En 2021, au Festival de Cannes, le média américain Variety notifiait l’absence de Judith Chemla à l’avant-première cannoise du film Mes frères et moi, dans lequel elle tient un des rôles principaux. Selon le média, l’actrice aurait porté plainte le 4 juillet 2021 pour des violences physiques de la part de son compagnon, qui lui aurait lancé un téléphone portable au visage en public. Lui aussi était absent de l’avant-première du film, qu’il a réalisé.
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Un an plus tard, en juillet 2022, Judith Chemla prenait la parole sur Instagram en relayant des photos de son visage tuméfié, accompagnées d’un texte bouleversant qui détaillait les violences subies de la part de son ex-compagnon et père de sa fille et l’accusait de continuer à lui nuire en faisant pression psychologiquement.
“Il y a un an, mon visage a été blessé, du bleu, du violet sous mon œil, je me suis vue déformée. Il y a un an, j’ai regardé mon visage dans la glace et j’ai su que je ne pourrai plus me voiler la face. Le père de ma fille. Ceux qui sont capables de faire ça, il faut qu’ils soient hors d’état de nuire. […] Que faut-il pour qu’il me laisse tranquille ? […] Je n’en peux plus. J’exige d’avoir la paix. C’est plus clair comme ça ?”
Dans la foulée, elle acceptait de témoigner dans un seul média, France Inter, au micro de Léa Salamé. Sa plainte avait alors débouché sur une garde à vue, une mise en examen et un contrôle judiciaire mais “après quatre mois d’un harcèlement intense”, une deuxième plainte a abouti à “quinze jours” de détention provisoire et une condamnation à huit mois d’emprisonnement avec sursis a été prononcée le 12 mai 2022.
Mais, selon elle, le harcèlement continue. “Malgré des menaces, malgré cette peine, il continue à penser que c’est une victime […] Il se sent au-dessus des lois. […] Il devrait avoir honte et se tenir tranquille”, a déploré Judith Chemla, toujours sur France Inter.
Depuis ce témoignage, il y a plus d’un an, Judith Chemla n’avait pas repris la parole mais elle a écrit un livre. Notre silence nous a laissées seules est sorti le 25 janvier dernier chez Robert Laffont et elle y détaille son calvaire, dénonce les violences psychologiques et physiques ainsi que le harcèlement infligés par son ex-compagnon, le père de sa fille, et raconte également l’emprise psychologique qu’elle a déjà subie dix ans auparavant avec le père de son fils.
Voici ce qu’on en retient.
“Raconter cette oppression à laquelle j’ai consenti malgré moi”
Outre un témoignage puissant, Judith Chemla livre également un récit édifiant sur la puissance et les ravages du déni, de l’agresseur, de sa famille qui le protège — “la violence de leur déni me blesse presque plus que son acharnement” — et surtout son déni à elle, pourtant victime.
Humiliations à répétition, climat toxique puis violent, elle aura eu deux relations et passé près de quinze années prise au piège de violences psychologiques puis physiques, lorsque son compagnon la blessera volontairement au visage. Page 204, le déclic : “Plus jamais je ne retournerai avec un homme capable de me blesser volontairement”.
Au fil du récit, le lecteur ne peut que s’inquiéter pour son intégrité morale, puis physique, mais elle écrit : “Je ne me suis pas sentie en danger. Même après le pire, je n’ai pas vraiment eu accès à la peur”. Pendant ces années où elle a subi la violence de ses deux conjoints et pères de ses enfants, l’actrice tournera dans le court-métrage Fuir sur une femme battue, humiliée et surveillée par son mari.
Elle écrira également le scénario de son propre long-métrage, “l’histoire d’une femme qui fuit le monde réel trop cruel et qui emporte son petit garçon avec elle” mais jamais ne projettera sa propre histoire dans ces récits. “Je vis un quotidien aux antipodes de mes aspirations”, admet-elle.
Caractériser l’ampleur du harcèlement
À partir de la page 249, l’autrice opère une fracture dans son récit et détaille, sous forme de condensé de notes prises au quotidien, l’ampleur du harcèlement de son ex-conjoint, pourtant sous le joug d’un contrôle judiciaire et d’une interdiction de la contacter.
Les chiffres, égrainés au fil des pages, sont absolument édifiants. L’importance d’écrire, de noter, d’enregistrer, pour garder des traces — ” je le prends en photo, en vidéo, c’est tout ce que j’ai pour me défendre” — c’est aussi ce qu’on retient de son expérience.
Quatre mois après la prononciation du contrôle judiciaire, la brigade de protection de la famille lance une enquête et elle doit alors leur transmettre toutes les preuves du harcèlement subi.
“Un des policiers n’en revient pas, il me dit qu’il n’a jamais vu ça. Plus de neuf cents captures d’écran sont tirées des œuvres du loup [surnom donné à son ex-conjoint qu’elle choisit de ne pas nommer dans le livre]. Les policiers me disent qu’il m’a passé plus de huit cents appels téléphoniques, ce qui équivaut sur quatre mois à six ou sept tentatives par jour. […]
Il avait rôdé autour de chez moi pendant six heures.”
Si l’intégralité des assauts subis de la part de son ex-compagnon n’est pas retranscrite dans le livre, l’autrice n’épargne pas son lecteur et noir sur blanc, ces longues pages de notes et de décomptes sordides font froid dans le dos.
Ne plus séparer “l’homme du tyran, le tyran de l’artiste, le père de l’homme”
Mais Judith Chemla écrit surtout pour dénoncer les mécanismes d’une domination exercée sur les femmes et sur les enfants que la société peine encore à considérer : “Dans mon cas, il est question de briser la continuité de l’emprise qui perdure souvent après la séparation et dont les enfants sont les victimes ignorées”. Elle veut secouer un système judiciaire, mais aussi familial, qui continue de séparer l’homme agresseur du père pour ne pas nuire à la figure paternelle.
Comment partager une parentalité avec un homme violent où l’enfant est instrumentalisé pour nuire ? C’est de l’équation impossible qu’elle a longtemps considérée comme soluble, voulant croire qu’un homme violent pouvait être un père responsable et aimant, qu’elle témoigne. “La déposition fait treize pages. Je passe cinq heures ce jour-là dans les bureaux de la brigade de la famille, pourtant je ne porte pas plainte. J’ai peur que le père de ma fille aille en prison”, écrit-elle encore à la fin de son ouvrage.
En conclusion de son récit, son message sera sans appel :
“Parce qu’une guerre est réellement en cours, et que les armes utilisées contre nous sont lourdes. Parce que cette guerre se terre dans l’ombre, dans les moindres recoins de nos institutions. […] Parce qu’en définitive, il est plus simple que nous nous taisions. Dire la vérité semble être alors un acte de guerre. C’est en fait un droit inaliénable.”