“Ça faisait des années que je n’avais pas pleuré” : entretien avec Jacques de Top Chef

“Ça faisait des années que je n’avais pas pleuré” : entretien avec Jacques de Top Chef

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© Julien THEUIL/M6

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Par Flavio Sillitti

Publié le

"Be hungry, be humble."

Cette semaine, au terme de la quatrième semaine de compétition, c’est Jacques Lagarde qui a quitté l’aventure Top Chef. Arrivé dans l’émission en binôme avec son grand frère Mathieu, Jacques avait intégré la brigade violette de Paul Pairet, et s’est finalement incliné sur l’épreuve des cinq sens, puis contre Danny dans La Brigade cachée. Un départ qui, on vous l’avoue, nous a fait verser quelques larmes.

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Fort d’un parcours culinaire aux quatre coins du monde, Jacques Lagarde a eu la chance d’évoluer dans le meilleur restaurant de Nouvelle-Zélande avec son frère, avant d’ouvrir son propre établissement Cascada Cocina & Bar, à Marbella en Espagne. C’est d’ailleurs depuis sa terre d’accueil hispanique que le candidat est revenu avec nous sur son parcours, l’importance de l’humilité en cuisine, sa relation avec son frère, l’émotion de son départ, mais aussi sur son admiration pour Jean-Claude Van Damme.

Konbini | Toi et ton frère, vous êtes présentés comme les globe-trotteurs de la saison. Tu as commencé ton parcours à Paris, pour continuer à Sydney, en Nouvelle-Zélande et aujourd’hui en Espagne. D’où te vient cette envie de voyager ?

Jacques | Moi, je ne suis pas fait pour la routine. Je déteste ça. Je suis comme un enfant : j’aime découvrir, que ce soit une découverte culinaire, culturelle, une découverte de personnes, d’endroits. Et cette découverte, elle est rendue possible à travers le voyage. J’ai envie de profiter au maximum de ce luxe de pouvoir voyager librement. Ça me permet de sortir de ma zone de confort, mais aussi ça me rend très vivant.

En Nouvelle-Zélande, tu avais été auréolé de trois hats (l’équivalent de nos étoiles Michelin). Et pourtant, tu as décidé de tout plaquer pour te lancer seul en Espagne. Tu dirais que ça demande beaucoup d’humilité de recommencer à zéro ?

Moi, j’ai une phrase qui me guide, c’est : “be hungry, be humble.” Pour moi, plus tu te prends au sérieux, moins tu apprendras. Effectivement, avec Mathieu, on a un bon background, on a fait des bonnes maisons, on a eu de belles récompenses, mais il ne faut jamais oublier que ce n’est jamais une affaire d’individualité, mais bien d’équipe. C’est ce qui fait la beauté de la cuisine : chaque restaurant est comme un bateau, et sans tout l’équipage, le bateau coule. S’en souvenir, ça aide à rester humble.

Deux frères qui suivent la même voie culinaire, ce n’est pas courant. Comment êtes-vous tombés tous les deux dans le même monde gastronomique ?

C’est d’abord Mathieu qui a commencé la cuisine, de façon assez naturelle et instinctive. Moi, à l’école, j’étais très mauvais dans ce qui ne m’intéressait pas, mais très doué dans les choses qui généraient en moi de la curiosité. Quand mon grand frère a commencé la cuisine, j’ai développé un vrai sentiment de curiosité, l’envie de comprendre, de savoir, et j’ai découvert tout un monde, au-delà de la cuisine, qui était fait de goûts, de textures, de découvertes, de rencontres. C’est un univers tellement vaste que ça me semblait idéal pour assouvir cette curiosité insatiable que j’avais depuis l’enfance.

Toi et ton frère Mathieu partagez le même parcours, mais on a vu deux cuisines propres à chacun au cours de l’émission. Tu confirmes ça ?

[Il rit] Je ne sais pas si je peux confirmer, parce que dans la vraie vie on a une cuisine très similaire, et on pense souvent nos plats à deux. Sur l’épreuve de la transparence, par exemple, sans se concerter, on a proposé des plats quasi identiques, autour de la mer. Mais, avec du recul, c’est vrai que le fait de fonctionner à l’instinct dans l’émission nous a poussés à développer chacun notre créativité.

Ça vous a appris des choses par rapport à votre propre identité culinaire ?

Oui, c’est certain. Moi, je me suis rendu compte que ce qui m’aidait, c’était le temps : le temps de pouvoir faire des conneries, des essais, des belles choses. Je suis dans la recherche constante, dans l’expérimentation, et forcément parfois ça paie, et parfois pas du tout. Mathieu, lui, c’est un excellent cuisinier que tous les grands chefs exécutifs voudraient avoir, il est carré, organisé, rigoureux. L’aventure Top Chef lui a vraiment permis d’explorer et de renforcer son identité créative culinaire, au-delà de la technique.

Et toi, en tant que petit frère, ça t’a fait chaud au cœur de le voir développer sa créativité de la sorte ?

Évidemment, que ce soit en cuisine ou dans la vie, voir son frère se découvrir c’est très beau. Mathieu, c’est quelqu’un qui a une humilité énorme, et parfois ça l’enferme un peu. Une fois qu’il s’ouvre, c’est quelqu’un d’extrêmement attachant, en plus d’être un excellent cuisinier.

