Hollywood se lassera-t-il un jour du destin de “Pablo” ? Pas sûr. Mais après Paradise Lost, Blow, Infiltrator, Barry Seal : American Traffic et, évidemment, Narcos, nécessité était d’apporter un regard neuf, pour traiter le sujet sans risquer la redite. Un défi auquel s’est attelé Fernando León de Arano, en prenant pour point de départ de son film Escobar (2017) l’histoire vraie de la romance passionnelle entre le narcotrafiquant et une journaliste colombienne, Virginia Vallejo.
La méthode du cinéaste ? Adapter le récit biographique de la seconde, intitulé Loving Pablo, Hating Escobar (2007) sans oublier d’enrôler au casting un duo iconique, en la personne de Javier Bardem et Penélope Cruz (couple à la ville). Résultat : un angle inédit, pour brosser – encore – l’ascension puis la déchéance de celui qui, un temps, fût considéré comme “l’ennemi numéro un des États-Unis”. Mais le biopic relate-il fidèlement cette trajectoire hors normes, toute de démesure sanglante et de trahison crasse, qui a fait plonger la Colombie moderne dans ses années les plus noires ? On décortique le scénar’, point par point.
1. Virginia Vallejo a-t-elle participé à faire d’Escobar un Robin des Bois ?
Complètement. Celle qui était la plus célèbre présentatrice de la télévision colombienne des 70’s rencontre le baron de la drogue par l’intermédiaire de son petit ami de l’époque. Le couple se rend sur les terres d’Escobar – l’Hacienda Napoles – puis, comme le montre le film, la journaliste participe à construire son image d’homme “juste” en l’interviewant devant la tristement célèbre décharge à ciel ouvert de Moravia, du côté de Medellín, où le narco prévoyait de bâtir des dizaines de logements sociaux.
À propos de cet instant, elle avait écrit : “je n’en ai plus rien à faire, ni de la fétidité ni de l’horreur de cette décharge, ni de la façon dont Pablo ramasse ces tonnes d’argent : tout ce qui m’importe ce sont les mille et un tours de magie qu’il opère avec cette manne”. Bref, l’idylle éclôt. Et Virginia Vallejo, chargée d’écrire la “biographie” de son amant, usera à plusieurs reprises de son influence pour dorer l’image de l’infréquentable Pablo Escobar. Geste d’amour, diront certains.
2. Medellín lui était-elle acquise ?
Le film donne à voir cette municipalité comme une complice enthousiaste des méfaits de Pablo Escobár. Depuis les bas-fonds de la ville, des foules se pressent pour lui rendre service en éconduisant les autorités. Pour peu, on aurait l’impression que n’importe quel habitant lui sacrifierait sa vie. La réalité est beaucoup plus nuancée. S’il est certain que le narco avait gagné les faveurs d’une partie des colombiens précarisés par ses activités “philanthropiques” (construction de lieux sociaux…), notamment lorsqu’il a accédé en 1982 au poste de suppléant à la Chambre des représentants de Colombie pour le Parti libéral colombien, il n’en demeure pas moins que le pays – et Medellín, cœur battant du cartel d’Escobar, tout spécifiquement – a été saigné à blanc par les actes de terrorisme, règlements de compte et autres guerres ouvertes entre narcos impulsés par “el Patron”. De sorte qu’Escobar était plus craint qu’idolâtré.
3. La prison d’Escobar avait-elle un terrain de foot ?
Ça, et plus encore. Au début des années 90, celui qu’on surnommait parfois “el Robin Hood Paįsa” traîne beaucoup, beaucoup, de cadavres. Une hécatombe liée au tristement célèbre credo “Plata o Plomo” – comprenez : soudoyer, ou assassiner. Juges, ministre de la justice, candidats à la présidentielle… Cette liste macabre s’allonge tant et si bien que le gouvernement réagit en engageant des négociations avec le baron de la drogue. Elles se soldent par la reddition du criminel en 1991, en échange de la garantie qu’il ne sera pas extradé vers les États-Unis. Mais ce n’est pas tout. Parmi les prérequis, Escobar a également stipulé qu’il aménagerait lui-même son centre de détention. Bilan des courses : sa prison – La Catedral – dispose d’un jacuzzi, d’une cascade et, oui, même d’un terrain de foot – culture nationale du ballon rond oblige. Le “détenu” se sentait si à l’aise dans ce qui avait rapidement été baptisé “l’Hotel Escobar” qu’il a fait assassiner quatre de ses lieutenants entre ses murs. Motif ? Trahison.
4. Pablo est-il mort après avoir imprudemment téléphoné à sa famille ?
Le déroulé des évènements paraît tout droit sorti d’un roman. Et pourtant. Soucieux du sort de sa famille, alors que plusieurs de ses proches ont déjà été assassinés, le baron de la drogue tente d’exfiltrer sa femme et ses enfants en Allemagne. Seulement voilà, Berlin rejette cette demande d’asile politique. Le stress monte d’un cran. Alors qu’il se terre dans une modeste maison à Medellín, “Pablo” craque le jour de son 44e anniversaire et, rongé d’inquiétude, prend de leurs nouvelles par téléphone. C’est l’opportunité que le Bloc de Recherche dédié à sa capture n’osait plus espérer. Comme le montre le film, ils remontent l’appel puis abattent Escobar.
Nous sommes le 2 décembre 1993. L’une des plus grandes traques de l’histoire criminelle prend fin sous la mitraille de la police, en laissant derrière une légende noire. Celle d’un homme dont la fortune personnelle aurait un jour culminé à 30 milliards de dollars, et qu’on présume responsable du décès de milliers de ses concitoyens – dont trois candidats à la présidentielle colombienne de 1989. Une vie portée par le souffle d’un rêve de grandeur, mais vécue dans une clandestinité interlope, angoissée et crasse, loin, très loin du glamour qui auréole parfois le parcours d’Escobar, dans l’imaginaire populaire. “Mon père n’était pas un homme heureux”, résumait auprès de nous son fils, l’architecte Juan Pablo Escobar Henao.