Frodon, ce gros crackhead : j’ai vu pour la première fois Le Seigneur des anneaux, 22 ans après sa sortie

Frodon, ce gros crackhead : j’ai vu pour la première fois Le Seigneur des anneaux, 22 ans après sa sortie

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© Warner Bros. France ; © Cappi Thompson/Moment/Getty Images

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Je suis désolée mais le Mordor, c’est la colline du crack.

Attention, spoilers.

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J’ai 31 ans, je suis une enfant de la génération Harry Potter et du Seigneur des anneaux, deux franchises qui ont marqué ma préadolescence. En 2023, je me suis mis en tête de regarder toute la franchise du Seigneur des anneaux, en version longue parce que je ne suis pas une couille molle. Pourquoi m’infliger une telle épreuve ? Déjà, parce que j’aime souffrir, mais aussi parce que je voulais percer le “mystère” de ces films, intégrer enfin les cercles fermés de ces hommes qui usent de références comme “il s’est transformé en Gandalf le blanc” ou “j’ai la coupe de Legolas”.

Durant toutes ces années d’ignorance, j’avais donc l’impression d’être perdue au beau milieu de parties de MMORPG sans clavier – alors que j’étais plutôt Habbo Hotel, vous voyez le genre. J’ai toujours fait partie de cette communauté du monde qui préférait Harry Potter, au cours de ces belles années 2000. Je voyais Le Seigneur des anneaux comme le film des masculinistes geeks aux fétiches fantasy. Dans des conversations de boulot, j’entendais des “il ressemble à Gollum”, sans trop savoir qui était Gollum : était-ce Elijah Wood ou Viggo Mortensen ? Ou peut-être “l’autre qui a joué après dans Lost” ? Et Aragorn n’est pas une araignée ?!

Il se trouve que pendant des années, j’ai confondu Frodon avec Gollum. Eh oui, c’est une grande méprise. Mais la propagande de ces petits punks pro-PC a fonctionné. Le Seigneur des anneaux, c’est un peu comme la Bible, il vaut mieux l’avoir lue pour comprendre une bonne partie de la production littéraire et cinématographique européenne et américaine. Pour ma vie sociale, c’était terrible, il fallait remédier à ce manque de culture. Ce qui me fascinait surtout, c’était le nombre de femmes qui s’y mettaient autour de moi et qui appréciaient, les marathons qui s’organisaient avec succès, encore aujourd’hui, au Grand Rex, et toute cette memorabilia vive que je retrouvais chez ces grand·e·s fanatiques quand je pensais à Harry Potter.

La coupe à Legolas. (© Warner Bros. France)

Cet article n’est pas l’avis d’une pro, je n’ai rien lu dessus, j’en ai à peine parlé à quelques potes, et je peine encore à reconnaître tous les personnages, même après trois films de près de 12 heures. Cet article va d’ailleurs être relu par des collègues spécialistes pour vérifier qu’il n’y a pas de méprise entre Frodon et Gollum, par exemple. Voici donc mes impressions brutes, les conclusions que j’ai tirées et ce que j’ai appris de la vie en regardant ces magnifiques films.

C’est une histoire sur l’addiction

Crack, héroïne, OxyContin… On ne sait pas de quoi est fait cet anneau pour tenter quiconque s’y approcherait de trop près mais il s’agit bien d’un produit addictif. Et si Le Seigneur des anneaux était simplement un film sur les addictions ? Ne me demandez pas pourquoi j’ai vu le biopic Tolkien (c’est parce qu’il y avait Nicholas Hoult dedans) avant d’avoir vu la saga de films, mais j’y ai appris que J. R. R. Tolkien avait fait la Première Guerre mondiale, que ça l’a profondément traumatisé, et qu’à la manière d’Henri Barbusse dans son livre Le Feu, il s’est inspiré de ses propres récits de guerre pour dérouler toutes les scènes épiques du Seigneur.

