Vingt-cinq après la sortie de Romance de Catherine Breillat, Caroline Ducey, son actrice principale, revient sur le tournage du film dans un livre intitulé La prédation (nom féminin) où elle accuse la cinéaste d’avoir organisé son viol en plateau et sur les conséquences de ce traumatisme, qui ne sont pas sans rappeler l’histoire de Maria Schneider, violée sur le plateau de Dernier Tango à Paris.
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Alors brillante étudiante en prépa au lycée Condorcet, en 1998, Caroline Ducey, 22 ans, est retenue pour interpréter le rôle principal du sixième long-métrage de Catherine Breillat, cinéaste française qui se revendique féministe et transgressive, appréciée par la critique et qui accédera à la notoriété avec ce film. Pour elle, Romance est le récit de la quête sexuelle initiatique du personnage féminin et Caroline Ducey espère y dénoncer les rapports de domination dans l’amour. “Les enjeux sont résolument féministes, c’est un défi exaltant à relever […] Le scénario m’avait touchée, car il me semblait fondamental de perpétuer le combat pour l’indépendance des femmes”, écrit-elle dans La Prédation (nom féminin).
En promotion, la réalisatrice, qui a embauché le célèbre acteur de porno Rocco Siffredi sur le tournage, laisse entendre que les scènes de sexe ne sont pas simulées — “Breillat nous avait tous contraints à maintenir le mystère sur le sujet tout en revendiquant auprès de la presse que les scènes de sexe n’avaient pas été simulées. Face à ces injonctions contradictoires, nous ne savions quel était le discours à tenir” — mais sur le contrat signé par Caroline Ducey, il est écrit que la réalisatrice et le producteur s’engagent à ce que le film ne soit pas inscrit sur les listes relatives aux films pornographiques ou d’incitation à la violence — “Breillat est-elle restée floue volontairement ? J’ai pensé que cette zone d’imprécision me laisserait une marge de liberté. Elle était sans cesse contradictoire et modulait son discours en fonction de ses interlocuteurs. Il était impossible de discuter des scènes avant de les tourner.”
“La scène du viol”
Dans son récit, Caroline Ducey soutient qu’elle n’a jamais été informée que son partenaire de jeu serait une star du porno mais, mise devant le fait accompli, elle acceptera que la scène avec Rocco Siffredi soit non simulée. “J’avais donné mon accord pour servir le personnage de Marie et les enjeux de ce film auxquels j’adhérais […] Je considère pourtant avoir été manipulée dès cette scène, avec Siffredi pour partenaire, parce que tout s’est décidé au dernier moment et que je devais être doublée. Même si je ne l’ai pas vécu comme un viol, c’était un abus de pouvoir qui m’a sans doute autant fragilisée qu’une agression sexuelle.”
En revanche, elle affirme noir sur blanc avoir été violée par un autre partenaire de jeu, plus tard sur le tournage, lors d’une prise renommée “La scène du viol” en dernière minute. “Ce qu’il s’est passé lors de ‘La scène de viol’ est très différent, puisque pendant cette prise j’ai subi une pénétration bucco-génitale par surprise et sans que je puisse donner mon consentement : un viol caractérisé.”
Dans les pages de La Prédation (nom féminin), elle raconte que ce nouveau partenaire de jeu, recruté en dernière minute dans une boîte échangiste, lui aurait été présenté le jour même. Si la scène qu’ils doivent tourner figure bien dans le scénario, l’actrice est logiquement convaincue que son partenaire de jeu “va faire semblant, qu’il va simuler un cunnilingus” puis qu’il la retournera “pour feindre une sodomie”. Mais la réalité des faits sera, selon elle, bien différente puisque “quelque chose est entré”. “Je ne comprends pas ce qui se passe, quelque chose tourne et tourne sans s’arrêter à l’intérieur de mon sexe et me brûle. Du venin se répand dans mes membres et me paralyse.”
La scène sera interrompue pour changer la pellicule et Caroline Ducey menacera son partenaire pour lui interdire de recommencer. Lors de la seconde prise — avant laquelle l’actrice dit avoir surpris la réalisatrice masturber l’apprenti acteur pour qu’il maintienne son érection afin de retourner la scène — l’acte sera cette fois-ci simulé.
Souffrance et trahison
Une fois le tournage de Romance terminé, Caroline Ducey sera écartée de la promotion du film, qui sera presque entièrement focalisée sur la question de la simulation, ou non, des scènes de sexe et l’actrice ne sera pas même mise au courant de la sortie du film aux États-Unis. “La violence s’est poursuivie même après le tournage.”
Car l’arrivée du numérique et de la pornographie en libre accès va s’approprier l’identité de l’actrice et les scènes de sexe de Romance finiront sur des sites à caractères pornographiques, mettant à mal sa carrière et surtout, détruisant sa santé mentale, jusqu’à tomber dans l’addiction au crack et frôler la mort. “Sept minutes de présence de Rocco Siffredi dans le film, et j’en ai pris pour quinze ans. […] L’arrivée en masse des vidéos pornographiques en streaming a fait que, à partir de 2008, les propositions se sont radicalement raréfiées.”
Dans le livre d’entretiens avec Murielle Joudet Je ne crois qu’en moi, paru en 2023, Catherine Breillat anticipe les accusations de Caroline Ducey et nie le viol. “Nous avions tous des casques. Il est impossible dans ces conditions qu’un viol ait pu se produire sans incriminer la complicité active de toutes ces personnes. […] Cet acteur ne parvenait pas à bander. J’ai décidé que tant pis, la scène serait simulée”, rapporte Libération qui a enquêté sur le sujet.
En 2012, Caroline Ducey, qui n’a pas porté plainte, rend visite à Catherine Breillat afin de la confronter à sa responsabilité mais la cinéaste ne reconnaîtra rien. De son récit, on retiendra surtout ces mots : “Elle m’avouera pendant le tournage qu’elle m’avait choisie pour ma candeur et ma jeunesse. Tout était réuni pour qu’elle puisse faire de moi sa chose. Mais jamais je n’aurais imaginé qu’une femme s’en prenne à moi. Je suis allée les yeux fermés à l’abattoir. […] Il me fut plus douloureux d’être détruite par une femme. À la souffrance s’est ajoutée la trahison. “