Bigre : qu’était « MK-Ultra », l’inquiétant projet de manipulation mentale de la CIA qui a inspiré la saga Jason Bourne

Brainwash

Bigre : qu’était « MK-Ultra », l’inquiétant projet de manipulation mentale de la CIA qui a inspiré la saga Jason Bourne

Administration de LSD et chocs électriques non-consentis... Dans les années 50, l'agence américaine a zombifié ses citoyens pour élaborer un "sérum de vérité".

Mais qu’a-t-il bien pu arriver à Jason Bourne ? Si dans les romans d’origine, l’amnésie dissociative du super-agent est due à une “banale” blessure par balle, l’adaptation cinématographique suggère une autre origine, autrement plus machiavélique, au trouble dont est frappé notre tueur d’élite. Au rythme des épisodes de la saga, l’énigme s’éclaircit : le protagoniste campé par Matt Damon a été “recruté” – torturé, surtout – par la CIA pour être transformé en machine à tuer. Une sacrée fable, relevant du seul domaine de la fiction ? Si seulement.

Pour tisser l’intrigue de ce qui allait devenir une saga d’action movie cultissime, les scénaristes se sont basés sur un scandale qui, aujourd’hui encore, entâche la réputation de la plus célèbre agence de renseignements au monde : le projet MK-Ultra. Une mission de recherche expérimentale née durant la guerre froide, et longtemps demeurée “secret défense”, durant laquelle des centaines d’individus non-volontaires ont été réduits à l’état de “cobayes” à l’appui de moyens psychédéliques et électriques. Tout ça au nom… de la mise au point d’un nouvel arsenal de défense “mental”. Focus.

Course à l’armement psychologique

Aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale, une question s’impose dans l’esprit soucieux du gouvernement américain : comment terrasser la “menace rouge” venue d’URSS ? On creuse, on fouille – on teste. Pour remporter la victoire, tous les coups sont permis. D’autant qu’on suppose que l’ennemi a un train d’avance. Durant la Guerre de Corée (1950-1953), certains pilotes de la US Air Force critiquent publiquement leur pays natal en des termes étrangement proche de la terminologie communiste, après leur capture. Pire encore : plusieurs d’entre eux, une fois rapatriés, mentionnent de nébuleuses séances de tortures mentales. Il n’en faut pas plus pour que les États-Unis soupçonnent la mise en œuvre de protocoles de manipulation psychologique.

Afin de rattraper ce qu’elle suppose être un wagon de retard, l’Amérique met un coup d’accélérateur à ses recherches en la matière – qui datent des années 20, au moins, et visaient globalement à confectionner un “sérum de vérité” capable de pousser n’importe qui à divulguer n’importe quelle information, même contre son gré. C’est alors que naît ce qui allait devenir le “projet MK-Ultra”.

Du LSD et des électro-chocs pour donner naissance au “super-soldat”

Pendant près de 20 ans, la CIA va dépenser des sommes pharaoniques (25 millions de dollars, rien qu’entre 1953 et 1963) pour élaborer des procédures d’un genre nouveau – et tout à fait illégales. Concrètement, des experts se rendent auprès de populations marginalisées, souvent dans des hôpitaux psychiatriques ou  des centres de détenus. Une fois sur place, ces “chercheurs” plongent à leur insu certains individus en coma chimique. Ils utilisent des électro-chocs, leur font subir ce qui s’apparente à de la torture mentale : isolement dans des chambres de carence sensorielle, usage de phrases répétitives et dégradantes comme seul environnement auditif… Aussi, ces “cobayes” se voient administrer de fortes doses de LSD, ou encore un dérivé de mescaline. Une substance qui causera lors d’une “expérience” la mort de Harold Blauer, un joueur de tennis pro entré en unité de soutien psychiatrique après son divorce.

On estime qu’au total, une quarantaine d’universités, une douzaine d’hôpitaux et trois prisons ont participé à ces funestes tests. Souvent sans savoir qu’ils travaillaient pour la CIA. Mais quel était l’objectif de l’agence de renseignements, exactement ? Booster les capacités physiques d’éventuels soldats, développer des “pilules d’amnésie”. Mais aussi contraindre le quidam à commettre des crimes ciblés par la CIA elle-même. Dont acte les termes d’un document déclassifié et daté du 22 janvier 1954, où on lit : 

 “Il a été proposé qu’un individu d’origine (censurée), âgé d’environ 35 ans, bien éduqué, maîtrisant l’anglais et bien établi socialement et politiquement dans le gouvernement (censuré) soit amené sous ARTICHOKE (un sous-projet de UK-Ultra, nldr) à accomplir un acte, contre sa volonté, de tentative d’assassinat contre un éminent politicien (nationalité censurée) ou, si nécessaire, contre un fonctionnaire américain”

Opération “table rase” 

Difficile d’établir avec exactitude l’étendue des ravages du “MK-Ultra”, puisque la plupart des archives y étant liées ont été… brûlées. En 1973, le projet est mis à l’arrêt et celui qui était alors président de la CIA depuis 10 ans, Richard Helms, ordonne la destruction de tous les fichiers en lien avec la manipulation mentale, et l’expérimentation de moyens chimiques. De quoi enterrer jusqu’au souvenir même de ces recherches criminelles ? Pas tout à fait.

L’année suivante, plusieurs enquêtes du New York Times révèlent – au moins en partie – le pot aux roses. Ce qui entraînera la création de trois comités d’enquête parlementaire. Sans manquer de nourrir durablement les théories du complot les plus fantasques, ainsi que… l’imaginaire des créateurs de tous bords. Du titre MK Ultra de Muse au scénario de Call Of Duty : Black Ops, les références à ces révélations innervent la culture pop. Au point d’avoir donné sa background story à l’un des plus célèbres super-assassins du cinéma : Mister Bourne. On t’oublie pas, Jason !