Enquête : pourquoi LA mesure du gouvernement sur la santé mentale est un énorme échec

Enquête : pourquoi LA mesure du gouvernement sur la santé mentale est un énorme échec

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Par Konbini news

Publié le , modifié le

Le dispositif MonParcoursPsy n’est pas du tout "une petite révolution pour la santé mentale" (contrairement à ce que disait Olivier Véran).

Engagé·e·s : enquêtes, pédagogie, témoignages, Konbini se mobilise pour combattre les préjugés qui accompagnent les troubles psy et lutter contre le manque d’accès aux soins, particulièrement auprès des jeunes.

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Pourquoi enquêter sur ce dispositif ?

Depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, la santé mentale des Français·es, et tout particulièrement des jeunes, est préoccupante. Les professionnel·le·s de la santé mentale ne cessent d’alerter les pouvoirs publics sur le caractère urgent de la situation et sur le manque de moyens pour une prise en charge adaptée.

En réaction, Olivier Véran, alors ministre des Solidarités et de la Santé, présente en avril 2022 MonParcoursPsy qu’il décrit comme une petite révolution pour la santé mentale de nos compatriotes.

Un an après son lancement, on a voulu enquêter sur l’efficacité de ce dispositif et ses applications concrètes.

Disponibilité réelle des psychologues du dispositif
Strasbourg
Bordeaux
Ajaccio
Lille
Lyon
Marseille
Nantes
Paris
Rennes
Rouen
Dijon
Toulouse
Orléans
La réunion
Guadeloupe
Martinique
Mayotte
Guyane
40.00% des inscrits proposent un RDV
33.33% des inscrits proposent un RDV
66.67% des inscrits proposent un RDV
30.00% des inscrits proposent un RDV
5.88% des inscrits proposent un RDV
72.00% des inscrits proposent un RDV
25.00% des inscrits proposent un RDV
40.00% des inscrits proposent un RDV
39.29% des inscrits proposent un RDV
0.00% des inscrits proposent un RDV
42.86% des inscrits proposent un RDV
58.67% des inscrits proposent un RDV
71.43% des inscrits proposent un RDV
52.94% des inscrits proposent un RDV
85.71% des inscrits proposent un RDV
33.33% des inscrits proposent un RDV
00.00% des inscrits proposent un RDV
00.00% des inscrits proposent un RDV

C’est quoi ?

MonParcoursPsy permet de bénéficier de huit séances par an chez un·e psychologue. Les séances sont remboursées par l’assurance maladie et la mutuelle ou la complémentaire. Le dispositif s’adresse aux personnes dès l’âge de 3 ans (enfants, adolescent·e·s et adultes) en souffrance psychique d’intensité légère à modérée.

Il faut prendre rendez-vous avec un médecin pour lui demander un courrier d’adressage. Ensuite, il faut prendre rendez-vous avec un·e psychologue partenaire pour convenir de la première séance d’évaluation qui doit se faire en présentiel et coûte 40 euros. Les sept séances suivantes peuvent se faire en visio ou en présentiel et coûtent 30 euros chacune.

La·le patient·e avance les frais, sauf si iel relève du tiers payant, et doit ensuite envoyer à l’assurance maladie et à sa mutuelle le courrier d’adressage et les feuilles de soins. L’assurance maladie la·le remboursera à hauteur de 60 % et la mutuelle ou la complémentaire à hauteur de 40 %.

Et du côté des psys ?

Au total, le dispositif regroupe 2 280 psychologues partenaires (selon les chiffres d’avril 2023), dont 30 psychologues en Outre-mer. Le gouvernement met en avant certains points positifs pour les psys partenaires : engagement social, acte préventif, meilleure visibilité, quotité de travail choisie.

Sur base du volontariat, la·le psy doit candidater, le dossier est analysé (iel doit être inscrit·e au registre Adeli des psys, avoir un parcours consolidé en psychologie clinique et au moins trois ans d’expérience clinique), puis iel signe la convention. Iel est ensuite référencé·e sur l’annuaire et peut commencer ses premières consultations.