Et vous savez ce qu’il y avait sur le front à l’époque de la Grande Guerre ? Des drogues. De la morphine, de l’opium, de la meth ou que sais-je, mais des substances pour se calmer. Et si Tolkien, à travers l’anneau, n’avait écrit qu’un reflet de l’addiction de tous ses camarades de combat tombés dans la came ? Je ne sais pas par quel miroir déformant j’ai interprété ça, sûrement celui des sombres subreddits que j’aime consulter quotidiennement, mais je suis persuadée qu’il existe des thèses de psychologie là-dessus. Il y a bien d’autres preuves qui montrent qu’il s’agit d’un récit autour de l’addiction, laissez-moi vous dérouler tout ça.

Frodon au bord de l’overdose. (© Warner Bros. France)

Déjà, Gollum ressemble à un crackhead, c’est terrible. Il est chétif, gris, creusé, maigre, perd ses cheveux, a des dents piano, bref, il semble en très mauvaise santé. Le Seigneur des anneaux, c’est quand même un film où tous les personnages (bon, surtout les Hobbits et Gandalf) sont défoncés 24 heures sur 24. Ça fume de la ganja sévère. Ça boit jusqu’au coma éthylique, pour vaincre un manque affectif évident, suivez mon regard : Gimli.

Ensuite, le Mordor, c’est clairement la colline du crack, avec Sauron qui opère en tant que dealer en chef. C’est le king du crack, c’est le provider, c’est la force obscure. Le reste, les bastons, les bagarres, les combats, les guerres, ce ne sont que des guerres de gangs, rien que des guerres de gangs. À plusieurs reprises, le palantír (comprendre : un gramme d’héroïne) manque de faire sombrer Aragorn ou Pippin. Au tout début, Gandalf est effrayé par l’anneau (une boîte d’OxyContin, sûrement), car lui ne veut pas tomber dans la drogue. Et Galadriel saute sur Frodon, comme attirée de manière irrépressible par l’anneau qu’il porte (du crack). CQFD.

L’amitié, c’est quand même mieux que le crack

C’est la grande morale du film : bros before… crack. Le crack aura mené notre très cher et vulnérable Frodon dans des contrées dangereuses, à faire des choix douteux, à remettre en question la loyauté des gens qui lui voulaient du bien, à s’entourer de mauvaises fréquentations, à dormir dans la rue, mais surtout, à oublier le goût des choses de la vie, à ne plus pouvoir ressentir, s’émouvoir. Il ne pleure d’ailleurs pas lors des adieux finaux, face à ces acolytes effondrés, et écrit dans ses mémoires que certaines cicatrices ne s’en vont pas avec le temps. Pauvre petit Hobbit innocent qui a touché au crack.

Gollum aura appris à ses dépens que le crack, c’est mal. (© Warner Bros. France)

Ce tiraillement ressenti par Frodon, entre le crack ou la vie, l’addiction ou l’amitié, est très évident dans cette scène où notre héros, qui manque de tomber dans le ravin littéral de l’addiction, est retenu par son BFF Sam. Ici, il est question de chute et de rechute, comme pour les addictions. Se rattacher à la vie ou sombrer dans les addictions ? Gollum s’y perdra à tout jamais.

À la fin, Frodon est obligé d’aller en cure de désintoxication avec tonton Bilbon qui, lui aussi, a eu le malheur de toucher au crack. Sur le chemin vers le sevrage, il lui demande même s’il n’aurait pas encore sur lui sa pipe à crack (comprendre : l’anneau) pour un dernier petit voyage intérieur. Ou peut-être que ce bateau qu’il prend, c’est la mort, c’est l’overdose qui l’attendent, car on ne revient pas si facilement d’une addiction si sévère. Malgré tout ça, l’amitié est ce qui a sauvé notre héros de tomber dans la lave.

Gollum est étrangement mignon (alors qu’il est clairement Gémeaux)

Gollum, une belle histoire d’amour-haine. Clairement Gémeaux ascendant Poissons, Gollum fait chavirer notre cœur de gauche à droite. D’un côté, de la pitié, de la tendresse. De l’autre, une détestation pire que celle que nous vouons à Sauron, car Gollum est l’opposant qui joue à l’adjuvant, et qui les mènera à leur perte.

