Bien connue pour son obsession des pois, la Japonaise Yayoi Kusama est aujourd’hui considérée comme “l’artiste femme la plus reconnue au monde”. Ses installations psychédéliques sont pour elle un moyen d’échapper aux hallucinations et angoisses qui la troublent depuis son enfance, dont sa crainte de voir son individualité disparaître, engloutie par l’infini de l’univers.
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Le documentaire Kusama : Infinity, réalisé par Heather Lenz, retrace le parcours de cette femme d’exception. Son enfance à Matsumoto, son village natal, son installation à New York à la fin des années 1950, bien décidée à faire connaître son art, jusqu’à son internement volontaire dans un institut psychiatrique, où elle continue d’exercer son génie dans un atelier.
Retour sur la folie créatrice de cette femme exubérante, parfois décrite comme la “reine des scandales”, avec trois œuvres qui ont profondément marqué sa carrière.
Aggregation: One Thousand Boats Show, 1963
Exposée pour la première fois à la galerie Gertrude Stein à New York, cette œuvre s’illustre comme l’une des plus célèbres de Yayoi Kusama, et constitue sa première installation. Il s’agit d’une barque et de ses rames, submergées par une multitude d’excroissances. Dans la lignée de ses fameuses “chaises-pénis”, les sculptures molles qui recouvrent l’embarcation prennent la forme de sexes masculins.
Yayoi Kusama, “Aggregation : One Thousand Boats Show”, 1963. (© Yayoi Kusama)
L’artiste a ensuite photographié son installation pour retapisser entièrement la pièce dans laquelle était installée la barque avec sa propre image, jouant sur l’effet de répétition et d’accumulation. Comme bien d’autres, cette création traduit les états psychologiques de l’artiste qui, avec cette profusion de phallus, exprime sa peur du sexe.
L’installation a d’ailleurs “inspiré” son ami de l’époque Andy Warhol : en 1966, l’artiste emblématique du pop art reprenait l’idée de Kusama dans son Cow Wallpaper, un papier peint jaune sur lequel il avait aligné la photo d’une vache rose fluo. Après cet événement – Kusama avait déjà été plagiée par le sculpteur Claes Oldenburg, qui avait alors rencontré beaucoup de succès –, l’artiste japonaise s’est recluse dans son studio et en a obstrué les fenêtres pour protéger son art.
Peep Show or Endless Love Show, 1966
Yayoi Kusama, “Peep Show or Endless Love Show”, New York, 1966. (© Yayoi Kusama)
Avec cette installation, Yayoi Kusama repousse les limites de l’art et expérimente de nouvelles façons de questionner l’espace et son infinité. Son Peep Show prend place à la galerie Castellane, dans une pièce octogonale avec des miroirs en guise de murs. Au plafond, un tas d’ampoules aux couleurs différentes donnent à la salle un éclairage en mouvement constant, tandis qu’un ronronnement est diffusé en continu en guise de fond sonore.
Le spectateur pouvait s’immerger dans cet univers par de petites ouvertures dans les murs, donnant sur l’extérieur. Richard Castellane, qui a accueilli plusieurs installations de Kusama dans sa galerie, considère cette œuvre comme un “tournant dans l’histoire de l’art”.
Là encore, le succès de ses salles dites Infinity Mirror aurait suscité l’intérêt d’un autre artiste. Sept mois après l’installation du Peep Show, le plasticien Lucas Samaras dévoilait étrangement une salle en miroirs au sein de la prestigieuse galerie Pace, alors que ses travaux précédents, bien qu’en lien avec le verre réfléchissant, restaient très éloignés de ce concept.
Narcissus Garden, 1966
Yayoi Kusama, “Narcissus Garden” à la biennale de Venise, Italie, 1966. (© Yayoi Kusama/Courtesy of Ota Fine Arts, Tokyo/Singapore/Victoria Miro Gallery, London/David Zwirner, New York)
En 1966, Yayoi Kusama décide d’exposer son art à la Biennale de Venise. “Décide”, car elle n’y a pas été invitée : elle fait fabriquer 1 500 boules miroitantes et les dispose devant le pavillon de l’Italie, sans aucune autorisation. Devant, elle plante une pancarte sur laquelle est écrit “À vendre : votre narcissisme”, et vend ses boules aux visiteurs pour quelques dollars.
Ce faisant, Kusama brise la frontière qui veut que l’art soit réservé à une élite et suscite le mécontentement des organisateurs de la Biennale, qui lui demandent de stopper son commerce et de plier bagage. “Pourquoi mon art ne se vendrait-il pas comme des glaces ou des hot-dogs ?”, leur a répondu Kusama. Par la suite, le public se souviendra de l’image de l’artiste en justaucorps rouge, étendue au milieu de ses boules-miroirs.
En 1993, alors qu’elle est enfin une artiste reconnue, elle retourne à la Biennale de Venise, cette fois officiellement, pour y représenter son pays natal.
Yayoi Kusama, “Narcissus Garden” à la biennale de Venise, Italie, 1966. (© Yayoi Kusama/Courtesy of Ota Fine Arts, Tokyo/Singapore/Victoria Miro Gallery, London/David Zwirner, New York)
Yayoi Kusama, “Narcissus Garden” à la biennale de Venise, Italie, 1966. (© Yayoi Kusama/Courtesy of Ota Fine Arts, Tokyo/Singapore/Victoria Miro Gallery, London/David Zwirner, New York)
Le film documentaire Kusama : Infinity, consacré à la vie de l’artiste japonaise et présenté au festival Sundance, sort en salles ce mercredi 18 septembre.