Il y a onze ans sortait Lunatic, l’album avec lequel Booba s’est envolé pour briller

Il y a onze ans sortait Lunatic, l’album avec lequel Booba s’est envolé pour briller

photo de profil

Par Guillaume Narduzzi

Publié le

Le cinquième album de Kopp fête son onzième anniversaire. Retour sur un disque qui a marqué l’envol du Duc de Boulogne vers Miami.

Avec 0.9 paru en 2008, Booba a révolutionné le rap français. En introduisant l’auto-tune sur le territoire hexagonal, il a renforcé un peu plus son statut de précurseur et d’avant-gardiste. Seulement voilà, l’album, aussi important soit-il, a connu un accueil plutôt mitigé de la part du public (son plus petit score en termes de ventes d’album) et de la critique, et il doit désormais partager le fameux trône avec d’autres concurrents au top de leur forme, Rohff et La Fouine en tête, qui ont marqué les esprits avec respectivement Le Code de l’horreur et Mes repères. Et ce même s’il est “débarrassé de Diam’s et Sinik” (mais pas de Matt Pokora, il est tenace celui-là).

À voir aussi sur Konbini

D’autant plus qu’entre-temps, le pirate du rap français a dévoilé sa mixtape Autopsie Vol. 3. durant l’été 2009, qui lui a permis de redresser la barre de son bateau (s’emparant alors au passage du record de mixtapes écoulées en France) en pleine galère, sans pour autant retrouver les standards qui étaient les siens. L’épisode Urban Peace a laissé des traces. Autoproclamé numéro un du rap tricolore, B2O se doit de rebondir pour affirmer sa position et atteindre son objectif ultime : être le plus grand rappeur français de tous les temps.

Oublier l’échec commercial de 0.9

Ce retour, c’est aux États-Unis que Booba va l’orchestrer. Lassé du climat social et de l’État français – comme le laissent présager de nombreuses phrases disséminées dans Lunatic –, il prend définitivement ses distances avec la France et s’installe à Miami, après quelques années d’allers-retours entre Paris et la mégapole floridienne, pour finalement ne plus jamais la quitter. Dès son annonce, Lunatic a donc tout pour devenir un grand album de Booba.

Après plus d’un an et demi d’absence et alors que le rap français est en pleine ébullition, le Duc de Boulogne revient le 22 novembre avec son cinquième album solo. Une référence évidente à son duo légendaire des débuts avec Ali, comme pour définitivement tourner cette page et entamer un nouveau chapitre de sa carrière : celui de superstar non pas du rap français, mais bien de la musique française.

Pour cela, B2O s’inspire pleinement des States et va aller encore plus loin qu’avec son précédent effort, en concoctant un album qui est peut-être bien le plus inspiré par ses confrères américains – tant dans la musique que dans l’image. Le rappeur du 92 délaisse progressivement l’esthétique street pour embrasser celle, bien plus clinquante, des stars américaines, comme pour mieux mettre en avant son évolution sociale.

Dans “Saddam Hauts-de-Seine”, il rappelle presque le 50 Cent sur la cover de Get Rich or Die Tryin’. Dans “Abracadabra”, il se réapproprie totalement la culture club du pays de l’Oncle Sam. Il ne narre plus la rue, il raconte sa réussite et met en scène sa nouvelle vie. Booba “a fait la guerre pour habiter rue de la Paix”, et assume sa mutation.

En cela, Lunatic représente la vraie transition de l’artiste vers les States. De plus, cette volonté de s’ancrer dans une forme de culture américaine se ressent dans la tracklist du projet. Si Akon, présent sur le titre éponyme, est alors presque un habitué, voire carrément un collaborateur de longue date de Booba avec ses apparitions sur le classique Ouest Side (“Gun in My Hand”) et 0.9 (“Izi Life” avec le 92i), on découvre aussi des connexions inédites avec d’autres rappeurs américains.

Un album de rap américain

À commencer par l’association avec le poids lourd et figure historique Diddy sur “Caesar Palace”. Même s’il s’agit plutôt d’un faux featuring puisque le rappeur américain ne fait qu’une modeste introduction sur la piste, le titre va servir de premier single et lancer la campagne de ce nouvel album événement. Surtout que le morceau fait parler de lui, avec le fameux “Fuck you, fuck la France, fuck Domenech” en guise de premier vers du premier couplet, qui n’aura pas manqué d’agiter pendant quelques jours les députés UMP.

Sur “Réel”, il convie T-Pain pour un son entre pionniers de l’auto-tune dans leurs pays respectifs – même si l’Américain ne s’est pas vraiment foulé puisqu’il se contente de pimper le refrain de l’hymne de la Coupe du monde 2010. Autant dire que c’est plutôt l’initiative qui se révèle intéressante, tant Booba s’est fait douiller par les deux artistes cités ci-dessus. Heureusement, Ryan Leslie, véritable hitmaker reconnu aux States, s’implique davantage dans “Fast Life”, tandis qu’à cette époque une collaboration avec Akon est encore synonyme de tube.

Mais c’est surtout avec “Ma couleur” que Booba réussit un premier tour de force. Le titre passe en boucle sur Skyrock, est le premier de plusieurs deals d’exclusivité sur les singles, et ce même après les embrouilles historiques avec la radio. Une stratégie étonnante puisque celui qui est devenu la nouvelle égérie de Puma tacle la radio à plusieurs reprises sur le disque et refuse catégoriquement de passer dans ce qui est toujours un incontournable : l’émission Planète rap de Fred Musa.

Dans le clip “Abracadabra”, il se moque d’ailleurs ouvertement de ce même Fred, qui, on s’en doute, n’a dû apprécier qu’à moitié. C’est également à ce moment-là que Booba se déploie sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête, pour assurer son auto-promotion, lui qui se fait alors relativement discret dans les médias.