Il n’est pas trop mignon, Gollum ? (© Warner Bros. France)

Gollum a deux visages, il est pris dans une dualité constante entre son cœur pur de Hobbit déchu et son addiction au crack (l’anneau, vous suivez ?) qui le conduira à faire les pires crasses. À la fin, on ne sait toujours pas si on doit détester Gollum ou si on doit tout lui pardonner. La découverte de ce personnage marquant me rend enfin légitime à souffler “my precious”, avec une voix de petit gnome, quand je tiens un objet de valeur.

La plus belle amitié masculine du cinéma

Frodon et Sam nous ont donné de très beaux moments homoérotiques lors de leur quête, et on ne remerciera jamais assez Peter Jackson d’avoir bougé un peu les représentations autour des amitiés masculines, et plus globalement autour des masculinités. Les deux n’ont pas peur de dévoiler leurs émotions, de se lâcher des petites déclarations d’amour par-ci, par-là. C’est la bromance la moins toxique de l’histoire des Hobbits.

Les deux n’ont pas peur d’être tactiles, de s’enlacer, de s’embrasser, de révéler l’amour et la loyauté qu’ils se portent. Pippin et Merry, dans un genre plus comique, sont aussi franchement adorables. Ensemble, on réussit, les petits seront des héros et on s’agenouillera pour les remercier. Comme dirait le grand maître Gandalf, “je ne vous dirai pas de ne pas pleurer, car toutes les larmes ne sont pas un mal”.

Ça me déchire le cœur. (© Warner Bros. France)

Aragorn est un peu un fuckboy, quand même

Aragorn, Aragorn, tout le monde ne jurait que par Aragorn, avant que je ne rencontre ce personnage, incarné par Viggo Mortensen, et non pas par une araignée, comme je le pensais. Alors, OK, Aragorn, c’est un gentil héros mystérieux, beau gosse, charismatique, et très fort, un vrai guerrier courageux avec un vrai code d’honneur. Mais ce ne serait pas quand même un peu un fuckboy, cet Aragorn ? Est-ce qu’il ne jouerait pas un peu sur deux tableaux ?

C’est bien ambigu, tout ça. (© Warner Bros. France)

Alors qu’Arwen a renoncé à son immortalité d’Elfe pour vivre son histoire d’amour avec le gadjo, ce dernier se met à crusher sur Éowyn. L’histoire raconte que c’est plutôt l’inverse mais moi, j’ai bien vu les petits regards un peu excités qu’il lançait à la belle. Le genre à raconter après la tromperie “qu’elle est tombée sur lui”, “qu’elle l’a embrassé” et “qu’il n’a rien pu faire”. On connaît ce genre d’hommes.

OK, il a combattu pendant des années et c’était un peu la disette à distance mais ils ont beau nous avoir mis des flûtes et des halos blancs dans la scène de leur promesse sur la colline de Cerin Amroth, ils ont beau s’être mariés après la bataille, on n’oublie pas le petit jeu de séduction auquel le beau gosse s’est adonné avec la coquine d’Éowyn, et à quel point il a fini par la ghoster et la fuir. Et on sait qu’il recommencera.

Ajoutez deux, trois chansons et c’est une comédie musicale

Alors, ça, je ne pensais pas qu’il y aura un peu de Glee dans Le Seigneur des anneaux, et j’ai été assez étonnée de voir que ça pouvait pousser la chansonnette. Ces moments sont globalement cringe vus depuis 2023, mais je conçois qu’ils aient été émouvants en 2001. Allez, deux, trois chansons en plus par film, et ces opus pourraient figurer au rayon des comédies musicales, entre Hair et Pitch Perfect.

Merci à Michel Sarnikov, Sophie Laroche, Abdallah Soidri, Delphine Rivet et François Faribeault pour les discussions animées.