Le jour où le jeune chef Valentin Raffali est parti cuisiner sur Tatooine

Le jour où le jeune chef Valentin Raffali est parti cuisiner sur Tatooine

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© Des Enfers et des Anges

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Par Robin Panfili

Publié le

En allant cuisiner dans le désert, sur le décor de Star Wars, Valentin Raffali, jeune chef marseillais, en a tiré un manifeste puissant et éloquent.

Il est l’un des chefs les plus doués de sa génération, il vit et cuisine à Marseille et a désormais tout en main pour venir secouer la face du monde de la gastronomie française. Mais Valentin Amine Raffali ne pourra le faire qu’à une condition : le faire à sa manière. En cuisine, évidemment, mais surtout avec la volonté d’abolir les barrières, les frontières, les codes et les règles établies, afin de créer son propre chemin. “Il est difficile de sortir du rang quand tout ce que tu as connu est l’ordre d’une cuisine. Aujourd’hui, l’idée d’exister qu’à travers ma singularité de cuisinier ne m’intéresse plus, alors je sors du rang pour créer le mien”, dit-il.

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Le jeune chef, à la tête du restaurant Livingston et que l’on a récemment classé parmi nos personnalités à suivre, vient de publier un court-métrage puissant et touchant, Des enfers et des anges, capturé sur les lieux de tournage de Star Wars, dans le désert tunisien, et notamment sur Tatooine. L’idée, née d’un simple coup de fil et après de nombreuses années d’écriture à coucher ses pensées sur papier, a fini par sonner comme un manifeste, fort et intime, dont il a accepté de nous raconter les coulisses.

Tout commence en février dernier lorsque le bras droit du quotidien et proche ami de Valentin Raffali, Samir, est de passage sur les vestiges qui ont servi de décor à Star Wars il y a plusieurs années. Alors qu’il parcourt les lieux, il profite du faible réseau que lui offre son téléphone pour appeler le chef, resté à Marseille, et lui montrer par FaceTime le spectacle qui s’offre à lui. “Cet appel n’était pas anodin”, nous explique Samir. “Il découlait réellement d’un désir de lui faire plaisir, avec l’émotion du moment, son envie forte de s’y rendre un jour, car ce lieu signifiait beaucoup pour lui. C’est ensuite que nous avons décidé de documenter ce voyage, mais sans en faire une simple vidéo culinaire – comme on en voit partout – dans un endroit emblématique. Nous voulions aller plus loin et proposer quelque chose de différent pour un chef. C’est ainsi que cela est devenu un manifeste.”

“C’était fou, se souvient Valentin Raffali. Il voulait partager avec moi ce moment mais la vidéo saccadait. On a un peu discuté, et l’appel a fini par se couper.” Il aura donc fallu attendre quelques jours, et son retour en France, pour finir cette discussion qui allait découler, sans même le savoir, sur un court-métrage. “Tout est né de manière très spontanée, on avait simplement en tête l’idée de partir là-bas, de visiter, de couper et de cuisiner un peu. Je venais de recevoir mon barbecue portable que j’amène partout avec moi à Marseille, sur les rochers, alors je me suis dit : ‘Et pourquoi pas là-bas ?’. On a pas mal travaillé sur le projet et, de fil en aiguille, c’est devenu de plus en plus sérieux.”

Avec Samir et Alexis Fehlmann, qui a filmé le court-métrage, ils se retrouvent pour échanger leurs idées, confronter leurs envies, évoquer les contraintes et lister les références desquelles ils aimeraient s’inspirer, du travail de Romain Gavras aux clips de The Blaze. “Tout a commencé de manière spontanée, mais avant de partir, on s’est dit, quitte à y aller, autant faire les choses bien”, sourit Valentin Raffali.

© Des Enfers et des Anges

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Le trio embarque pour le désert avec deux valises : une remplie de câbles, de batteries, de cartes SD et de deux caméras, l’autre de quelques T-shirts et de nourriture. “J’ai mis sous vide de la sauce tomate, du fromage, de la farine et de la levure, j’ai fait rentrer mon barbecue et du charbon, et je refermé la valise”. Le strict minimum, mais surtout l’essentiel pour pouvoir cuisiner, à des milliers de kilomètres de là, l’un des plats qui le suit depuis un moment déjà : sa pizzetta tomate/stracciatella. Un plat qui peut paraître anodin pour ceux qui ne sont pas encore familiers avec l’ADN culinaire du jeune chef, mais qui incarne toute la symbolique et la force de sa personnalité.