Qu’importe, avec “Ma couleur”, B20 se lance sur un terrain qu’il n’a que peu exploré jusqu’alors, celui des morceaux thématiques, en y évoquant longuement le racisme. Cela va d’ailleurs être une caractéristique récurrente de cet album dense, de dix-neuf titres pour 1 h 16 d’écoute, ponctué de quelques morceaux entièrement dédiés à des idées qui imprègnent le texte du début à la fin. Une démarche quasiment inédite dans la carrière du Duc de Boulogne.

Lunatic, enregistré en grande partie à Miami, a été majoritairement produit par le collectif Therapy Music avec Mehdi Mechdal et Valery Alexandre Yim (aka 2093 et 2031) en têtes d’affiche. De quoi renforcer cette association vertueuse, puisque les producteurs sont encore plus présents que sur 0.9. Sur “Jour de paye”, les deux musiciens samplent “Izi monnaie”, un titre de… Booba paru sur l’album précédent. Preuve d’un héritage déjà colossal alors que B2O n’en est qu’à la moitié de sa carrière.

Faille dans la carapace

Mais le véritable chef-d’œuvre de Lunatic est probablement l’émouvant “Comme une étoile”. Booba y affiche une sensibilité rare et le morceau devient l’emblème de l’album. Le titre va même prendre une tout autre résonance – “la vie n’est qu’une escale”, chante-t-il notamment – avec la disparition en 2011 de Bram’s (aka “Brazza”), tiers de la Malekal Morte et ami très proche de Kopp, que l’on peut notamment entendre sur la dixième piste de l’album, “Si tu savais”.

Le support visuel de “Comme une étoile” lui sera même dédié quelques jours seulement après l’annonce de sa mort. Un deuil qui va apporter de l’émotion dans l’œuvre alors brutale et aseptisée de sentiments de Booba. On peut d’ailleurs noter que B20 ne cessera de saluer sa mémoire par la suite, et encore aujourd’hui avec la branche 7 Corp de son label 92i, dédiée à la musique urbaine et nommée ainsi en l’honneur du défunt.

Même avant cette funeste nouvelle, Lunatic marque un tournant dans la carrière de Booba, avec des morceaux bien plus ouverts et accessibles qui cohabitent avec ceux plus conventionnels et hardcore. On retrouve également cette sensibilité sur “Paradis”, l’une des plus belles réussites commerciales de l’album, sur lequel il démontre ses talents de philosophe (“Taffer de 9 à 5, pour moi c’est pas la vie” / “Vivre à en crever, rire à en devenir triste”). Toujours avec parcimonie toutefois, puisque le principal fonds de commerce du Duc de Boulogne reste une bonne dose de testostérone saupoudrée de poésie : “Si ça fait mal, que tu cries, que tu jouis, c’est que j’suis dans ta chatte”, sur le monstrueux et pas super politiquement correct “Jour de paye”, à titre d’exemple.

Des clips clinquants

Malgré la dimension très américaine du projet, Booba n’en oublie pas la France pour autant. Ainsi, il fait connaître Dosseh au grand public avec “45 Scientific” et lance véritablement sa carrière. Il renouvelle aussi sa confiance au membre du 92i, Djé, déjà présent sur le dernier effort de Booba. À l’image de Dosseh, les observateurs les plus aguerris pourront également apercevoir une autre tête d’affiche du rap français des années 2010 dans les différents clips du projet : un certain Kaaris. Et regarder en 2020 ces séquences où l’on peut apercevoir le Dozo portant du Ünkut, ça n’a pas de prix.

Plus sérieusement, tous les clips sont réalisés par Chris Macari, référence ultime en la matière. Booba et son équipe y mettent d’ailleurs les moyens, avec pas moins de sept clips étalés sur plusieurs mois pour promouvoir Lunatic. Des tournages qui lui permettent de rendre hommage à ses racines sénégalaises et de promouvoir massivement sa marque de prêt-à-porter. En plus des réseaux sociaux – le début d’une grande histoire d’amour –, le rappeur de Boulogne a compris l’attrait des jeunes pour YouTube et se déploie fortement sur la plateforme vidéo.

“Boss du rap game”

Encore plus qu’avant, Booba devient inévitable, autant pour les amateurs de rap que pour les néophytes. Lunatic fait partie de ces albums populaires qui ont répandu la culture rap dans les collèges et les lycées pour toute une génération. Évidemment, le disque décroche la première place des charts dès sa sortie – notamment sur iTunes grâce à la bonus track “Kojak”, avec un démarrage en trombe de plus de 37 000 ventes dès la première semaine. Le disque d’or arrive en à peine deux semaines. Lunatic finira même par décrocher un double disque de platine et remet totalement en selle le rappeur français. Booba retrouve les sommets atteints avec ses trois premiers opus, Temps mort, Panthéon et Ouest Side.

L’affront de 0.9 est effacé, le “boss du rap game” est de retour, et c’est peut-être là la plus belle performance du cinquième album de l’artiste. La mission était de succéder avec réussite à cet échec commercial (relatif), elle est pleinement remplie. Lunatic a été une véritable rampe de lancement vers un Futur encore plus glorieux. Cet effort a permis à Booba d’enclencher les grandes manœuvres, pour enchaîner sur ce qui sera sûrement la période la plus faste et prestigieuse de sa carrière. L’album qui l’a, à nouveau, propulsé vers les premières places des charts et dans la légende. Tout en faisant de lui le plus américain des rappeurs français.

Article publié le 20 novembre 2020 et mis à jour le 23 novembre 2021.