Non, Seberg n’était pas juste l’intrigante partenaire de Belmondo dans À bout de souffle

Non, Seberg n’était pas juste l’intrigante partenaire de Belmondo dans À bout de souffle

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Par Antonin Gratien

Publié le

Le parcours tragique de l’actrice et militante américaine ne saurait être réduit à ce rôle culte.

Beaucoup ont (re)découvert le nom de Jean Seberg au lendemain du décès de Jean-Paul Belmondo, le 6 septembre dernier. Et pour cause, c’est à ses côtés que l’acteur s’était vu offrir son premier grand rôle dans À bout de souffle. Véritable manifeste de la Nouvelle Vague, le chef-d’œuvre de Godard mettait en scène celui qui n’était pas encore notre Bebel national et une comédienne d’outre-Atlantique à la coupe garçonne : Jean Seberg.

Chacun se souvient des retrouvailles de leurs personnages – Patricia et Michel – sur l’avenue des Champs-Élysées. L’une y vendait le Herald Tribune, l’autre flânait. Tous deux vont apprendre à s’aimer. Et le film a été un tel succès que, dans l’esprit collectif, Jean Seberg est souvent restée cantonnée à son interprétation de “l’Américaine”.

Et pourtant, l’actrice, qui s’est donné la mort en 1979, avait ensuite tourné avec d’autres grands noms, et défendu les droits civiques aux États-Unis avec une ferveur qui lui valut l’acharnement du FBI. C’est cette tranche de vie activiste, assez méconnue en France, que Benedict Andrews a choisi d’illustrer dans son biopic distribué sur Prime Video, Seberg.

Une lutte contre la ségrégation raciale

Si le film débute au début des années 1960, l’engagement de Jean Seberg ne date pas de cette époque. Élevée dans un Midwest réactionnaire, la future vedette de cinéma adhère dès ses 14 ans à la NAACP (l’organisation américaine de défense des droits civiques). À mesure qu’elle grandit, elle développe un farouche sentiment d’indignation face aux injustices sociales dont elle est témoin, et, en parallèle, trouve sa voie après avoir vu la performance de Marlon Brando dans C’étaient des hommes (1950).

Jean Seberg s’engage dans la troupe de théâtre de son lycée, suit un stage d’art dramatique et fait ses premiers pas sur grand écran en 1957 avec Jeanne d’Arc, d’Otto Preminger. À l’ouverture de Seberg, l’actrice (Kristen Stewart) a déjà derrière elle le succès de Bonjour Tristesse (1958, du même réalisateur) qui lui avait valu une couverture des Cahiers du Cinéma, et le triomphe d’À bout de souffle (1960).

Benedict Andrews aurait pu filmer l’évolution de sa carrière. Après tout, l’actrice a joué avec rien de moins que Clint Eastwood, et devant la caméra de Claude Chabrol. Mais plutôt que de donner à voir ses expériences artistiques (ici et là il est question d’une comédie musicale, ou d’un western, mais rien de plus), le réalisateur brosse la lente plongée aux enfers de la comédienne, jetée en pâture aux équipes du FBI durant les années 1960.

Écoutes téléphoniques, filatures, intimidations… Rien n’est épargné à l’actrice, publiquement en faveur de la lutte pour les droits civiques, un temps partenaire de Hakim – leader du Black Power – et soupçonnée de financer le mouvement des Black Panthers. La féroce surveillance dont elle fait l’objet est orchestrée dans le cadre du programme d’espionnage COINTELPRO, destiné à perturber les organisations politiques jugées dissidentes et pilotée par le directeur du FBI d’alors, John Edgar Hoover. Lequel ira jusqu’à chapeauter la publication d’un article diffamatoire dans les colonnes du LA Times pour la discréditer.

Une campagne calomnieuse aux conséquences tragiques

Paru en 1970, l’article révélait sur la base de “preuves” directement communiquées par le FBI que Jean Seberg aurait été enceinte, non de son mari d’alors, Romain Gary, mais d’un membre des Black Panthers. À l’époque où l’union d’une femme blanche et d’un Afro-Américain est mal perçue dans de nombreux cercles, l’accusation provoque un séisme. Jean Seberg accouche prématurément d’une fille qui décède deux jours après sa naissance. Et, afin d’étouffer le scandale, l’actrice enterre son enfant dans un cercueil de verre. La presse est bien forcée de reconnaître que sa couleur de peau est blanche.

Après cet événement, Seberg donne à voir le désolant spectacle d’une actrice toujours convaincue de la justesse de la cause qu’elle défend, mais devenue paranoïaque et suicidaire. Ce que Benedict Andrews ne montre pas, c’est le dénouement de cette existence muée en havre de souffrance.

Dans une période où Jean Seberg est dépressive, accro aux médicaments et dépendante à l’alcool, son corps est retrouvé à l’arrière d’une voiture dans le XVIe arrondissement de Paris, le 8 septembre 1979. La police conclut à un suicide. Son entourage, lui, accuse. Selon ses proches, cela ne fait aucun doute : l’article calomnieux du LA Times est à l’origine de sa mort. En juin 2020, le journal a reconnu que les informations qu’il avait divulguées n’avaient jamais été vérifiées.

Après ce drame, le père de la défunte avait déclaré : ” Jean a toute sa vie essayé d’aider ceux qui étaient en détresse. Enfant, il s’agissait de chiens ou de chats. Puis, il y a eu les Noirs, les amis, et tous les autres qu’elle pensait pouvoir aider”. Un propos que Benedict Andrews s’est fait un devoir d’illustrer à l’écran, à la manière d’un hommage où Jean Seberg apparaît en martyr de la lutte sociale, par-delà le mythe d’une actrice éternellement jeune et insouciante, claironnant son inimitable “Herald ! Herald !” aux abords de cafés parisiens.