Des séances de trente minutes ?

On a beaucoup lu que la durée des séances remboursées était limitée à trente minutes. Et c’est aussi ce que la plupart des psys contacté·e·s nous ont affirmé. Or, après vérification auprès de la Direction de la sécurité sociale (DSS), “chaque professionnel demeure libre de fixer la durée de ses rendez-vous en fonction de sa pratique professionnelle”.

Elle nous a bien confirmé que “la durée des séances est adaptée à chaque patient. L’entretien d’évaluation a une durée indicative de 45 à 55 minutes. Pour les séances de suivi, la durée indicative est d’environ 30 à 40 minutes. Il s’agit de durées moyennes observées dans le dispositif expérimenté par l’assurance maladie entre 2018 et 2022. Elles tiennent compte de la pratique effective. Cependant, ces durées ne sont que des moyennes indicatives et peuvent varier en fonction des situations”.

Quel budget ?

Le budget prévisionnel initialement alloué pour le dispositif a été annoncé à hauteur de 50 millions d’euros pour 2022. En réalité, les 520 000 séances réalisées depuis le lancement du dispositif n’ont pour l’instant coûté que 10,6 millions d’euros.

Notre méthodologie

Pour avoir une vision globale, on a choisi d’analyser les chiffres des treize capitales de région françaises et des Outre-mer (Paris, Bordeaux, Marseille, Lyon, Toulouse, Nantes, Strasbourg, Lille, Rennes, Dijon, Orléans, Rouen, Ajaccio, La Réunion, Guadeloupe, Martinique, Mayotte, Guyane).

Pour chaque ville, on a appelé tous·tes les psychologues référencé·e·s sur l’annuaire MonParcoursPsy pour prendre rendez-vous. On a ensuite indiqué pour chaque psy appelé·e si iel nous proposait un rendez-vous rapide (dans les deux semaines), un rendez-vous moyen (entre deux semaines et un mois), un rendez-vous long (plus d’un mois) ou si la·le psy n’avait pas de disponibilité ou ne répondait pas. On a choisi d’effectuer une relance quelques jours plus tard, et si on n’avait toujours pas de réponse, on a considéré que la·le psy était injoignable.

Résultats et chiffres clés

Des psys inscrit·e·s mais peu de rendez-vous

Ce travail d’enquête nous a permis d’obtenir plusieurs informations : déjà, le nombre de psys réellement disponibles parmi celleux inscrit·e·s sur le dispositif de ces treize capitales de région + les DROM. Il y a donc 48 % des psys référencé·e·s dans l’annuaire de ces villes qui nous ont vraiment proposé un rendez-vous (quel que soit le délai), soit plus d’un·e psy sur deux qui n’avait pas de disponibilité ou est resté·e injoignable.

Ces chiffres nous ont également permis de comparer les différences d’accès au soin selon les villes. Rouen fait figure de mauvais élève par exemple, aucun·e des cinq psys inscrit·e·s dans l’annuaire n’ayant proposé de rendez-vous (quatre n’avaient plus de place et un·e est resté·e injoignable). Pareil pour Lyon : parmi ses 17 psys référencé·e·s, un·e seul·e nous a proposé un rendez-vous (et dans plus d’un mois). À l’inverse, Marseille fait partie des mieux lotis : sur les 75 psys référencé·e·s, 54 nous ont proposé un rendez-vous, soit 72 % des psys participant au dispositif.

Les chiffres deviennent encore plus parlants si on rapporte le nombre de psys qui proposent un rendez-vous au nombre d’habitant·e·s. Lyon, avec ses 17 psys pour 522 969 habitants, compte en théorie 1 psy pour 30 763 habitant·e·s. Mais si on rapporte cela au nombre de psys réellement disponibles pour le nombre d’habitant·e·s, on tombe à 1 psy pour 522 969 habitant·e·s.

De son côté, Toulouse est mieux doté : 75 psys pour 493 465 habitant·e·s, soit 1 psy pour 6 580 habitant·e·s. Et avec 59 % des psys référencé·e·s de disponibles, on arrive à 1 psy qui propose réellement un rendez-vous pour 11 215 habitant·e·s.

