Des tableaux d’Egon Schiele ont été rendus aux héritiers d’un collectionneur juif tué par les nazis

Des tableaux d’Egon Schiele ont été rendus aux héritiers d’un collectionneur juif tué par les nazis

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© Egon Schiele

Les héritier·ère·s ont obtenu la restitution de sept œuvres d’art volées par les nazis auprès de prestigieuses collections, dont celle du MoMA de New York.

Plus de quatre-vingts ans après la mort en déportation du collectionneur juif Fritz Grünbaum, et sous la pression de la justice états-unienne, ses héritier·ère·s ont obtenu mercredi la restitution de sept œuvres d’art volées par les nazis auprès de prestigieuses collections, dont celle du MoMA de New York. Les héritier·ère·s de cet artiste autrichien de cabaret et grand collectionneur d’art, mort à Dachau en 1941, se battent depuis plusieurs décennies en justice pour recouvrer la possession de ses œuvres, essentiellement des dessins d’Egon Schiele (1890-1918), figure de l’expressionnisme autrichien.

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“Merci de vous être placés du bon côté de l’Histoire. Ce que vous avez fait est historique”, a salué l’un d’eux, le juge Timothy Reif, en s’adressant, lors d’une cérémonie officielle à New York, au procureur de Manhattan, Alvin Bragg, dont le parquet est doté d’une cellule spéciale de lutte contre le trafic d’œuvres d’art.

Présentés lors de la cérémonie, les dessins de Schiele, des aquarelles ou crayon sur papier, comme I Love Antithesis, Femme debout ou Portrait d’un garçon, se trouvaient dans de prestigieuses collections, au MoMA, à la Morgan Library de New York, au musée d’Art de Santa Barbara, dans la collection Ronald Lauder et au sein du trust Vally Sabarsky, du nom du marchand d’art Serge Sabarsky, décédé en 1996.

“Volontairement” rendus

Président du Congrès juif mondial, héritier du groupe de cosmétiques Estée Lauder et fondateur avec Serge Sabarsky de la Neue Galerie à New York, Ronald Lauder a lui-même été un défenseur de la restitution des œuvres volées par les nazis. Selon le parquet de Manhattan, les dessins, d’une valeur totale dépassant les 9 millions de dollars, ont été “volontairement” rendus par les institutions qui les détenaient, “une fois que des preuves” de leur provenance leur ont été présentées. La justice états-unienne a repris l’un des arguments clés des héritier·ère·s de Fritz Grünbaum.

Arrêté en Autriche en 1938 puis déporté au camp de Dachau, l’artiste avait été contraint de signer une procuration au profit de sa femme, Elisabeth. Elle-même avait été ensuite obligée de remettre toute la collection aux autorités nazies, avant d’être déportée et tuée au camp de concentration de Maly Trostinec, près de Minsk, dans l’actuel Bélarus.

“Fritz Grünbaum et sa femme, Elisabeth, n’ont jamais eu l’occasion de retrouver leurs objets d’art précieux avant leur mort prématurée, mais leur héritage perdurera”, a déclaré Ivan J. Arvelo, un agent spécial chargé des enquêtes de sécurité intérieure à New York. Dans une précédente affaire, un juge new-yorkais avait déjà ordonné en 2018 la restitution de deux dessins de Schiele aux héritier·ère·s Grünbaum, en écrivant dans son jugement qu’“une signature sous la menace d’une arme à feu” n’avait aucune valeur.

Parcours tortueux

La justice états-unienne leur avait pourtant donné tort en 2005, estimant que les héritier·ère·s agissaient trop tard. Entre-temps, le Congrès américain avait adopté la loi Hear de 2016 prolongeant le délai pour réclamer la restitution d’une œuvre. Depuis, les descendant·e·s du collectionneur ont relancé leurs procédures. La semaine dernière, trois autres dessins d’Egon Schiele – dont Prisonnier de guerre russe (1916), une aquarelle et crayon sur papier d’une valeur de 1,25 million de dollars – ont été saisis par la justice, notamment à l’Art Institute de Chicago.

L’œuvre Prisonnier de guerre russe “reste sous notre garde dans le musée pour le moment”, avait dit le musée de Chicago. “Nous sommes convaincus d’avoir acquis légalement cette œuvre et de la posséder légalement”, a ajouté le musée, en disant vouloir se défendre dans le cadre “d’un litige civil [ouvert] devant un tribunal fédéral”. Selon le New York Times, l’enquête en cours porte au total sur une douzaine d’œuvres d’Egon Schiele pillées par les nazis.

La justice états-unienne a retracé le parcours tortueux des œuvres. La collection Grünbaum avait été inventoriée par l’historien de l’art et membre du parti nazi Franz Kieslinger, et toutes les œuvres de Schiele, considérées comme de l’art “dégénéré” par le régime, avaient été vendues, a expliqué le parquet de Manhattan.

En 1956, les sept dessins réapparaissent à Berne, en Suisse, dans les mains du collectionneur Eberhard Kornfeld, “qui avait établi une relation commerciale privilégiée” avec le fils du marchand d’art et “conseiller personnel en art” d’Adolf Hitler, Hildebrand Gurlitt, ajoute la justice états-unienne. La même année, les dessins atterrissent à New York, rachetés par un galeriste new-yorkais, Otto Kallir.

Des œuvres d’art soupçonnées volées par les nazis saisies dans des musées états-uniens

Le sujet des restitutions des œuvres d’art volées par les nazis reste d’actualité dans d’autres pays. En France, le Parlement a adopté en juillet une loi-cadre pour faciliter la restitution par les collections publiques des biens culturels dont les Juif·ve·s furent spolié·e·s. Selon les chiffres publiés lors d’une conférence internationale à Terezin, en République tchèque, en 2009, environ 100 000 œuvres sur 650 000 volées n’avaient à l’époque toujours pas été restituées.

Au cours du mois de septembre, Portrait d’un homme (1917), un dessin au crayon sur papier d’une valeur d’un million de dollars, a été saisi au Carnegie Museum of Art de Pittsburgh (Pennsylvanie). Et Fille aux cheveux noirs (1911), une aquarelle et crayon sur papier d’une valeur de 1,5 million de dollars, a également été saisie à l’Allen Memorial Art Museum de l’université Oberlin (Ohio).

Les ordonnances précisaient que les œuvres peuvent demeurer “sur place” pendant une période de soixante jours. “Nous sommes convaincus que l’université Oberlin a acquis légalement Fille aux cheveux noirs d’Egon Schiele en 1958, et que nous la possédons de manière légale”, avait réagi l’université Oberlin dans un communiqué transmis à l’AFP, ajoutant coopérer avec l’enquête. Le musée Carnegie de Pittsburgh avait assuré vouloir coopérer avec les autorités.