Cannes : The Substance est (de loin) le film le plus gore de l’histoire de Cannes, et bien plus encore

Cannes : The Substance est (de loin) le film le plus gore de l’histoire de Cannes, et bien plus encore

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(© Metropolitan FilmExport)

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Par Arthur Cios

Publié le , modifié le

La satire de body horror portée par Margaret Qualley et une grande Demi Moore a été la séance la plus punk pour l’instant de ce 77e Festival de Cannes.

Au cours du Festival de Cannes, Konbini vous fait part de ses coups de cœur ou revient sur les plus gros événements de la sélection.

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The Substance, c’est quoi ?

À tous ceux qui disent que cette Compétition officielle est sage, voire chiante, Coralie Fargeat est venue pour vous mettre un parpaing dans la poire. Une cinéaste que le commun des mortels a découverte en 2017 avec son premier long-métrage, une série B féministe aussi bourrine que maligne, Revenge. Un “rape and revenge” à l’ancienne, à l’allure d’un Direct-to-Video, qui détournait plein de codes (dont celui du male gaze, qu’elle épousait à fond avant de faire un grand virage, pour raconter quelque chose du regard masculin, justement).

C’était en 2017. Et depuis, plus rien. On avait eu vent d’un nouveau projet, américain toujours (alors qu’on parle d’une cinéaste française, par ailleurs). À la rédaction de Konbini, on suivait de près ce tournage hollywoodien qui aurait dû comprendre Demi Moore, Margaret Qualley et Ray Liotta. Sauf que ce dernier est décédé avant le début du tournage du film.

Deux ans après, voilà que le film est annoncé, à notre grande surprise, par Thierry Frémaux pour être en Compétition officielle. Surprise, car on espérait l’avoir en Séance de Minuit ou en Hors Compétition. Le voir en Compétition laissait présager un film pas aussi “trash” qu’escompté.

Pour se faire une idée, on parle ici d’un long-métrage de body horror, qui suit Elizabeth Sparkle, une présentatrice fitness s’approchant de la cinquantaine. Et qui, face aux remarques sur son âge dans une industrie tyrannique sur le sujet (enfin, pour les femmes), décide de faire appel aux services d’une start-up qui propose de générer un double plus jeune, plus beau. Un nouveau soi. À la condition sine qua non que ce soit en alternance d’une semaine (une semaine l’ancien corps, une semaine le nouveau). Pile.

S’il était en compétition, c’est qu’il était plus sage que ce qu’on espérait donc.

On avait tort. Vraiment.

Pourquoi c’est absolument dingue ?

On va essayer de ne pas entrer dans trop de détails pour laisser un maximum de surprise.

The Substance est une anomalie dans l’Histoire, avec un grand H, de Cannes. Jusque-là, le genre et le Festival ne faisaient pas bon ménage. À part un Titane en 2021, un Old Boy en 2004 ou un Crash en 1996, le cinéma d’horreur était cantonné en Séance de minuit — et sans beaucoup de propositions ultra-radicales. Il faut reconnaître au comité de sélection un pif incroyable pour avoir mis le film en compétition. Cela ne fait aucun sens. Enfin si, évidemment que si.

On parle d’une métaphore étirée, transformée en satire cruelle et douloureuse, du diktat de la société mais surtout de Hollywood (c’est de la télé, mais le producteur de l’émission dégueulasse au possible s’appelle Harvey, comment dire…) envers les femmes. Envers les corps des femmes. Et qui part dans un délire gore à l’excès assez jouissif.

Comme dans Revenge, Coralie Fargeat fait épouser la forme au fond de son scénario. Déjà visuellement, où tout, des décors aux lumières, a l’air artificiel. Parfait pour parler d’une industrie plus fausse que nature. À ça se mélange un incroyable travail sur les textures. En usant, en grande partie, un objectif macro, Fargeat nous montre de très près les peaux, la carnation, mais aussi les vêtements, la bouffe. C’est un film incroyablement sensoriel et ludique sur cet aspect-là, mais pas que.

Et tout comme dans Revenge, la cinéaste épouse un regard masculin dégoûtant. Volontairement dégoûtant. Qui sexualise à l’excès ses actrices, les filme nues, sous tous les angles, tout le temps. On aurait dû compter le nombre de secondes où l’on voyait le postérieur de Margaret Qualley. Une nudité présente à outrance, qui rappelle à quel point on est submergé d’images de femmes dénudées, dans le monde de la mode par exemple.

Le besoin de se rajeunir, de s’accrocher à sa célébrité passée, parle autant de la dysmorphophobie des femmes d’aujourd’hui, qu’on renvoie sans cesse à leur jeunesse disparue, qu’à une industrie incapable de considérer comme belle, désirable, ou même juste talentueuse, une femme de plus de 40 ans. Le commentaire sur le propos est fort. Peu subtil, mais fort.

Mais là où le film nous attrape, c’est dans son utilisation du body horror. Littéralement “l’horreur du corps”. Les corps sont malmenés de bout en bout. Il faut bien comprendre : ce deuxième corps plus jeune, il faut qu’il sorte de quelque part. Spoiler : il sortira par le dos. Et puis, quand, sans surprise, la nouvelle mouture jeune veut gratter un peu plus de temps que les sept jours requis, cela a des conséquences physiques sur la Sparkle originale. On parle de putréfaction, d’abord d’un doigt, puis d’une jambe, puis d’un corps entier.

Le film fait mal, fait grincer des dents, procure des nausées, même aux spectateurs les plus résistants au gore, mais est d’une générosité débordante. On n’avait pas ressenti une telle tension, et une telle exaltation, dans la salle Debussy à Cannes depuis bien des années.

Et ça, c’était avant que ça ne parte dans un délire plus gore que gore, dans lequel Fargeat vient rendre hommage à pléthore de maîtres du genre — autant Cronenberg (entre La Mouche et ses corps purulents immondes, et Scanners pour les explosions de têtes) que John Carpenter (clairement la cinéaste avait en tête les créatures de The Thing, dont elle s’inspire à 1 000 % dans le dernier tiers pour la métamorphose finale de nos présentatrices, qu’elle a l’intelligence de faire autant que possible en prothèse physique et non en CGI). Ça cite du Alien, du Carrie, du Shining, du Society de Brian Yuzna. Et bien plus.

On n’avait jamais vu ça. À Cannes surtout. Et on est plus que ravis.

On retient quoi ?

L’actrice qui tire son épingle du jeu : Demi Moore, très clairement — c’est même incroyable qu’elle ait pu accepter un tel rôle.
La principale qualité : L’audace du projet, son travail graphique exemplaire et sa générosité débordante.
Le principal défaut : Parfois pas assez subtil, trop sursignifiant, et la nudité est un peu trop exploitée.
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Une grande partie du cinéma d’horreur de ces 40 dernières années, mais si vous n’êtes pas du genre à tourner de l’œil à la première goutte de sang.
Ça aurait pu s’appeler : ElisaSue, mais personne n’aurait compris.
La quote pour résumer le film : “Sorte de métaphore étirée devenue cauchemar sur le contrôle du corps des femmes à Hollywood, Coralie Fargeat offre un festin de gore intelligent et jouissif comme on n’en avait pas vu depuis bien longtemps — et à Cannes, comme on n’en avait tout simplement jamais vu.”