“Je n’ai même pas réfléchi à ce que j’allais cuisiner avant de partir, car ça allait évidemment être cette pizzetta”, dit-il. “La pizza est entrée dans mon lexique, dans ma tête et elle ne me quitte jamais. Parce que la pizza dit beaucoup de choses, déjà pour moi qui suis Marseillais, puis parce qu’elle incarne à elle seule la culture du partage. Elle a été un support créatif immense pour moi.” Cette pizza, servie dans son restaurant sous forme de “pizzetta”, est le fruit d’un coup de foudre comme il en existe peu dans la vie, et encore moins dans la cuisine.

À l’époque, alors qu’il officie en tant que chef à New York pour quelques semaines, il débarque un soir de pluie chez Roberta’s, l’une des pizzerias les plus révolutionnaires de la ville. “Quand je suis entré, j’ai halluciné. J’étais dans un immense hangar, le déluge à l’extérieur, et ils servaient des pizzas, avec la musique à fond. Ce restaurant a changé énormément de choses en moi, et m’a convaincu d’ouvrir mon propre établissement. Il m’a fait un bien fou”, se remémore-t-il.

© Des Enfers et des Anges

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Depuis, le plat ne quittera jamais sa carte, de sa résidence au Chardon, à Arles, à son restaurant actuel Livingston, cinq années plus tard, où il continue de la proposer en introduction de son menu. Mais cuisiner une pizza dans le désert n’est pas une mince affaire, surtout avec “une moto pas vraiment adaptée pour rouler dans le sable” et “un quad sans phares, ni freins”. Il a fallu trouver une glacière, des glaçons, ce qui relève quasiment de l’impossible dans ce coin reculé, et arriver à temps avant que les produits ne se détériorent. “C’était incroyable, on est arrivés pour manger, la pâte à pizza avait quadruplé de volume et la stracciatella bullait et avait presque fermenté avec la chaleur”.

Mais pourquoi le désert tunisien, Tatooine et Star Wars, au juste ? Valentin Raffali voyait dans cette épopée un moyen de prendre du recul, de se couper un peu du monde, et de s’accrocher à un rêve d’enfant qu’il pouvait enfin concrétiser et rendre vivant. “Il y a une énorme symbolique dans Star Wars pour moi, évidemment. Ma génération a grandi avec, avec cet univers, donc il résonnait fort en moi. Encore adulte, c’est quelque chose que je continue à regarder. Le fait d’aller là-bas m’a donné la chance de réaliser le genre de rêve que l’on a enfant et que l’on n’a pas souvent l’occasion de pouvoir s’offrir. C’était un moyen de reconnecter avec l’ado que j’étais”, explique-t-il, avant de filer la métaphore avec le monde de la restauration. “Mais il y a aussi dans Star Wars tout le message de la Force et l’imaginaire collectif des Jedi qui permet de dresser un joli parallèle entre la cuisine et les Jedi : la culture de l’entraînement, du calme, de l’entraide, de la rigueur…”

© Des Enfers et des Anges

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À la fin du tournage, qui s’est uniquement étalé sur une journée et demie – une prouesse, vous diront les gens du métier –, il en ressort un court-métrage puissant, poétique et éloquent, qui parvient à dire beaucoup, en peu de mots et peu de temps. Une aventure collective dans laquelle il a embarqué sa garde rapprochée, ses amis, qui le suivent au quotidien : Samir, qui a coordonné le tout et qui connaissait un peu la région, mais aussi Alexis Fehlmann à la caméra et au montage, Rabii Ben Brahim au drone, Anthony Fornacciari (ou COURAGE) à la musique, Ilan Zerrouki aux détails techniques de la retouche vidéo et Chloé Garrel. “C’était un projet créatif complet, qui a réuni plein d’esprits tout aussi créatifs. On est contents de cette vidéo, mais on est surtout fiers de ce qu’on a vécu. Pour beaucoup, ça n’a pas vraiment de sens d’aller cuisiner une pizza sur Tatooine, mais ça en a énormément pour moi.”

Et c’est peut-être là l’essentiel. Dans le court-métrage, qui ne se voulait pas initialement aussi introspectif, Valentin Raffali finit en disant ceci : “Tu peux me mettre n’importe où, je finirai par cuisiner. C’est plus fort que moi. On me demande souvent pourquoi je cuisine. Je n’ai pas vraiment de réponse. C’est un paradoxe, je sais que je l’aime autant que je la déteste. Elle me rapproche autant qu’elle m’éloigne des autres. Ce que je suis, c’est ce que j’aime. Ça dépasse la cuisine. Je vis et je fais à travers ce que je ne vois pas vraiment. Créer, c’est matérialiser le chemin de la pensée. Dans le désert, j’ai compris que la cuisine, c’est mon métier, mais bien plus que ça. C’est mon canal d’expression. Grâce à elle, je peux maintenant créer grand”. Si cela ne ressemble pas à un manifeste, alors on ignore bien ce que pourrait bien être un manifeste.

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