Le cas des Outre-mer

Pour les territoires d’Outre-mer, on a choisi de vérifier les disponibilités des psys pour tout le territoire et non pour une seule ville. Si, en Guadeloupe, sur les sept psys inscrit·e·s, six nous ont proposé un rendez-vous, c’est plus compliqué à Mayotte (un·e seul·e psy, resté·e injoignable) ou en Guyane (deux psys, dont aucun·e n’avait de disponibilité).

Les dérives

En théorie, les psys ne peuvent pas demander de dépassement d’honoraires. Mais en pratique, plusieurs semblent s’arranger avec la loi. On a eu trois psys qui demandaient des tarifs plus élevés : un·e nous faisait payer 60 euros au lieu de 30 euros, arguant que “tout le monde pouvait bien payer 30 euros de sa poche” ; un·e autre nous demandait son tarif “normal” de 75 euros en nous expliquant que nous serions quand même bien remboursé·e·s de 40 euros la première séance puis 30 euros sur les séances suivantes ; et un·e autre nous indiquait un dépassement de 10 euros par séance.

Dans les règles de facturation, il est bien précisé qu’aucun dépassement n’est possible et que le non-respect des tarifs opposables entraînerait des sanctions. Selon la DSS, la·le psychologue peut être déconventionné·e et ne plus participer au dispositif MonParcoursPsy.

Par ailleurs, quatre psys nous ont proposé quatre séances d’une heure au lieu de huit séances de trente minutes. La DSS nous a confirmé que cette pratique n’était pas correcte car les différentes séances doivent “être réalisées séquentiellement, c’est-à-dire, pour un patient, chacune à une date distincte de la précédente”.

Les critiques de la profession

Le dispositif MonParcoursPsy mis en place par le gouvernement est loin de faire l’unanimité. Selon Florent Simon, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP), et Camille Mohoric-Faedi, psychologue et cofondatrice du #manifestepsy, 93 % des psychologues libéraux le boycottent.

Le fait de devoir passer par son médecin traitant pour obtenir un courrier d’adressage est contesté. “Vous n’avez pas forcément le souhait d’aller parler de votre intimité psychique à votre médecin, notamment votre médecin traitant qui, peut-être, connaît votre famille”, précise Camille Mohoric-Faedi.

Aussi, selon la psychologue, la·le patient·e n’a plus le libre choix du·de la professionnel·le puisque iel ne peut consulter que celleux qui font partie du dispositif.

Le nombre de séances, limité à huit, est également contesté : “Après huit séances, on est au tout début de la prise en charge.”

De plus, les psychologues décrient le critère de l’intensité des troubles “d’intensité légère à modérée”. Selon elleux, ce critère d’intensité des troubles et des symptômes n’est pas du tout adapté à la réalité du terrain.

Enfin, le budget de 50 millions d’euros alloué au dispositif aurait pu être “injecté dans des structures de soins psychiques. Cela aurait permis de développer 200 postes de psychologues de façon pérenne sur dix ans”, selon Camille Mohoric-Faedi. Elle explique que cela aurait pu permettre de réduire les listes d’attente dans les structures publiques, les Centres médico-psychologiques, qui proposent déjà des séances chez un·e psychologue remboursées à 100 % mais qui ont des listes d’attente très longues, parfois jusqu’à trois ans.

Bilan

Au 31 mars 2023, les chiffres font état de 119 099 patient·e·s pris·es en charge dans le cadre de MonParcoursPsy depuis le 5 avril 2022 (date d’ouverture du dispositif) pour 520 000 consultations (source : DSS), soit quatre séances en moyenne par patient·e.

Peu de psys inscrit·e·s au dispositif, difficultés pour obtenir un rendez-vous, de grosses disparités géographiques et de nombreuses critiques de la profession : on semble finalement bien loin de la “petite révolution pour la santé mentale” annoncée par Olivier Véran.