Avec Nona et ses filles, Valérie Donzelli réconcilie féminisme et maternité

Avec Nona et ses filles, Valérie Donzelli réconcilie féminisme et maternité

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La première série de la cinéaste à l’univers fantasque est une ode à la maternité.

Il est conseillé d’avoir vu les neuf épisodes de Nona et ses filles avant de lire cette critique, qui contient des spoilers.

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Dans la liste des cinéastes qui rejoignent le monde merveilleux des séries, je demande le “D”, pour Donzelli. Après avoir séduit le grand écran avec son univers singulier, où la tendresse adoucit la dureté de la vie (on pense à l’inoubliable La guerre est déclarée, film sorti en 2011), la réalisatrice s’essaie à l’écriture sérielle avec Nona et ses filles, présentée en avant-première à Séries Mania et diffusée sur Arte depuis le 2 décembre dernier.

En neuf épisodes, elle nous raconte les liens qui unissent trois filles – George (Valérie Donzelli), Gaby (Clotilde Hesme) et Manu (Virginie Ledoyen) –, âgées d’une quarantaine d’années, et leur mère Nona (Miou-Miou), 70 ans, à travers un événement extraordinaire, la grossesse inexpliquée de cette dernière.

Ce pitch loufoque, qui a quelque chose d’inconfortable, est le prétexte parfait pour réunir filles et mère sous le même toit, dans l’appartement aussi charmant que foutraque que Nona occupe depuis trente ans. Connue comme le loup blanc dans le quartier de la Goutte-d’Or, cette militante de la deuxième vague féministe (les années 1970) est responsable de l’antenne du Planning familial de cet arrondissement. Durant neuf épisodes, on va suivre les péripéties tragicomiques de cette famille et de leurs proches.

Si l’univers cinématographique de Valérie Donzelli vous enchante, vous entrerez dans Nona et ses filles avec onctuosité. Si, au contraire, le style si reconnaissable “cosy girly vintage” dansant et décalé de la réalisatrice marquée par le mouvement de la Nouvelle Vague vous horripile, passez votre chemin. On retrouve dans cette première série, qu’elle a coécrite avec Clémence Madeleine-Perdrillat (Mixte), tout ce qui fait son univers : un regard féminin singulier (ce fameux female gaze), un humour décalé, un amour certain pour la théâtralité et une envie d’en découdre avec des sujets sensibles.

Et de la tendresse, on en a beaucoup pour cette ribambelle de personnages. On se plaint parfois de l’arrivée des cinéastes dans le monde des séries, car tels des bulldozers sûrs de la supériorité du grand écran sur le petit, ils ne cherchent pas à appréhender cette grammaire particulière et produisent régulièrement des œuvres médiocres. Ce n’est pas le cas de Valérie Donzelli. Son amour pour les personnages et son envie de scruter la société actuelle s’accordent à merveille avec l’écrin sériel.

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La fantaisie et la tendresse, c’est ce qui marque dans ce récit qui tente de réconcilier des filles et leur mère, mais aussi la maternité et le féminisme, deux notions complexes à associer, tant le mouvement féministe des années 1970, dont nous sommes les héritières, s’est forgé sur la dénonciation du mythe de la mère nourricière et sa déclinaison contemporaine, la femme au foyer.

Quarante ans plus tard, les femmes qui ne veulent pas d’enfants sont toujours considérées comme “anormales”. Celles qui en veulent, ou en ont, sont peut-être mieux acceptées par la société, mais surtout en apparence, et la mise sur le devant de la scène de concepts de “charge mentale” ou des violences obstétricales par le féminisme contemporain vient nous rappeler que les femmes, mères ou non, subissent quotidiennement le patriarcat.

Valérie Donzelli a senti l’air du temps sur ce sujet : parentalité et féminisme n’ont jamais été aussi interrogés qu’en notre ère post-#MeToo. Mais célébrer la maternité peut comporter des écueils. La grossesse inexpliquée de Nona (et ce ventre qui s’illumine de rouge) la transforme en une sorte de divinité aux yeux de femmes qui tentent d’avoir un enfant. Parce que oui, sans tomber dans l’essentialisation du corps des femmes cisgenres, on peut reconnaître que malgré toute la science du monde, il reste une part de magie, un truc assez dingue dans le fait d’avoir le (super) pouvoir de donner la vie.

