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Comment High Maintenance donne de la profondeur à la banalité du quotidien

Comment High Maintenance donne de la profondeur à la banalité du quotidien

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©HBO

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Par Jennifer Padjemi

Publié le

Diffusée sur HBO et disponible sur OCS, la série fait partie de celles qui dépeignent le mieux notre époque.

Des séries qui se déroulent à New York, il y en a plein. Des séries qui se déroulent à New York et qui arrivent à illustrer parfaitement le quotidien doux-amer des habitants de la ville qui ne dort jamais, il y en a peu. High Maintenance fait partie de cette deuxième catégorie. Depuis quatre ans, cette série anthologique n’a de cesse d’évoluer pour devenir la meilleure représentation d’elle-même.

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Pourtant, la trame de départ, aussi originale soit-elle, n’avait rien de vraiment exceptionnel : un vendeur de cannabis dont on ne sait pas grand-chose, surnommé “The Guy”, déambule à vélo dans les rues de New York, au gré des commandes que lui passent ses clients. Très vite, on s’aperçoit que le cannabis n’est que le liant d’histoires plus profondes, qui permettent de dresser le portrait réaliste des personnes qui font la ville.

Humans of New York

Créée par Ben Sinclair, qui joue ce vendeur de cannabis himself et son ex-femme Katja Blichfeld, High Maintenance était d’abord une websérie, avant de séduire HBO et d’être diffusée sur la chaîne câblée à partir de 2016. Si le show semble si réaliste, c’est parce qu’il l’est, tout simplement. La série aurait d’ailleurs pu s’intituler Humans of New York, comme le projet photographique à succès qui dresse le portrait les habitants de la ville, avec des histoires rocambolesques et émouvantes à raconter.

C’était l’un des objectifs des créateurs de la série, qui sont partis d’histoires de la vraie vie”, les mêlant aux histoires qu’ils désiraient voir à l’écran. On a commencé avec deux fins opposées et l’idée était de remplir le reste avec les détails et les petites iniquités qu’on ressent tous les jours en tant que New-Yorkais”, avançait Ben Sinclair dans une interview donnée au Elle américain en 2014. Katja Blichfeld ajoutait que les personnages étaient directement inspirés” de personnes qu’ils connaissent : “Nous partons du monde qui nous entoure, puis nous arrangeons le tout avec les petits éléments de notre univers pour créer de nouveaux personnages et de nouvelles intrigues.” S’il est question de cannabis, puisqu’il rassemble et peut être le dénominateur commun de personnes qui n’ont absolument rien à voir entre elles, il s’agit en réalité plus d’une affaire d’histoires individuelles et de souffrance commune.

Au fil des épisodes et des saisons, High Maintenance s’est muée en série extrêmement intelligente et touchante, arrivant à évoquer les maux de notre société, avec toute la subtilité et l’humour nécessaires. On se souvient alors de ce premier épisode remarquable de la saison 2, qui se déroule le jour des résultats de l’élection américaine, où Trump est élu président. Sans jamais le nommer, on comprend la dévastation de ces jeunes et moins jeunes, qui comprennent que plus rien ne sera jamais comme avant.

Ou encore ces deux premiers épisodes de la saison 4, commencée le 7 février dernier, qui mettent respectivement en scène les coulisses du podcast à succès “This American Life” présenté par Ira Glass et le quotidien d’une coordinatrice d’intimité. Dans le premier, on réalise à quel point ce podcast et plus largement le format du podcast narratif, reflète parfaitement ce que la série arrive à faire, à savoir raconter la vie ordinaire de personnes extraordinaires, et vice-versa. Dans le deuxième, on en découvre plus sur ce métier, qui a pris de l’ampleur ces dernières années dans une ère post-Me Too. Une coordinatrice d’intimité est d’ailleurs présente sur le tournage de la série depuis un an.

Des histoires qui comptent

Dans High Maintenance, un épisode peut comprendre deux ou trois histoires qui s’entremêlent et qui ne sont jamais le fruit du hasard. Ici, personne ne se ressemble, personne n’a le même âge. Les personnages peuvent jongler entre plusieurs boulots ou avoir plusieurs partenaires. Être extrêmement riche ou l’exact opposé. Faire la fête ou souffrir en silence. Ils peuvent aussi pointer du doigt des problématiques sociétales. On rit beaucoup, on pleure aussi. Sous ses airs de série “hipster” qui donnerait (presque) envie d’habiter à New York, on a surtout affaire à un genre cinématographique qui a gagné du terrain sur les chaînes de télé dans les années 2010 : les codes du mouvement mumblecore des films indépendants, né dans les années 2000, empruntés et adaptés pour la fiction télévisée.

Le mumblecore (to mumble = marmonner) peut être défini par un “hyper réalisme”, parfois improvisé, dans les dialogues, l’acting et la réalisation qui facilitent l’identification et permettent d’évoquer des sujets très actuels, qui touchent notamment une génération plus jeune (18-34 ans), mais pas uniquement. Girls, Broad City, Easy, Insecure, Master of None, Looking ou Togetherness, parmi d’autres, ont toutes fait le pari de s’intéresser à ces vies, où il n’y a pas l’air de se passer grand-chose, mais qui arrivent en réalité à en dire bien plus que ce qu’on pensait déjà savoir.

Ce format permet finalement d’être le plus inclusif possible, en racontant la vie de ces personnes qu’on peut croiser tous les jours, sans savoir ce qu’ils font, de quel milieu ils viennent et ce qui les anime au quotidien. Ce style de narration et de réalisation a toujours reflété un univers originellement très blanc, mais a su trouver d’autres tonalités notamment à travers des séries comme Broad City, Master of None, Insecure, Atlanta, et aujourd’hui High Maintenance. Dans ces séries, la banalité du quotidien trouve un écho puissant dans des problématiques raciales, sexuelles ou féministes, qui sont tout sauf banales. Ces intrigues permettent ainsi de mettre en avant des récits qui n’avaient jamais eu droit jusque-là à ce qu’on prenne le temps de les illustrer sans avoir l’impression de cocher des cases. Dans ce registre, High Maintenance fait parfaitement le job.