Dans Vivre pour les caméras, Constance Vilanova décrypte un genre qu’elle adore et déteste en même temps : la téléréalité

Dans Vivre pour les caméras, Constance Vilanova décrypte un genre qu’elle adore et déteste en même temps : la téléréalité

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Constance Vilanova © Marie Rouge

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Par Lucie Bacon

Publié le

Décryptage d’un genre "misogyne, classiste et raciste" qui fascine toujours autant.

Comme Constance Vilanova, je suis une enfant des années 1990. Alors comme elle, j’ai grandi avec les répliques culte de Nabilla, les embrouilles des “fratés” et de nouveaux concepts chaque année sur W9 et TMC. Je n’ai pas l’impression d’avoir grand-chose à apprendre sur la téléréalité, mais quand Constance m’a envoyé son livre, je me suis précipitée dessus. Et j’ai appris PLEIN de choses.

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Car Constance Vilanova, journaliste notamment pour France Inter, Mouv’, et parfois Konbini, ne fait pas qu’un (triste) constat : elle nous apprend plein de détails sur des programmes qui ont 20 ans, de sordides coulisses de casting aux passés sombres de candidates à la dérive avant même d’entrer dans des maisons remplies de caméras. En rencontrant et discutant avec ces dernières, des sociologues, ou encore des dirigeants de chaîne ou de programmes, Constance Vilanova déroule le fil de l’histoire des émissions et des personnages qui occupent une bonne partie de nos chaînes et désormais de nos feeds, sur tous les écrans.

Pour la journaliste, étudier ce genre dans un bouquin était important pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que la téléréalité est “un angle mort médiatique depuis 20 ans”, nous éclaire-t-elle. Si quelques médias se sont emparés du sujet au lancement de Loft Story, plus grand-chose depuis, à part pour parler de l’affaire entre le rappeur Booba et celle que l’on nomme “la papesse de la téléréalité”, Magali Berdah. Le genre est aussi absent “des recherches et des mouvements féministes”, pourtant, il est primordial pour comprendre bien des biais de notre société, et Constance Vilanova s’en est vite aperçue, à plusieurs reprises :

“Je surconsomme des programmes de téléréalité depuis 2003, je suis devenue même accro aux Anges en 2011 et je me suis depuis accrochée aux candidats, à leurs personnalités. En 2017, le mouvement #MeToo a bouleversé ma lecture du monde, mon engagement féministe, mais j’ai continué à surconsommer la téléréalité, même en école de journalisme.”

Il y a cinq ans, Constance comprend que la téléréalité avait peut-être de très mauvaises incidences sur sa perception de la société, de ses valeurs et de sa propre individualité :

“En 2019, je me suis rendu compte que j’avais trop longtemps vu des femmes comme des rivales alors qu’elles ont été un sanctuaire pour me réparer après l’agression sexuelle que j’avais subie lors d’une soirée. Ces programmes mettaient vraiment en avant la rivalité féminine et ces séquences étaient un arc narratif central. Ça a influencé mon adolescence, j’ai compris que ça avait eu un impact sur ma sororité. Aussi, j’étais très complexée ado, et voir ces corps aux normes de beauté inatteignables avait un impact sur la perception du mien. J’explique dans le livre que j’étais devenue la reine du rembourrage de soutien-gorge à force de voir ces immenses poitrines, je perdais le sens des réalités.”

Dans son ouvrage, Constance Vilanova constate ce qu’est devenue la téléréalité : un genre qui fascine autant qu’il est détesté, un genre “misogyne, classiste et raciste” qui concentre tous les biais et dérives de notre société. Et c’est en rencontrant des candidates de la téléréalité qu’elle dépeint un milieu qui met en avant les classes populaires pour moquer leur manque de culture ou d’affection.

Un milieu qui donne également une image biaisée de l’amour et du couple, avec des “séquences d’un amour qui fait mal, avec l’image d’une femme passive dans le couple. Les relations toxiques sont omniprésentes, et ça a eu un impact sur ma vision de l’amour. L’idée de culture du clash m’a beaucoup influencée également”.

Bref, que de tristes constats. Mais il semblerait que les productions aient pris conscience du danger potentiel de certains programmes, alors quel avenir pour eux ? Selon Constance Vilanova, trois tendances se dégagent pour les années qui viennent en France :

“Le retour de programmes nostalgiques comme la Star Ac’ et Secret Story, qui permettent de remobiliser un public anciennement fan et d’avoir quelque chose de transgénérationnel, des programmes basés sur la bienveillance avec un casting inclusif. L’autre pan, c’est le jeu et la stratégie, comme Secret Story ou les Cinquante. Et l’autre visage, qui est à l’opposé du premier, avec Frenchie Shore et l’ultra-sexualisation, l’ultra-clash, l’ultra-violence, et je trouve ça intéressant car ça reflète une société double, à la fois bienveillante, dans la recherche des valeurs plus douces, et de l’autre côté la recherche du clash permanent.”

Vivre pour les caméras, ce que la téléréalité a fait de nous, de Constance Vilanova, est dispo en librairie aux éditions JC Lattès, 20 euros.