Guerres, religions et révolutions : 5 choses à savoir sur le photojournaliste Abbas

Guerres, religions et révolutions : 5 choses à savoir sur le photojournaliste Abbas

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© Abbas/Fonds Abbas Photos/Magnum Photos

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Par Lise Lanot

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Il a parcouru les continents, les conflits et les combats : ses 60 ans de carrière ont cherché des réponses du côté des humains et des dieux.

Abbas a passé sa vie en quête de réponses : pourquoi les êtres humains s’entre-tuent ? Comment la foi peut-elle pousser à la violence ? Quel pouvoir détiennent les images ? Si la plupart de ces interrogations ne trouveront sans doute jamais de réponse, la dernière trouve toute sa raison d’être dans la carrière même d’Abbas, qui n’a fait qu’appuyer la portée de la photographie pour informer, alerter, dénoncer, célébrer.

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Discret à l’oral mais loquace à l’image, le photographe iranien disparu en 2018 a légué une archive dense, dont les mérites politiques et sociaux n’enlèvent rien à leurs qualités esthétiques et sensibles. Auteur de nombreux ouvrages, photographe des conflits, des religions et des beautés malicieuses de notre monde : voici cinq choses à connaître sur la vie et l’œuvre d’Abbas.

La guerre d’Algérie l’a mené à sa vocation de photojournaliste

Abbas refusait de trop en dire sur sa personne, préférant laisser parler les images à sa place. On raconte, cependant, que ce sont les horreurs de la guerre d’Algérie – dont il a été témoin enfant, sa famille ayant émigré là-bas à ses huit ans – qui l’auraient convaincu de rapporter au monde les drames qui s’y jouaient. C’est en Algérie encore qu’il occupe son premier poste de journaliste, se spécialisant dans le sport pour le journal Le Peuple, après l’indépendance du pays.

Le Caire, Égypte, 1er octobre 1970. Une famille pleure la mort du président Gamal Abdel Nasser. (© Abbas/Fonds Abbas Photos/Magnum Photos)

Après un passage en Angleterre pour ses études, il découvre la Nouvelle-Orléans juste avant son quart de siècle, et c’est là-bas qu’il enfilera, pour ne plus jamais la quitter, sa casquette de photographe. Son appareil devient alors l’extension de son bras, l’objectif, l’extension de son œil et la photographie, son identité principale. “La place d’un photographe est derrière l’appareil photo et pas devant”, avait-il l’habitude de dire, rapporte son épouse, la photographe Melisa Teo, dans le numéro spécial de Reporters sans frontières (RSF) consacré au travail du photographe.

Il est l’auteur d’une des plus célèbres images dénonciatrices de l’apartheid

Dans les années 1970, Abbas se rend en Afrique du Sud où sa nationalité iranienne lui permet (grâce aux bonnes relations entre le Shah et le gouvernement sud-africain) d’avoir “accès à des endroits incroyables”, rapporte son fils auprès de RSF. À l’époque, alors que “la plupart des Sud-Africains étaient très naïfs vis-à-vis de la puissance des médias”, Abbas est convaincu que ses images auront le pouvoir de “faire ressortir l’injustice qui régnait sur ce pays”.

Les œillères du gouvernement sud-africain concernant le pouvoir des images lui permettent de documenter ce qu’il souhaite, et notamment un “camp d’entraînement de la police à Hammanskraal, dans le Transvaal” où étaient formées “des recrues noires pour patrouiller dans les zones à populations africaines.”

Hammanskraal, Afrique du Sud, 1978. Le colonel S.J.Malan, directeur de l’école de police pour les Noirs, avec ses élèves. (© Abbas/Fonds Abbas Photos/Magnum Photos)

Là-bas, Abbas prend “l’image dont rêvent tous les photojournalistes”, écrit-il : un colonel blanc pose, le visage dur, les sourcils froncés, une baguette à la main, devant des rangées de recrues noires en rang, qui fixent pour la plupart le photographe, placé en hauteur. La photographie fait le tour du monde, notamment la couverture du Sunday Times Magazine, prouvant la portée et puissance de frappe des images. Après l’Afrique du Sud, Abbas documentera les “guerres et révolutions du Biafra, du Bangladesh, de l’Irlande du Nord, du Vietnam, du Moyen-Orient, du Chili et de Cuba” sans jamais oublier son pays natal, l’Iran.

Il a documenté la révolution iranienne

Malgré une vie passée sur les routes, de l’Algérie à la France en passant par le Royaume-Uni, et toutes les régions couvertes pour son travail, Abbas maintint toute sa vie son lien avec son pays natal. De 1978 à 1980, il documente la révolution iranienne, couvrant “les manifestations pro-Shah avec la même rigueur professionnelle que les manifs pro-Khomeiny”.

