Il aura fallu que le public se montre patient, lui qui attendait de s’attabler dans ce restaurant depuis de longs mois. Il aura fallu faire preuve de sang-froid pour faire comprendre à la brigade que les portes ne s’ouvriraient pas tout de suite. Mais ça en valait la peine. Attendu par toute la scène médiatico-gastronomique depuis un bout de temps, le chef Maxime Bouttier est finalement de retour avec Géosmine, la table dont il a toujours rêvé, depuis très jeune, dans un coin de sa tête.
À voir aussi sur Konbini
Il nous aura fallu nous-même un peu de temps avant de venir nous y attabler. Pour des questions très pragmatiques de planning, mais aussi pour nous laisser la chance de nous frotter à une version la plus aboutie et la plus rodée possible de la cuisine du chef. Nous y voilà donc pour le déjeuner, un lundi, jour habituellement consacré au repos chez les cuisiniers. Si plusieurs options et menus à l’aveugle sont possibles, le midi comme le soir, Maxime Bouttier nous demande de “lui faire confiance” et de nous laisser guider par ses inspirations du moment, ses plats déjà “signatures”, et quelques préparations qu’il imagine lancer dans les jours à venir.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore Maxime Bouttier, il est encore temps d’imprimer ce nom dans votre esprit. Car il risque de résonner fort, et avec insistance, dans les mois et années à venir – les Américains et le New York Times s’y mettent déjà. D’abord passé par les cuisines de maisons étoilées, puis par Mensae où il a piloté les cuisines en solitaire, il est l’un des chefs que l’on pourrait décrire comme les plus complets de sa génération. Un chef aussi à l’aise dans les associations salées que la pâtisserie. Un chef également passé par le service et les rythmes effrénés en salle. “Avoir eu la chance de me confronter à ces différents univers m’offre aujourd’hui une précieuse polyvalence”, nous confie-t-il, à la fin du service.
© Laurent Dupont
Car qui de mieux qu’un chef aguerri pour savoir gérer la salinité et la réduction de sucre dans ses desserts – des entremets et créations qu’il pense et réfléchit lui-même. Qui de mieux qu’un chef passé, comme lui, par la pâtisserie pour gérer l’équilibre moléculaire des sauces et des réductions ? Qui de mieux qu’un chef passé par le service pour savoir quand, comment et dans quelle configuration envoyer les assiettes à table ? Tout ça, Maxime Bouttier le résume dans une cuisine brute et franche. Une cuisine inspirée, technique, mais jamais prétentieuse, donnant souvent lieu à des surprises et une agréable sensation de flottement pour le mangeur, à l’image de son plat déjà emblématique : une mamelle de vache grillée et algues fraîches, surmontée de caviar, dont tout le monde parle déjà. Un plat qui bouscule, pas tant par des saveurs inédites que par l’expérience offerte, et qui vient nous faire perdre tous nos repères au cœur d’un menu à la partition maîtrisée.
L’expérience, portée par un remarquable service en salle, nous amène aussi à explorer des terrains plus balisés comme avec ce mi-cuit de thon rouge au barbecue au beurre blanc de tête de poisson et bisque de crustacé, ou ces irrésistibles haricots verts guanciale, amandes fraîches et ajo blanco. Juste avant de nous bousculer à nouveau avec un dessert chocolat-vanille-praliné, quelque part entre la mousse au chocolat, le fondant et le brownie – lui aussi déjà un “classique”. Ou bien encore un sorbet iodé à l’huître et yuzu, couvert d’une salade feuille de chêne brûlée-glacée et crumble d’olives séchées, aux saveurs inconnues qui rappelle que c’est aussi cela la mission d’un restaurant gastronomique : nous éloigner de ce que l’on sait déjà pour nous embarquer vers ce qu’il nous reste à découvrir, hors des sentiers battus, sur les pas d’une ambition et d’une âme culinaire – un chef, une brigade, une idée… – qui a méticuleusement réfléchi et théorisé la moindre molécule d’une assiette.
Géosmine
71, rue de la Folie-Méricourt (Paris 11e)
Tous les jours sauf mardi et mercredi