Amour est-il le plus hard des films de Haneke ?

Amour est-il le plus hard des films de Haneke ?

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Par Antonin Gratien

Publié le , modifié le

On serait tenté de répondre oui, même avec "Funny Games" en lice.

Que ni la tendresse évocatrice du titre, ni la délicatesse de l’affiche ne vous trompent. Amour est un film brutal. De ceux qui retournent le cœur des spectateurs, et laissent des séquelles bien après leur visionnage. Sorti en 2012, le 11e long métrage de Michael Haneke n’a laissé personne indifférent. Et surtout pas les jurys qui ont honoré ce drame en huis clos d’une montagne de récompenses. Palme d’or, Golden Globe, Bafta, Oscar du meilleur film étranger, César du meilleur film ou encore European Awards… Du jamais vu.

Et pourtant… Avec Amour, le réalisateur autrichien a sauté à pieds joints dans ce qui lui a été régulièrement reproché : l’illustration sans fard de la violence. Avec une approche jusque-là inédite dans sa filmographie. Une approche où nul n’est coupable, et qui pourrait bien faire de cette œuvre la plus glaçante qu’il ait jamais réalisée. C’est dire.

L’affection, à toute épreuve

Quiconque s’est déjà frotté à un film de Haneke aura compris d’avance qu’Amour n’est pas une romance à l’eau de rose ambiance La La Land. Mais de là à imaginer l’extraordinaire brutalité que déroule le film, il y a un pas. Voire un fossé.

Au début, on trouve un couple d’anciens professeurs de piano. Georges (Jean-Louis Trintignant) et Anne (Emmanuelle Riva). Nous découvrons ces retraités octogénaires au milieu d’une salle de concert, côte à côte. Ils s’aiment, la lueur dans leurs yeux en atteste.

Quelques jours après, Anne est victime d’une attaque cérébrale qui la laisse paralysée du côté droit. Ce ne sont que les prémices d’une dégradation qui rongera l’ensemble de ses capacités motrices et cognitives. Face à l’inexorable avancée de la maladie, Georges et Anne vont réinventer les contours de leur affection. À travers un souci de chaque instant de lui pour elle, les attentions réciproques du quotidien. Et jusqu’au geste fatidique.

Un cinéma de la cruauté

Dans ce récit, rien (ou si peu) n’est épargné à l’œil du spectateur. Haneke montre la douleur, exhibe la déchéance, raconte l’inéluctable. Il n’y a rien à faire, ça va être de pire en pire, puis ça s’arrêtera”, pose Georges lorsque sa fille (Isabelle Huppert) clame qu’il faut “faire quelque chose”. En bref, le cinéaste illustre ce à quoi aucun de nous n’aimerait un jour assister. Comme à son habitude.

Déjà dans son premier long métrage, Le Septième Continent (1988), le cinéaste décrivait, avec l’approche clinique qui lui deviendra caractéristique, les pas d’une famille vers le suicide collectif. Entre autres thématiques pas franchement jojo – et qui ont occasionnellement conduit Haneke à être taxé de complaisance envers la cruauté qu’il exemplifie – c’est ensuite le sadisme que le cinéaste aborde dans Funny Games (un thriller dans lequel d’aucuns décèlent l’ancêtre du torture porn), la violence de l’incommunicabilité dans Code inconnu puis celle de la névrose individuelle à travers La Pianiste.

Puissant leitmotiv dans l’œuvre de Haneke, l’illustration du mal est également un ressort du Ruban Blanc, récompensé par la Palme d’Or du festival de Cannes en 2009. On y observe avec effroi et incompréhension la rigueur de l’éducation luthérienne, dans un petit village d’Allemagne du Nord, à la veille de la Première Guerre mondiale. À ne pas regarder en compagnie d’enfants en bas âge, donc.

Ne demandez jamais pour qui sonne le glas

De manière assez neuve dans l’œuvre de Haneke, Amour n’introduit aucun “méchant”. Pas de tortionnaire en gants blancs, pas de forcené armé pour perpétrer un massacre de masse. Non, car dans Amour, la responsabilité n’est pas du côté des individus mais de l’existence elle-même. Et c’est sans doute en cela que ce film constitue la pièce la plus âpre et la plus insoutenable du réalisateur.

Là où rares étaient ceux qui pouvaient s’identifier aux victimes d’un tandem sadique (Funny Games) ou aux affres de la frustration sexuelle (La Pianiste), chacun peut se reconnaître à travers les protagonistes d’Amour. Voir une mère dépérir, une âme sœur devenir grabataire. Constater, impuissant, la déchéance d’un proche. Voilà le funeste “lot commun” que Haneke a décidé de porter sur grand écran.

Ce malgré le fait qu’un tabou artistique plane autour du “grand âge”. Et qu’un scénario traitant tout à la fois de la vieillesse, de la maladie et de la mort ne soit pas franchement propice à attirer les foules. Jamais peut-être au cinéma ces thèmes n’avaient été abordés avec si peu de pathos. En résulte une œuvre à la violence inouïe, dont le propos touche au drame le plus banal en même temps que le plus tragique de l’humain. Sans doute la création la plus dure de Haneke. Mais la plus bouleversante, aussi.