De Discord à TikTok, des fans de K-pop aux Swifties, l’union des gauches se fait aussi sur Internet

De Léon Blum à Taylor Swift

De Discord à TikTok, des fans de K-pop aux Swifties, l’union des gauches se fait aussi sur Internet

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Par Pierre Bazin

Publié le

La forte présence de Bardella sur les réseaux sociaux a réveillé une volonté de créer son penchant de gauche sur Internet.

D’abord le choc, ensuite la réponse. Au lendemain des élections européennes et de l’annonce surprise de la dissolution de l’Assemblée nationale, la gauche française a dû mettre de côté ses rivalités pour s’unir sous une même bannière, que certains comme l’ancien député François Ruffin nomment déjà “le nouveau Front populaire”. L’objectif ? Empêcher le Rassemblement national et son candidat Jordan Bardella d’accéder au pouvoir s’il remportait les élections législatives.

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Dans la rue, sur les marchés, les premières opérations politiques ont commencé, mais Internet prend un rôle de plus en plus prépondérant dans les campagnes électorales. À l’annonce de son maigre score (5,5 %), la candidate EELV Marie Toussaint concédait avoir “sous-estimé la force de TikTok”, elle qui ne s’y était mise que quelques semaines avant le scrutin des européennes.

En effet, la forte présence de Jordan Bardella sur les réseaux sociaux des jeunes comme TikTok a rebattu les cartes des méthodes de campagne.

“On veut l’union des gauches sur Internet”

“Si Bardella passe comme ça, on doit aussi jouer ce jeu.” Quand il écrit son tweet, Tahzio, 26 ans, chroniqueur pour Mouv’, ne se doute pas de ce qu’il va lancer.

“Je publie mon tweet et je me couche, à ce moment-là il y a 5 likes. Mais quand je me suis levé, il y en avait 2 000.”

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Très ancré à gauche, le jeune créateur de contenu a bien remarqué comment Bardella avait réussi à envahir les réseaux sociaux. À gauche, il fustige un sérieux retard, et ce, malgré la présence de quelques députés “stars” des réseaux comme David Guiraud ou Louis Boyard (La France insoumise). Le reste de la gauche (PS, PCF, EELV) semble bien derrière en termes de présence internet.

“On a quelques députés LFI qui s’en sortent bien mais même avec eux on n’a rien de ‘communautaire’, c’est que des comptes de personnes.”

L’idée lancée par son tweet est simple : réunir tous les sympathisants de gauche et coordonner les compétences de chacun – graphistes, monteurs, créateurs de contenu, influenceurs, etc. “On a beaucoup de twittos de gauche, et même d’influenceurs de gauche, mais on fait jamais d’actions communes sur Internet”, explique Tahzio.

Ce vendredi 14 juin, un serveur Discord devrait être lancé par Tahzio et quelques-uns de ses nouveaux camarades pour rassembler tous les sympathisants qui souhaitent aider à porter la voix du “nouveau Front populaire”. L’idée est de générer des “tracts numériques”, pour citer les mots du jeune chroniqueur, faire l’équivalent de la tractation sur un marché, mais cette fois sur TikTok, X/Twitter et Instagram.

Les “edits”, nouvelle forme de communication ou épiphénomène ?

Pour Tahzio, il y a trois manières de communiquer sur le Front populaire. D’abord des contenus sur les idées, liées au futur programme de la coalition de gauche. Ensuite il y a des mesures de “contre-attaque” destinées à attaquer le RN directement sur son terrain – celui des réseaux sociaux.

La dernière méthode, c’est la plus moderne mais aussi la plus controversée : celle des “edits”, des montages saccadés avec des musiques modernes présentant les meilleurs moments d’un candidat politique, à la manière d’un best of.

“Les ‘edits’, ça dépend vraiment de la personne, de son physique, de ses punchlines.”

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Ces “edits” sont rarement issus des comptes des députés eux-mêmes. Que ce soit pour Jordan Bardella à l’extrême droite ou Clémence Guetté et Sébastien Delogu par exemple à LFI, on retrouve surtout des “edits” créés par des “fans”.

Interrogé par l’AFP, Romain Fargier, docteur et chercheur au Centre d’études politiques et sociales (CEPEL) de l’université de Montpellier, note l’utilisation du sarcasme, de l’ironie et de mèmes humoristiques par l’extrême droite, ce qui crée “des communications politiques très stéréotypées”, souvent basées “sur les émotions et le pathos”.

Évidemment, la dimension parfois chaotique d’Internet donne lieu à d’étranges phénomènes. Par exemple, on a pu voir “#SwiftiesForFrontPopulaire”, un hashtag qui veut montrer un soi-disant soutien des fans de Taylor Swift, la chanteuse pop américaine milliardaire, à l’union de la gauche politique.

De la même manière, d’autres communautés comme les fans de K-pop appellent à soutenir des initiatives politiques. Des mariages politiques parfois très étranges donnant une impression de créature de Frankenstein idéologique.

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“Internet n’est pas un espace de perfection” mais cela reste une “révolution culturelle”

Pour autant, Internet n’est pas toujours le reflet parfait des réalités. “Si vous recevez des notifications tous les jours qui parlent de Bardella, on rentre au bout d’un moment dans un cercle vicieux. L’algorithme matraque avec ce genre d’informations, jusqu’à orienter votre opinion vers le fait que cette personne est la plus fiable”, alerte au micro de l’AFP Refka Payssan, enseignante à l’université Paris-Saclay et experte en technologies de l’information et de la communication à l’ère numérique.

Pour Tahzio, il est clair qu’Internet est loin d’être parfait, mais cela reste une véritable “révolution culturelle” en termes de création de contenu et d’accès à la culture.

“Quand on voit que les médias traditionnels [TV, radio, ndlr] ont des audiences avec une moyenne d’âge de 60 ans, on sait qu’on ne peut pas sous-estimer Internet.”

D’autant que la mobilisation n’est pas que sur TikTok. On peut citer par exemple le mouvement “Twitch Emmerde le Rassemblement National” (TERN) qui veut investir la célèbre plateforme de lives pour y proposer des contenus bien plus longs (et plus orientés sur le “fond”) que ce que l’on pourrait voir en quelques secondes sur un TikTok.

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Selon Tahzio, de trop nombreuses personnalités politiques se sont exclues des réseaux. Il fustige ainsi celles et ceux qui se sont opposés frontalement aux “écrans dans leur global” sans en discerner la nature très diverse et pluriculturelle qui les compose. Mercredi encore, le président de la République parlait d’interdire le téléphone “avant 11 ans” et les réseaux sociaux “avant 15 ans”.