Avec Nona et ses filles, Valérie Donzelli fait preuve d’audace : elle s’est donné pour mission de créer une œuvre artistique sur un sujet éminemment politique. Cette dimension, elle la met notamment en scène de façon théâtrale dans le très beau monologue féministe de Mona dans l’épisode 7, qui n’a pas dû être facile à écrire. Splendide dans le rôle-titre, Miou-Miou nous parle avec sincérité de l’ambivalence d’être mère, des injonctions faites aux femmes tout au long de leur vie, et s’adresse aux hommes : “Laissez-nous vous aimer comme des hommes, et pas comme des enfants.”

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La série présente des figures masculines non toxiques, qui se font le reflet d’une nouvelle génération d’hommes ne se construisant pas sur la binarité de genre, ou sur des codes virils et machistes. Chez Donzelli, les hommes sont d’une douceur rafraîchissante. Comme pour contrebalancer ce focus sur la maternité cisgenre et hétéro, la série joue avec bonheur à renverser les codes habituellement attribués au féminin ou au masculin.

La sage-femme est un homme, prénommé Paou (Barnaby Metschurat). Le personnage qu’elle incarne, l’éternelle étudiante George, “loseuse” magnifique qui prend soin de sa famille dans une société où seul·e·s les ambitieux·ses sont célébré·e·s, a un prénom d’homme. Elle lance des répliques comiques du genre : “Les hommes, moi je n’y comprends rien !”, qu’on a tellement entendue dans la bouche des hommes envers les femmes.

La cinéaste aborde, certes un peu timidement, la fluidité des orientations sexuelles. Ainsi, Manu, femme au foyer croulant sous la charge mentale, se trouve attirée par une femme, Rosi (Léonie Simaga). Des flash-back de la jeunesse de Nona avec une amie très importante dans sa vie passée laissent planer le doute d’une possible liaison. On aurait aimé que ces arcs romantiques lesbiens ne soient pas qu’esquissés.

Et puis, l’enfant de Nona se révèle intersexe. À l’heure où les esprits s’échauffent autour des questions de genre et d’orientation sexuelle, lors d’une scène, les sœurs tombent d’accord sur le fait que le bébé, Sam, décidera lui-même, plus tard, de ce qu’il veut faire de ses organes génitaux et de son genre. Du bon sens, pour le bien de l’enfant.

Dans cette logique d’inversion et pour accompagner les changements sociétaux à bras ouverts, le Planning familial s’ouvre vers la fin de la série à l’idée de créer une branche dédiée à aider les femmes précaires qui veulent avoir des enfants. Compte tenu de l’historique du Planning et de ce qu’il représente – le combat pour l’avortement et les moyens de contraception –, ce choix narratif risque de crisper. Mais on reste sur la thématique principale : le droit des femmes à disposer de leurs corps.

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Les intrigues au Planning posent aussi parfois question : la façon dont Manu s’engage dans l’association s’inscrit dans l’héritage de sa mère, mais elle est dépeinte comme très vite presque plus compétente que son crush, Rosi, placée dans une position subalterne alors qu’elle a plus d’expérience au sein de l’association. Rosi est la seule protagoniste noire un peu développée, les autres personnages racisés tiennent des rôles très périphériques, alors que l’action se situe dans le 18e. On comprend bien qu’on raconte l’histoire d’une famille blanche dans cette série et c’est une perspective valable, mais force est de constater que la série, aussi charmante soit-elle, s’inscrit dans un long continuum de sous-représentation des personnages racisés, notamment des femmes noires sur le petit écran et dans la pop culture.

Si les thématiques féministes et inclusives vous tiennent à cœur, il devient impossible de ne pas avoir envie de disséquer chaque choix narratif des scénaristes par ce prisme. Mais au-delà de la représentation de ces thèmes et de ce que la série dit de notre société actuelle, Nona et ses filles est un vrai petit cadeau de Noël familial, créatif, esthétiquement soigné. On entre, comme souvent dans les œuvres de Valérie Donzelli, dans une sorte de cocon fantasque dans lequel il fait bon se lover. Elle nous propose un tendre portrait de sœurs très différentes et lance un appel à la transmission entre générations.

Nona et ses filles est diffusée sur Arte tous les jeudis depuis le 2 décembre, et est disponible en intégralité sur la plateforme Arte.tv.