Comment la franchise gaming “Tony Hawk’s” a changé à jamais le visage du skateboard

Rond, triangle, rond

Comment la franchise gaming “Tony Hawk’s” a changé à jamais le visage du skateboard

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Par Antonin Gratien

Publié le

Si ce sport est passé de pratique "underground" méprisée à discipline des prochains JO, c'est notamment grâce à la popularité de la saga.

Le skate n’a pas toujours été l’emblème du cool qu’il est aujourd’hui, loin s’en faut. Fût un temps où sa poignée d’adeptes étaient incompris – voire franchement méprisés. Parmi les éléments qui ont changé la donne en “hypifiant” ce sport autrefois associé à une marginalité douteuse, on peut citer la filmographie punko-trash de Larry Clark, l’essor de la marque Supreme, ou encore le retentissement médiatique des X Games, bien sûr. Mais impossible de ne pas mentionner aussi, et peut-être surtout, la série de jeux vidéo “Tony Hawk’s”, concoctée en collaboration avec l’athlète vedette, et écoulé à plus de 30 millions d’exemplaires.

C’est sur l’influence décisive (et surprise) de cette franchise née en 1999 que se penche le docu Pretending I’m a Superman. Une enquête dispo sur Prime Video qui jongle entre images d’archives, entretiens avec des professionnels et séquences de gaming, évidemment. Tout ça, histoire de mettre en lumière comment une sortie Playstation sans prétention a pu joué un rôle majeur dans “la transformation du skate en discipline olympique”, en 2020. Dixit Tony Hawk himself.

Le skate, une affaire de looser ?

Des années 70 au début des 90’s, la notoriété du skateboard suit une trajectoire en dents de scie. Pratique de rue imprégnée de la philosophie punk Do It Yourself (DIY), la ride est rapidement liée, dans l’imaginaire collectif, au désœuvrement. À la paresse, aux délinquances. Les parents s’en méfient, donc les kids l’adorent. Logique.

La plupart du temps, ses adeptes pratiquent dans la rue, faute d’avoir des infrastructures adaptées. Passé l’élan des seventies qui avait vu fleurir de nombreux skateparks, sous le soleil californien notamment, les espaces dédiés ferment en domino. Fin de partie ? Pas tout à fait. Alors que d’aucuns annonçaient la mort d’une pratique jugée dangereuse, et peu accessible, le lancement des X Games en 1994 donne un nouveau souffle (salvateur?) au skate.

Diffusée sur les ondes TV, cette compétition de sport extrême offre une visibilité inédite à la planche à roulette, par delà l’habituel cercle d’initiés. C’est à l’occasion de ce concours que Tony Hawk, notamment, s’illustre. Acrobate prodigieux à la bouille de gendre idéal, le sportif confie à sa discipline une aura de “respectabilité”. Avisé de ses records, Activision le contacte pour concocter un jeu de simulation. Le skater (lui-même gamer, notons) ne s’en doute pas encore, mais en disant “oui”, il vient de donner une nouvelle dimension à sa carrière. Et à son sport elle-même.

Tony Hawk’s skateboarding : un triomphe à la hauteur de la discipline 

Au début, personne n’y croit vraiment. Dans les couloirs d’Activision, on se répète avec inquiétude que le skate ne représente qu’un marché de niche, qu’on court à la catastrophe. Et pourtant. Au moment où sort la démo de Tony Hawk’s skateboarding, la jeunesse n’a que ce titre sur les lèvres. Les joueurs sont captivés par cette ambiance rock, où on enchaîne avec une gourmandise de gosse les gamelles les plus sévères, comme les tricks les plus intrépides.

Réaliste sans être frustrant (Tony Hawk a lui-même participé à la modélisation des figures), le futur hit est attendu de pied ferme. Cerise sur le gâteau : 3 mois avant sa sortie en 1999, Tony Hawk plaque – enfin ! – son légendaire “900”. Comprenez : 900 degrés de rotation effectué en l’air, avant de retomber sur la planche. Niveau coup de com’, difficile de rêver mieux. 