Il immortalise et vit le dévoiement d’une révolution qui “a apporté le meilleur, puis le pire”. Ses 17 années d’exil ne le coupent pas de son pays et, en 2002, 22 ans après la publication d’Iran, la révolution confisquée, il publie Iran Diary, une “interprétation critique de l’histoire iranienne” écrite à la manière d’un carnet intime par un regard concerné, bien qu’éloigné.

Téhéran, Iran, 11 février 1980. Lors des célébrations du premier anniversaire de la révolution islamique, un jeune homme s’est évanoui dans la foule dense. (© Abbas/Fonds Abbas Photos/Magnum Photos)

Il s’intéressait aux religions

“On n’a jamais été intimes”, écrivait-il, malicieux, à propos de Dieu dans son livre Au nom de qui ? publié en 2009. “Ce n’est pas tant Dieu qui me fascine que la perception qu’en ont les gens et toutes les choses inacceptables qu’ils font en son nom.” Cet intérêt pour la dévotion et les liens et dynamiques de pouvoir entre croyances et politique ont irrigué le travail d’Abbas des années durant.

Indigné du “dévoiement de la révolution iranienne par l’extrémisme religieux”, tel que le note RSF, le photographe publie en 1994 Allah O Akbar Un voyage à travers l’islam militant, un épais ouvrage réalisé sur sept ans, 29 pays et quatre continents afin de questionner la résurgence de l’islam dans le monde”.

Jérusalem, 2016. La secte juive des Belz célèbre Pourim avec un tish, une part symbolique de pain et de poisson, dans une grande salle en forme de stade sous leur synagogue. (© Abbas/Fonds Abbas Photos/Magnum Photos)

Quelques années plus tard, en 2000, il s’attèle aux Visages de la chrétienté. Il n’aura pas eu le temps de terminer son travail autour du judaïsme, dernier projet auquel il s’était attelé avant sa mort, survenue en 2018.

Son intérêt pour les religions ne se limitait pas au monothéisme et Abbas a également documenté les fois animistes (Sur la route des esprits, 2005) ; bouddhistes (Les Enfants du lotus, voyage chez les bouddhistes, 2011) et hindoues (Les Dieux que j’ai croisés − Voyage parmi les hindous, 2016), en plus des “steppes de chamanes en Sibérie” ou des “cérémonies vaudoues en Haïti”. “Pour lui, l’art était la plus haute forme de spiritualité”, conclut son épouse, la photographe Melisa Teo, pour RSF.

Il était un “perfectionniste absolu”

Ami de longue date et confrère Magnum d’Abbas, le photographe Ian Berry confie à RSF sa fascination pour le perfectionnisme du photojournaliste : “Aussitôt revenu de photoreportage, il sélectionnait, éditait et légendait rigoureusement ses images.”

Il se souvient de “sa discipline”. “Pas une planche-contact en vue.” Melisa Teo ajoute que “rien n’échappait à son regard pénétrant”. Des dynamiques de pouvoir aux inégalités en passant par la facétie d’une enfant qui joue avec la mort ou le courage de femmes iraniennes, les images d’Abbas continuent de parler pour lui, des décennies après avoir été capturées et cinq ans après son décès.

Mexico, Mexique, 1er novembre 1984. Une petite fille joue avec des crânes, qui font partie du rituel du Jour des Morts. (© Abbas/Fonds Abbas Photos/Magnum Photos)

Téhéran, Iran, juin 2001. Un café chic. (© Abbas/Fonds Abbas Photos/Magnum Photos)

Pristina, Kosovo, 1999. Un jeune Kosovar fume parmi les ruines causées par les bombardements de l’OTAN, qui ont forcé le régime serbe de Slobodan Milosevic à évacuer la province. (© Abbas/Fonds Abbas Photos/Magnum Photos)

Région de My Tho, sud Viet Nam, 1972. Un soldat de l’armée sud-vietnamienne s’appuie sur une voiture américaine. (© Abbas/Fonds Abbas Photos/Magnum Photos)

Région d’Ipoh, Malaisie, 1987. Écoliers de la secte soufie al-Arqam. (© Abbas/Fonds Abbas Photos/Magnum Photos)

Téhéran, Iran, 11 février 1979. Un mollah dans une berline le jour de la victoire de la révolution islamique. (© Abbas/Fonds Abbas Photos/Magnum Photos)

Le travail d’Abbas est actuellement célébré dans un numéro de 100 photos pour la liberté de la presse de Reporters sans frontières.