Lors de la première épreuve, tu es sélectionné par Paul Pairet et tu intègres sa brigade violette. C’était une bonne nouvelle ?

Avant d’intégrer Top Chef, je ne savais rien de l’émission, je ne l’avais jamais regardée. Les quatre chef·fe·s du jury, je ne les connaissais pas, mais je voulais les découvrir par moi-même. Je suis un peu “animal” dans ma manière d’être et d’approcher les gens, tout se passe au feeling. Au moment où Paul Pairet me choisit, j’ai senti beaucoup de profondeur chez lui. Je ne sais pas trop l’expliquer, c’était dans ses yeux, sa façon de me parler. Avec du recul, c’est le meilleur chef sur qui j’aurais pu tomber, de loin. C’est un homme si sage et ouvert d’esprit. Ça ne s’est pas forcément vu dans les épisodes, mais lui et moi avons parfaitement matché.

Tu parles d’esprit “animal”, on ressent aussi beaucoup de légèreté, d’humour et de décontraction dans ta façon d’aborder la cuisine. C’est important, pour toi, que ça reste fun ?

Je dis toujours que je n’ai que des bonnes journées. Parfois, si j’ai un couac qui arrive, je vais l’exprimer une bonne fois, et puis je vais de l’avant. C’est bateau mais j’ai la conviction qu’il faut toujours rester positif, et de ne jamais laisser des inconvénients te gâcher ta journée. C’est une philosophie de vie que j’applique à tout, y compris à ma cuisine.

Malgré cette philosophie rayonnante et positive, on te sent très touché au moment de ton départ. C’était dû à quoi, ces larmes ?

Au moment de mon élimination, je savais que j’allais sauter. J’avais fait de la merde, et je méritais de sortir, donc ce n’était pas vraiment une surprise. Je m’attendais à ce qu’on me dise que c’était bof, qu’on me fasse la morale, puis : “Merci, au revoir”. Sauf que, sur le moment, je lève les yeux et je vois le chef Glenn Viel qui verse une larme, le chef Paul Pairet qui exprime sa frustration, et là ça commence à me faire un gros pincement dans le cœur. Du coup, dès que le chef Etchebest a commencé à parler pour me féliciter, c’était impossible de retenir mes larmes, c’était de la pure émotion et de la tristesse, aussi, de quitter toute cette bienveillance qui m’a tellement touché.

Au moment de revoir l’émission, tu as ressenti la même émotion face à la séquence de ton départ ?

Ah, c’était dur. Pour te dire la vérité, ça faisait des années que je n’avais pas pleuré. Moi, il m’en faut beaucoup pour me faire pleurer, et ils ont réussi à me faire fondre en larmes grâce à des mots touchants. Au moment de revoir ces images, c’était la même émotion, oui.

Tu parlais de l’émotion du chef Glenn Viel, très touché par ton départ. C’est quelqu’un en qui tu te retrouves ?

Il y a quelque chose que l’on partage avec le chef Glenn Viel, mon frère et moi : c’est cette âme d’enfant qui est en nous. C’est quelqu’un qui a une cuisine très poétique, très expressive : tout comme lui. Il a un cœur énorme et, encore une fois, une humilité très inspirante. On s’entendait très bien tous les deux, on parlait cuisine avec humour et naturel, et ça a été une très belle rencontre, autant le cuisinier que la personne.

Après ton élimination du concours, tu as eu l’occasion de retenter ta chance dans La Brigade cachée d’Hélène Darroze, où tu t’es incliné face à Danny sur l’épreuve du soufflé. Tu aurais préféré être évalué sur une épreuve plus créative, moins technique ?

Non, non. Je n’ai aucun regret, il ne faut pas cracher dans la soupe : rien que le fait d’être réinvité pour retenter ma chance, c’était déjà une très belle opportunité. Danny a tout simplement été meilleur que moi et, de mon côté, je suis content de sortir sur une assiette dont j’étais fier.

D’ailleurs, l’assiette dont tu es le plus fier dans le concours, c’est laquelle ?

Bonne question ! Alors, la plus absurde, ça a été ma boule de Noël sur l’épreuve du trompe-l’œil parce que, pour le coup, j’ai fait de la grosse merde au niveau du visuel, mais le goût m’a hissé dans le top 3 [il rit]. Mais sinon, l’assiette qui m’a procuré le plus de plaisir, c’était sur la toute première épreuve de la pomme de terre. Le fait de cuisiner dans les champs, de découvrir les chefs, de faire ce premier jour avec mon frère. C’était le début d’une belle histoire.

Question bonus : on a découvert que tu aimais beaucoup Jean-Claude Van Damme. Il t’inspire quoi ?

Ce que j’aime chez Jean-Claude Van Damme, c’est qu’il a tout compris et tout réussi. C’est un mec parfaitement humble, avec une belle philosophie de vie. À force de travail, il a réussi à tout accomplir, tout en restant quelqu’un de vrai et d’ouvert d’esprit. J’ai une belle admiration pour lui.

Tu aimerais cuisiner pour lui ?

Ah, franchement, ce serait un honneur, je serais le plus heureux. Si vous arrivez à arranger ça chez Konbini, je vous invite tous dans mon restaurant à Marbella, et je vous offre tout, tant que ce n’est pas des bouteilles de champagne trop chères. [Il rit]

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

Qu’avec Mathieu on reste nous-mêmes, et qu’on continue notre belle histoire.