À peine sorti, Tony Hawk’s skateboarding s’écoule comme des petits pains chez les magasins spécialisés puis s’invite dans l’intimité ouatée des foyers du monde entier. Là, confortablement installé sur console, le jeu devient la caisse de résonance de toute la sous-culture d’un sport de rue décrié – lorsqu’il n’était pas tout simplement inconnu. Un peu partout, une jeunesse avide de sensations fortes empile selon l’esprit d’arcade les “rond, triangle rond” pour caler ses backflip, et autres grind, dans plusieurs espaces urbains virtuels conçus comme des skateparks.

Le tout en enfiler les baskets abîmées (forcément) de skaters pro modélisé pour l’occas’, et sur fond de tracks iconiques, orientées hip hop et skate punk. Carton à part entière, la BO a propulsé certains groupes US sur la scène internationale. Comme Goldfinger, auteur de Superman, le titre phare du jeu. “Lors de notre première tournée européenne, tout le monde devenait fou lorsqu’on jouait cette chanson. Être sur la bande-son du jeu a définitivement donné une nouvelle dimension à notre carrière”, raconte John Feldmann, chanteur et guitariste du groupe.

“C’est pas toi, le mec du jeu ?”

Acclamé par la critique comme l’ultime simulation de skate, le bébé de Tony Hawk donne naissance à une nouvelle frange de fans. Par milliers – voire dizaines de milliers – des ados électrisés par la culture punch du jeu s’improvisent soudain skaters dans leur rue, leur parking, leur centre-ville. Ainsi du grand champion Aaron Homoki : “Jamais je n’en serai là où j’en suis sans cette saga. Pendant des heures, je m’amusais avec ma planche à reproduire les tricks que je faisais sur console. Ça a été un élément déclencheur”.

Fort de son succès, Tony Hawk’s skateboarding a rapidement droit à des suites. La trilogie d’origine est communément saluée comme l’une des meilleures de l’histoire de la Playstation (1, puis 2). Et transforme les skateurs pro “contrôlables” en vedettes mondiales – Tony Hawk en premier lieu. Mais pas que. “Je me rappelle qu’une fois deux types costauds étaient arrivés vers moi, l’air furieux. Puis d’un coup, l’un deux me lance : “c’est pas toi le mec du jeu ?”. Avant de demander d’un air enfantin si je pouvais lui montrer une figure“, se souvient avec amusement Rodney Mullen, star du skateboard street “jouable” dans le second opus, notamment.

Porté sur XboX, sur ordinateur, sur GBA et sur téléphone portable, la franchise rapporte près d’un milliard de dollars, grâce à la commercialisation de 18 jeux vidéo – dérivés et remakes inclus. D’abord perçue comme révolutionnaire, la saga Tony Hak’s Pro (THPS) perd en notoriété au mitan des années 2000. La faute à un gameplay qui s’essouffle, puis l’arrivée en 2007 de Skate, un jeu concurrent propulsé par EA. Mais qu’importe.

Aux yeux des intervenants du documentaire, passé cette date clé, THPS avait déjà accompli son Grand Œuvre : démocratiser le skateboard. D’Eric Koston à Jordyn Barrat, les nouvelles étoiles de la discipline sont unanimes : la franchise a ouvert les horizons d’un sport longtemps resté “de niche”. “Avec cette saga, le plafond qui entravait le skateboard a explosé”, résume le skater pionnier Chad Muska, “jouable” dans la plupart des titres de la franchise.

Bref, que ce soit grâce à sa bande-son tirée au cordeau, sa prise en main grisante, ou son accent mit sur l’inclusivité des persos contrôlables (hispaniques, noirs, féminins…), THPS a changé la donne. La référence absolue, pour toute une génération. De sorte que si vous demandiez aux jeunes riders en lice pour la compet’ des JO 2024 d’où vient leur passion, une bonne partie répondrait sans doute : “Tony Hawk’s Pro Skate”. Le plus beau des héritages.