Des files d’attente monstre et des routes bloquées par l’afflux de clients venus en voiture récupérer leurs commandes : un peu partout où les établissements McDonald’s ont décidé de rouvrir leurs portes, ce sont les mêmes scènes qui se sont reproduites à l’identique.
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Après plusieurs semaines de fermeture, McDonald’s travaillait depuis plusieurs jours à son retour dans certaines villes et quartiers urbains, mais comment expliquer ces cohues et un tel engouement ? On a passé un coup de fil à Kilien Stengel, auteur gastronomique et enseignant chercheur à l’université de Tours, spécialisé dans la gastronomie et sur le discours culinaire.
Konbini food | Comment expliquer l’engouement et les longues files d’attente observées devant plusieurs établissements McDonald’s peu après leur réouverture ?
Kilien Stengel | Si l’opinion publique peut avoir la perception du McDonald’s comme un élément de malbouffe, tout le monde ne partage pas cette perception. À vrai dire, les perceptions sont très différentes en fonction de sa situation sociale, de sa culture, de son culte, de son environnement, de l’empreinte ou de l’héritage éducatif alimentaire que l’on a reçu plus jeune.
Ces différents ingrédients font que le McDonald’s peut évoquer la malbouffe pour certains, alors que pour d’autres cela incarnera des moments de convivialité, permettant à la famille de se réunir et de vivre un moment particulier. Il y a déjà eu plusieurs études sociologiques qui montrent que certaines familles se font plaisir en allant dans ce type d’établissement, car c’est un type de restaurant qui leur convient et parce qu’elles s’y sentent à l’aise, contrairement à d’autres formes de restauration.
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Est-ce que c’est un phénomène récent ?
Pour analogie, on peut s’amuser à observer que, quelles que soient les époques et les crises, il y a toujours eu des vannes qui se sont ouvertes. Si vous prenez le siège de Paris, en 1870, durant lequel tout le monde s’est retrouvé enfermé pendant plusieurs mois, il était impossible de manger ne serait-ce que du pain de qualité. On peut imaginer qu’à la fin du siège, il y a eu beaucoup d’excès dans la consommation d’alcool, de pain, et des problèmes nutritionnels qui en ont découlé. Donc, finalement, on ne fait que vivre ce que la nature humaine fait et réplique à longueur de temps.
“Aurait-on observé le même phénomène si Alain Ducasse avait été le premier à ouvrir son restaurant du château de Versailles ?”
En France, on sait que McDonald’s charrie un imaginaire beaucoup plus important et plus ancré que d’autres enseignes de restauration rapide. Cela a-t-il pu jouer dans cet engouement populaire ?
Nous vivons ici l’un des premiers accents du déconfinement. C’est l’un des premiers focus. Dans un mois, les focus comme celui-ci se seront multipliés et on ne les remarquera même plus. Dans ce cas précis, il y a ouverture de vannes. Un grand flot de personnes s’est ainsi dit : “Il y a un plaisir à prendre pour pas cher, allez, on va au McDonald’s.”
Mais au-delà de tout ça, la question était : comment les gens peuvent-ils se permettre d’avoir autant d’intérêt pour ce type de restauration ? C’est simple : il suffit de regarder autour de soi. Quand je regarde la ville de Tours où je vis, un McDonald’s s’est installé en plein centre-ville, sur la place centrale, et il parvient à remporter de grands suffrages.
Quand je demande à mes étudiants, où ne serait-ce qu’à mes deux fils de 15-18 ans, quel est le type de population qui fréquente ce fast-food, ils observent que cela concerne des gens entre 13 et 23 ans. Et quand on leur demande “pourquoi”, en aucun cas ils observent une critique sur le type de mets. La seule réponse à ce “pourquoi”, c’est “parce que l’on peut s’y réunir, ensemble”. C’est surtout “le lieu” qui est recherché, plus que “le contenu du repas”. Le “bien être et vivre ensemble” plutôt que le “bien manger nutritionnel”.
En allant au McDonald’s en famille, ou en s’y dirigeant en masse au drive, on assiste finalement à une seule et même quête de sociabilisation ?
De sociabilisation… ou simplement d’une action intéressante et originale, différente de toutes les actions que l’on a menées sur une période de confinement. En ce moment, c’est par exemple un moyen de sortir du jeu relationnel de l’apéro-visio et de revenir à un mode pratique de consommation incarné qui s’effectue en se déplaçant, en vivant l’instant en réel plutôt que par l’intermédiaire du numérique. C’est vraiment moi qui fais ici la démarche d’aller acheter, malgré le fait que ce soit au drive. Il y a l’idée et la démarche d’aller se faire plaisir en allant chercher quelque chose.
Si tous les restaurants avaient ouvert en même temps, aurait-on assisté à des scènes similaires selon vous ?
Non, c’est mathématique. À partir du moment où l’on aurait ouvert plusieurs lieux de restauration, la foule se serait diversifiée dans les différentes formules de restauration. Maintenant, est-ce qu’on aurait observé le même phénomène si Alain Ducasse avait été le premier à ouvrir son restaurant du château de Versailles ? Pour des raisons financières, on peut en douter.
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