Michel Setboun a 18 ans et pas un rond en poche quand il se rend pour la première fois en Afghanistan. “C’était en 1970. J’ai fait Paris-Kaboul par la route, en moins de dix jours. Idem en 1971, 1972. À cette époque, les talibans n’existaient pas. Le pays vivait dans une paix relative. Le roi Zaher Shah tentait de maintenir un équilibre précaire entre les grandes puissances.”
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Setboun était jeune, il voyageait pour passer du bon temps. C’était l’époque des hippies, mai 68 venait de passer par-là, on se rendait en Afghanistan pour fumer du haschich. En 1973, il effectue de nouveau ce voyage mais cette fois-ci, il doit s’arrêter à la frontière. Un coup d’État vient d’éclater. Le roi se fait renverser par son propre cousin.
Afghanistan, 1985. Tous les chemins qui mènent à Kandahar sont contrôlés par la résistance. Les combattants ont creusé des fossés antichar et installé des checkpoints sur les routes gui mènent à la ville. Kandahar, Afghanistan, 1985. (© Michel Setboun)
“Je venais d’Iran où je couvrais les prémices de ce qui deviendra quelques mois plus tard une véritable révolution.”
Dans les années qui suivent, Setboun se lance à corps perdu dans la photographie. Il se rend en Iran en 1978, persuadé qu’il va s’y passer quelque chose. Au même moment, un autre coup d’État a lieu en Afghanistan. “Je retourne à Kaboul en mai-juin 1978. Je venais d’Iran où je couvrais les prémices de ce qui deviendra quelques mois plus tard une véritable révolution.”
Afghanistan, 1985. (© Michel Setboun)
Setboun a du flair, il sera l’un des premiers photographes à documenter la révolution iranienne. Il passera constamment ensuite de l’Iran à l’Afghanistan, il fera des allers-retours entre ces deux pays qui vivent des bouleversements historiques.
Alors que l’Afghanistan est tenu par les Communistes, Setboun reviendra auprès des moudjahidines perchés dans les vallées. “Les rejoindre n’était pas facile. Il n’était pas question bien sûr de passer par l’Afghanistan. La seule solution était d’entrer clandestinement par les zones tribales pakistanaises.”
L’armée, des chars, l’occupation russe en Afghanistan, 1980. (© Michel Setboun)
Setboun se lie d’amitié avec ceux qui n’étaient pas encore considérés comme les ennemis numéro un des États-Unis mais plutôt comme de potentiels alliés. “Ce périple avec ces hommes était éprouvant. L’un des villages où nous nous trouvions a été attaqué par l’armée, j’ai tout perdu, mes [pellicules photo] et mes habits.”
Depuis, il n’a jamais cessé de retourner en Afghanistan. Dans ce pays qui l’attire comme un aimant, tout le passionne. Les paysages, les femmes et les hommes sont photogéniques comme nulle part ailleurs. Il s’y rendra en 1980, 1985, 1986, 1998, 1999 et 2006. Tantôt, il rejoint les moudjahidines devenus talibans, les immortalisant même dans des moments d’intimité, en train de se rouler des joints. Tantôt, il photographiera le quotidien à Kaboul et ses habitant·e·s.
Afghanistan, 1980. (© Michel Setboun)
Il ira dans les écoles des un·e·s et des autres. Enfants entassé·e·s dans des espaces restreints, réveillé·e·s à quatre heures du matin pour étudier le Coran chez les talibans ou dans des classes sous le régime communiste, dans des classes mixtes ou d’ouvriers illettrés des usines…
“On ne rentre, ni ne sort jamais de l’Afghanistan tranquillement.”
Setboun suivra l’histoire de ce pays jusqu’au Pakistan. “En novembre 1998, je retourne au Pakistan pour suivre le leader taliban Sami-Ul-Haq [celui qu’on considère comme “le père des talibans”] dans sa campagne électorale. Grâce à lui, je rencontre le ministre de la Culture et de l’Information des talibans afghans à Islamabad. Après d’âpres négociations, j’obtiens un des rares visas officiels de journaliste émis par ‘l’Émirat islamique d’Afghanistan’, avec interdiction de photographier les ‘êtres vivants’.“
Kaboul sous le régime communiste, école pour filles et garçons, Afghanistan, septembre 1979. (© Michel Setboun)
Il rejoindra Kandahar et photographiera les tombes. Il sera pourchassé par “la milice contre le vice et pour la propagation de la vertu” mais parviendra à quitter l’Afghanistan avec ses images. “On ne rentre, ni ne sort jamais de l’Afghanistan tranquillement”, assure-t-il, “c’est toujours une aventure périlleuse”.
Nombreux·ses sont les photographes à avoir capturé l’Afghanistan dans la durée et Setboun le sait, mais il est peut-être celui qui s’est le plus perdu et égaré passant d’un monde à l’autre, ne jugeant ni les un·e·s, ni les autres. Témoin d’une histoire bouleversante où les héros d’un temps se transforment en ennemis, et réciproquement, où l’histoire se perd dans des alliances qui se font et se défont au gré des circonstances, Setboun, lui, a toujours été là, fidèle à ce qu’il a de plus cher : la photographie qui lui permet de raconter des histoires.
Afghanistan, 1985. (© Michel Setboun)
Scènes de rues à Hérat, après le coup d’État du parti communiste contre Daoud, Afghanistan, 1978. (© Michel Setboun)