020. Aucune tentative de revente n’avait eu lieu et personne n’avait touché d’argent.

“Ce n’est pas n’importe quelle porte, n’importe quelle œuvre”, souligne la présidente du tribunal. “Le Bataclan, c’est un traumatisme pour la France, le symbole est très important. Comment vous vous retrouvez à voler cette porte ?” “L’argent”, répond d’une voix étouffée Kévin Gadouche. “Les Banksy, c’est hors de prix…”

“Vous vous êtes dit : l’argent. Et le symbole des victimes de terrorisme ?”, poursuit la magistrate. “J’ai pas pensé.” Son coprévenu dit regretter lui aussi. “Je ne savais pas ce qu’elle représentait en fait […], je ne pensais pas que ça allait avoir autant d’impact.” “Je sais que c’est un très grand manque de respect, c’est sûr”, confesse le troisième prévenu, “mais je n’ai pas réfléchi tout de suite”.

Deuxième jour de procès : le cas de Mehdi Meftah

Il l’assure, il a été mis “devant le fait accompli”. Au procès à Paris du vol d’un Banksy au Bataclan, un des huit prévenus s’est défendu d’avoir “commandé” l’œuvre en affirmant avoir organisé son transport par amitié et dans la “précipitation”.

Mehdi Meftah, chez qui la porte a été acheminée le jour même dans le Var, est jugé à leurs côtés. Ce père de famille de 41 ans, qui a gagné 5,5 millions d’euros au loto et avait lancé avant cette affaire la marque de t-shirt de luxe BL1.D, dit avoir “commis une erreur” et “regretter d’avoir participé à tout ça”.

Le jour des faits, “je me retrouve devant le fait accompli”, jure-t-il à la barre, crâne rasé, veste bleue et pantalon beige. Face aux deux hommes qui lui présentent l’œuvre, il raconte s’être exclamé : “Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ?” “Et Jo me dit : ‘Je te préviens, je remonte pas avec’, poursuit-il. “Je fais quoi, j’appelle la police ? Jo, c’est mon ami, à la mort je vais avec lui”, ajoute-t-il, expliquant avoir accepté que la porte soit stockée dans son box.

L’un des membres du trio – ayant reconnu le vol au premier jour du procès – a pourtant déclaré qu’on lui avait parlé d’une “commande” de Mehdi Meftah, qui aurait pu revendre la porte aux États-Unis. “Eux, ce qu’ils ont fantasmé sur moi ou ce qu’ils se sont monté comme film, c’est pas à moi qu’il faut poser la question”, réplique-t-il.

Pour lui, celui qui a dit cela a voulu “trouver une échappatoire”. “J’attends ce moment pour pouvoir m’exprimer depuis deux ans [il a été interpellé en 2020, ndlr]. À chaque fois que j’ai essayé de dire quelque chose, on ne m’a pas entendu !” s’emporte-t-il aussi, se décrivant comme le “faire-valoir de cette histoire”.

“Je demande pardon aux victimes de la France”

Amateur de street art, Mehdi Meftah a un temps possédé une sérigraphie de Banksy, souligne la présidente du tribunal, qui l’interroge sur son intérêt pour l’artiste. “J’ai grandi dans la rue” et le street art, “si c’est devenu le nouveau truc à la mode”, “nous, on a vécu avec ça”, répond-il en assurant connaître l’artiste depuis longtemps.

Après ses gains au loto, “je vois qu’il a une cote, son message est intéressant. J’ai les moyens, je peux me payer un Banksy”. Il assure cependant avoir depuis déchanté par rapport au “double discours” de l’artiste. La porte a été évaluée entre 500 000 et un million d’euros pendant l’instruction par la directrice du Bataclan, relève la présidente. “Les quelques experts qui se sont exprimés ont dit : invendable”, réagit notamment le prévenu.

Au fil des questions du tribunal, il poursuit. “48 heures” après avoir réceptionné la porte, “je me rends compte de ma connerie”. “Je la prends, je la mets dans mon camion, je la fais partir. J’éloigne le problème.” Recouverte de sable, l’œuvre a été conduite dans un hôtel de Tortoreto, dans les Abruzzes italiennes, par son cousin et l’un de ses amis – qu’il dit regretter d’avoir “impliqué” dans “la précipitation”.

Ces derniers sont comme lui jugés pour “recel de vol aggravé”. À la barre, ils affirment n’avoir appris qu’après le trajet la réelle nature de l’œuvre. Le propriétaire de l’hôtel, un Italien de 58 ans, est lui aussi poursuivi. Via une interprète, il déclare avoir voulu faire des travaux et avoir alors transporté le “panneau” dans le grenier d’une ferme à une quinzaine de kilomètres, à Sant’Omero.

C’est seulement là que le propriétaire de l’hôtel assure avoir vu le “dessin”. Mais il soutient ne pas avoir fait le lien avec le Bataclan avant l’intervention des carabiniers italiens venus saisir la porte, le 10 juin 2020. “Je me sens très, très mal et je demande pardon aux victimes et à la France.”

Konbini arts avec AFP.