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3 bonnes raisons d’aller voir le film suffocant As Bestas

3 bonnes raisons d’aller voir le film suffocant As Bestas

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© Le Pacte

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le , modifié le

Violence muette, potagers et Marina Foïs : le film As Bestas nous tient en haleine pendant 2 heures 20. Voici 3 bonnes raisons, s’il en fallait, d’aller le voir.

Des potagers, des paysan·ne·s, des tomates pourries et des embrouilles dans le voisinage… C’est avec ces ingrédients rustiques que Rodrigo Sorogoyen a cuisiné As Bestas, un thriller silencieux en pleine campagne espagnole. Deux ans après Madre, qui contait une histoire de deuil et d’amitié malsaine entre une femme et un adolescent, le réalisateur a pris un virage à 360 degrés, troquant les plages chics de la côte Ouest française pour la boue et le bétail d’un hameau galicien.

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As Bestas suit un couple français – campé par Marina Foïs et Denis Ménochet – qui a décidé de se mettre au vert pour cultiver des légumes et retaper des maisons abandonnées. Le rêve. Les deux débarquent dans un petit village d’Espagne, avec plein d’utopies dans le cœur et une grande détermination d’agriculteur·rice·s dans le sang… Jusqu’à la désillusion. S’intégrer dans un hameau n’est pas une mince affaire et les relations se tendent rapidement entre le couple fraîchement installé et les villageois·es.

La principale cause du litige : un contrat d’éoliennes qui permettrait aux paysan·ne·s de respirer un peu grâce à l’argent promis par une grosse entreprise norvégienne, contrat que notre couple de bobos ne veut pas signer pour des raisons purement écologiques et sanitaires. Leur enfer commence à partir de ce simple refus, et les frères Anta leur font vivre un calvaire. Deux mondes s’affrontent alors, l’ancien, têtu, et le nouveau, opportuniste.

#1. Pour sa vision nuancée

Qu’il est agréable de voir un film où le propos est nuancé et bien amené. Le réalisateur Rodrigo Sorogoyen n’émet à aucun moment une critique manichéenne sur ces deux écoles qui s’affrontent. D’un côté, les paysan·ne·s peu intéressé·e·s par les questions climatiques et sanitaires car ces villageois·es crèvent la dalle depuis des générations. De l’autre, des nouveaux arrivants qui colonisent leur territoire et qui essayent d’imposer leurs idéaux progressistes en ne tenant pas compte de la misère sociale qui fait tache sur leur utopie.

Les deux points de vue sont respectés et finement amenés, à tel point qu’il est difficile pour le public de prendre parti dès le début du film. Évidemment, aucun des deux partis ne mérite la mort et la violence, mais jusqu’à la fin, le public saisit profondément la souffrance qui habite et motive ces paysan·ne·s.

“Ce que je trouve intéressant dans la justice, c’est qu’elle n’est pas incontestable. Elle est relative. En fonction du point de vue qu’on adopte pour raconter une histoire, on peut avoir une certaine conception de ce qui est juste ou, à l’inverse, en avoir une vision radicalement différente”, confie le metteur en scène en évoquant sa scénariste Isabel Peña, à Allociné. À propos des deux frères Anta, incarnés par Luis Zahera et Diego Anido, il rajoute : “Sans jamais justifier leur comportement, nous comprenions leur frustration, leur haine et, aussi, leur peur.”

#2. Pour la performance de Marina Foïs

Le film est divisé en deux parties : la première met l’accent sur Denis Ménochet et la guerre déclarée par ses voisins. Elle montre tout le mal engendré par le mâle et relègue les actrices au second plan : la fille et la femme du héros ainsi que la mère des deux frères n’ont que très peu de lignes de texte et d’emprise sur la diégèse.

Malgré ses thèmes lourds, la seconde partie opère une respiration et relance considérablement le récit, comme Waves de Trey Edward Shults, également construit de cette manière. Et puis, quoi de plus agréable que de passer une heure avec Marina Foïs et sa fille jouée par Marie Colomb, dont l’aura nous avait déjà conquis·es dans Les Magnétiques de Vincent Cardona ?

Durant cette dernière moitié de film, le personnage de Marina Foïs lutte au quotidien pour tenir sa ferme, soutenir le regard des voisins, affronter sa fille, continuer ses recherches et porter son chagrin. Son jeu si profond et délicat ainsi que son expression marquée révèlent les stigmates du deuil qu’elle traverse. C’est, à ce jour, l’un des plus beaux rôles qu’il lui ait été donné d’incarner. Rodrigo Sorogoyen sait indéniablement diriger ses actrices : preuve en est avec Marta Nieto, qui livrait une performance époustouflante dans Madre.

#3. Pour sa mise en scène audacieuse

As Bestas ne fait que monter en pression et tenir son public en haleine, grâce au silence et aux instruments à cordes grinçants d’Olivier Arson. La photographie – dirigée par Alejandro de Pablo – est froide et pluvieuse, la plupart du temps, et nous plonge dans une atmosphère à la Prisoners de Denis Villeneuve, bien que l’intrigue se déroule sur les terres ensoleillées du nord de l’Espagne.

À la fin du film, deux scènes notables vous resteront à l’esprit. D’abord, la mort d’un personnage, filmée dans une douce violence, muette, qui rappelle la tradition des aloitadores, consistant à attraper les chevaux par le cou pour leur couper la crinière et les marquer. Cette tradition est évoquée au début du film et crée une boucle avec cette mort cruciale. Sur la caméra, on voit se dessiner la buée de l’ultime souffle de la victime.

Et enfin, la scène finale, avec Marina Foïs qui monte dans une voiture de police. Pour cette mise en scène, Alejandro de Pablo et Rodrigo Sorogoyen ont accroché une caméra à la portière du véhicule ; celle-ci est fermée par l’un des policiers et suit le mouvement jusqu’au visage de Marina Foïs, anxieuse mais installée confortablement, en route vers son intime dénouement.