Voilà un rêve aussi vieux que l’humanité. Garder son tonus d’adolescent, prévenir la dégradation des organes, juguler les neuro-dégénérescences – bref, rester “jeune”. Longtemps cantonné au seul domaine de la poésie, le fantasme d’une jouvence intarissable s’infiltre désormais jusqu’au domaine – cartésien, pourtant – de la rationalité scientifique. C’est qu’à travers l’avancée galopante de la recherche médicale, un nombre croissant de professionnels croient aujourd’hui déceler la promesse de solutions “rajeunissantes”.
Consommation massive d’antioxydants, “mini” chimiothérapies… Des méthodes expérimentales, aux assises cliniques souvent jugées bancales – lorsque l’usage des produits impliqués n’est pas dénoncé comme toxique. Au fil d’une série d’entretiens menés auprès d’experts de la santé et de “testeurs”, l’enquête À la recherche de l’homme immortel réalisée par Jacqueline DuBuis jette une lumière crue (et critique) sur les périlleux procédés de ceux qui, envers et contre tout, entendent bien accomplir l’invraisemblable : tuer la mort. Dispo chez Prime Video.
Antioxydants, l’arnaque de la décennie ?
L’un des premiers intervenants du documentaire en est persuadé : même si elle n’est reconnue par les assurances françaises, la médecine “orto-moléculaire”, joue un rôle “préventif” majeur dans l’apparition de maladies liées au vieillissement. Basée sur l’absorption de compléments alimentaires, cette méthode vise au “rééquilibrage” de l’organisme par l’élimination d’excédents d’oligo-éléments délétères (les métaux lourds), et l’absorption d’antioxydants censés préserver nos cellules. Seulement voilà, côté gériatres, on lève un sourcil sceptique.
“Il y a eu beaucoup d’espoir de ce côté-ci”, atteste le médecin Christophe Büla. Avant de dérouler : “concernant les antioxydants de type vitamine C et vitamine E, en laboratoire il y a eu quelques essais encourageants. Mais au moment du passage à l’humain, on n’a pas observé les mêmes bénéfices. Pire encore : du côté de la vitamine E, on a même relevé des effets délétères. Notamment sur l’apparition de risques cardio-vasculaires”. Conclusion sans appel : “la balance bénéfice-risque ne penche malheureusement pas du bon côté”.
La foire où nul ne vieillissait
Pour ceux qui accordent crédit au prodige “anti-âge”, il existe un rendez-vous immanquable : le RAADfest. Une sorte de foire “pour l’extension médicale de la vie” localisée en Californie, où l’on retrouve pêle-mêle des conférenciers à l’allure de gourous, quelques étables de produits “miracles” et une foule de chalands éminemment fortunées, venus donner leur chance aux produits boudés par la pharmacopée “traditionnelle”, de la médecine douce aux dispositifs qu’on croirait sortis d’un film SF.
En pleine transfusion d’enzymes, un participant du festival explique, l’air de rien, qu’il gobe une douzaine de médicaments par jour, en les détournant souvent de leur usage initial. Antidiabétiques, immunosuppresseurs destinés au greffés… Un cas isolé ? Pas vraiment. D’autres, comme Bill Faloon, fondateur de l’Église de la vie perpétuelle (oui, oui, ça existe), recommandent carrément la chimiothérapie. Mais en doses infimes – ouf ?
“J’encourage les gens à expérimenter sur eux-mêmes, sous contrôle d’un médecin (…)”, explique-t-il. Avant de juger bon de spécifier : “pour l’instant nous n’avons pas observé d’effets secondaires indésirables dans nos groupes d’observation, d’ici 12 à 24 mois, on verra ce que ça donne”. Avis du gendarme américain du médicament, la FDA, sur cette méthode “à l’aveugle” ? “L’agence fédérale désapprouve, mais nous ne pouvons pas attendre sa bénédiction (…). Nous savons déjà partiellement comment inverser le vieillissement”, assure-t-il.
Pourtant, question preuves tangibles, ça coince. On serait presque tenté de croire que tout ça repose sur du vent ou… Une “intuition”, comme l’explique avec un applomb décontenançant le chercheur en biologie du vieillissement Audrey de Grey : “les preuves c’est le grand mot en sciences. Mais toutes les innovations pionnières franchissent les obstacles les uns après les autres, alors que la seule preuve qu’il y est à l’origine relève de l’intuition. Ce penchant instinctif, que des chercheurs tels que moi ont”. Hyper rassurant, Audrey.
Manipuler son ADN, se numériser ou mourir – il faut choisir
Au cœur du rassemblement “scientifique” qu’est le RAADfest, naviguer à vue semble être la norme. Ici, une femme s’administre sa “médecine auto-régénérante” faite maison, sur la base d’un cocktail d’une vingtaine de médicaments ingéré quotidiennement. Là une conférencière star, Liz Parrish, est acclamée pour être la première humaine à s’être modifiée génétiquement.
Elle est la “patiente 0” de son entreprise BioVia, qui élabore des “thérapies géniques” luttant contre l’appauvrissement des cellules souches. À l’heure actuelle, impossible de déterminer si la méthode est efficace ou pas. Mais certains médecins tirent déjà la sonnette d’alarme : l’injection de télomérase impliquée dans l’une des opérations jouerait un rôle… Dans le développement de certains cancers. De près comme de loin, tout ça paraît a minima hasardeux.
Enfin, pas pour James Strole, co-fondateur star du RAADfest qui s’était révélé être un piètre oracle, en affirmant en 2020 : “dans les 3 à 5 nous aurons quelque chose qui étendra notre vie spectaculairement. De 50, voire 150 ans. Après tout, la vieillesse est une maladie curable”. Nous sommes en 2023, la mort court toujours et l’espérance de vie moyenne stagne aux alentours de 82 ans, en France. Pour avancer, peut-être faut-il attendre que Calico, la branche de Google dédiée aux recherches contre le vieillissement, valide ses découvertes par la FDA ?
L’idée transhumaniste d’une existence prolongée – à l’infini, potentiellement – par l’innovation numérique fait évidemment saliver les géants de la Silicon Valley. Et certaines start-up cherchent à leur couper l’herbe sous le pied, en se mettant d’ores et déjà en pole position sur le marché de l’after life. Etern.mi entend, par exemple, élaborer des alter ego numériques à partir d’une compilation de datas. Mails, SMS, contenus de réseaux sociaux etc. De son côté la société Nectome, pilotée par deux anciens du MIT, souhaite préserver le cerveau de personnes décédées, pour pouvoir l’uploader un jour… Dans un ordinateur. On n’arrête pas le progrès, paraît-il.