L’histoire de la métamorphose (inattendue) d’un restaurant historique de Paris

L’histoire de la métamorphose (inattendue) d’un restaurant historique de Paris

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© Maki Manoukian

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Par Robin Panfili

Publié le , modifié le

La jeune cheffe Sarah Chougnet-Strudel a repris les cuisines du Trou Gascon, à Paris, et elle nous explique le défi de reprendre une telle institution.

C’est un lieu qui aura bientôt sa place dans les livres d’Histoire – si ce n’est pas déjà fait –, tant il a marqué l’histoire de la gastronomie à Paris. Au Trou Gascon, ouvert en 1973, a été le terrain de jeu du chef Alain Dutournier, cinquante années durant, mais il est en passe de vivre une deuxième jeunesse avec l’arrivée de deux repreneurs, Grégory Reibenberg (La Belle Équipe, Basique…), Jean-Félix Frichot, associé et directeur du restaurant, et l’installation aux fourneaux de la nouvelle cheffe des lieux, Sarah Chougnet-Strudel.

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Celle qui a commencé la cuisine très jeune, qui a fait ses classes dans une belle brochette de tables étoilées (L’Astrance, Anne-Sophie Pic, Hélène Darroze…), et monté le restaurant Regain, à Marseille, loué et salué de toutes parts, vient aujourd’hui signer son grand retour dans la capitale où elle a grandi et étudié. Le tout autour d’un projet aussi excitant de vertigineux : reprendre les commandes d’une institution culinaire historique.

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Konbini | D’abord, Sarah, comment vas-tu ?

Sarah Chougnet-Strudel | J’ai un peu froid… Après le soleil de Marseille, mais je retrouve mes marques et je suis contente de retrouver Paris, où j’ai grandi et étudié ! Ça reste ma maison aussi.

Pourquoi avoir accepté de reprendre les cuisines du Trou Gascon ?

Regain a trois ans maintenant et le restaurant tourne bien, je suis très bien entourée à Marseille, on a une super équipe en place et j’avais envie d’une nouvelle aventure. Quand Grégory Reibenberg et Jean-Félix Frichot m’ont proposé de m’embarquer dans cette aventure, j’ai tout de suite été emballée par le projet. Faire revivre une institution de la cuisine française, prendre le relais d’un grand chef comme Alain Dutournier, mais aussi mettre à profit la carte blanche que me donnaient les nouveaux propriétaires pour une carte renouvelée mais où seraient présents des clins d’œil à la Gascogne.

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C’est une grosse responsabilité de reprendre un lieu aussi emblématique ? Pas trop la pression ?

Je mesure bien la responsabilité de reprendre un lieu aussi emblématique. J’ai d’ailleurs commencé ce challenge par une rencontre avec Alain Dutournier et sa femme Nicole qui ont porté ensemble ce lieu pendant 51 ans (1973-2024). Je voulais qu’il me raconte leur histoire, leurs galères et je suis très admirative de ces personnes qui ont consacré une partie de leur vie à porter ce lieu et le faire vivre. Cet héritage donne envie de continuer à nourrir cette belle histoire d’accueil des clients. Donc oui, la pression est grande !

Comment comptes-tu imposer ta patte culinaire ?

Depuis que j’ai ouvert le Regain, on me demande de “définir ma cuisine”. Cette question a souvent été un casse-tête pour moi parce que je fais une cuisine instinctive qui part du produit et où la démarche créative découle de ce que les maraîchers et pêcheurs me proposent. Je suis impressionnée par les cuisiniers/cuisinières pour qui cette réponse est facile et évidente.

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Quelle philosophie de cuisine souhaites-tu insuffler au Trou Gascon ?

Ici pour le Trou Gascon, c’était beaucoup plus clair dans ma tête, j’ai tout de suite su ce dont j’avais envie et le fait d’avoir une contrainte me plaisait beaucoup. Contrainte que je me suis imposée toute seule : reprendre les classiques de la cuisine bourgeoise ; remettre la tête dans les livres de cuisine et essayer avant tout de comprendre les codes pour pouvoir les retravailler derrière.

Combien de temps tu as passé à travailler sur la nouvelle carte ?

J’ai passé trois semaines à bosser la carte, relire des livres que j’avais presque oubliés comme le bouquin extraordinaire d’Alain Chapel (la cuisine c’est bien plus que des recettes) qui devrait être le livre de chevet de tous les cuisiniers et cuisinières.

C’est quoi les challenges ? Essayer de mêler l’héritage du lieu et de sa cuisine avec ta vision de la cuisine ?

Je dois dire que je suis fière d’être une femme à la tête d’une cuisine qui a été tenue par un homme. Quand j’ai commencé la cuisine, Alain Dutournier faisait partie des grands chefs que je rêvais de découvrir et côtoyer professionnellement. Pour la construction de la carte, j’ai appliqué la même sélection scrupuleuse pour le choix des fournisseurs qu’au Regain et aujourd’hui on travaille avec mon équipe en essayant d’appliquer une démarche responsable et vertueuse au quotidien.

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Peux-tu nous citer quelques plats qui parviennent à faire le pont entre l’héritage du lieu et ton ADN culinaire ?

Pour les recettes, il y a des classiques : gâteau de foie, vol-au-vent, canard en trois services, soufflé, qui sont interprétés avec plus de légumes, moins de protéines animales, des épices, du piment et des agrumes incroyables (Mathieu Vessieres). Mon expérience en Asie a marqué la cuisine que j’ai envie de faire, ici le canard en 3 services reprend les codes de la cuisine chinoise. On a une attention toute particulière pour les sauces et les jus, le défi est à la fois de les alléger mais de respecter tous les traceurs de ce que l’on annonce. J’aime quand les goûts sont assez percutants et que l’on comprend clairement ce que l’on mange.

Quel type de restaurant tu rêves d’atteindre et proposer ?

Je tenais à avoir une formule midi et une carte le soir et on était tout de suite d’accord avec les deux patrons. Donc le midi, il y a une formule (entrée/plat/dessert) et le soir un choix à la carte ou on incite les clients à partager. La plupart des mets sont proposés dans des grands plats de service (comme à l’école hôtelière). C’est super kitch, j’adore !

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Au Trou Gascon
40 rue Taine (Paris 12e)