Âgé de 92 ans et aujourd’hui à la retraite (du moins, pour l’instant), John Williams est sans aucun doute le compositeur de musiques de films le plus célèbre au monde. De Superman à Harry Potter, en passant par Star Wars, sans oublier la quasi-totalité de la filmographie de Steven Spielberg, Williams a marqué la pop culture de son empreinte unique et indélébile.
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Un documentaire de Laurent Bouzereau, Music by John Williams, produit par Spielberg lui-même, est en ligne sur Disney+ depuis le 1er novembre, alors que va bientôt commencer une tournée de six concerts symphoniques, “The Very Best of John Williams”, dans plusieurs villes françaises.
Une occasion rêvée de revenir sur ses 70 ans de carrière, extraordinairement prolifiques : 126 longs-métrages à son actif et de nombreuses productions télévisuelles. Néanmoins, parmi tous les thèmes que Williams a façonnés, nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, passent sous les radars du grand public. Nous en avons sélectionné cinq, méconnus mais immanquables !
À bout portant – Don Siegel, 1964
Sorti en 1964, À bout portant est la seconde adaptation de la nouvelle Les Tueurs d’Ernest Hemingway, déjà adaptée par Robert Siodmak en 1946. Le film raconte l’histoire de deux assassins professionnels, sous couverture dans un institut pour personnes atteintes de cécité. Don Siegel réunit pour l’occasion un casting quatre étoiles : Lee Marvin, Angie Dickinson, John Cassavetes et, pour la dernière fois à l’écran, le futur président américain Ronald Reagan.
Ce film donne à Williams la possibilité de se confronter directement à l’un de ses maîtres, le compositeur Miklós Rózsa, oscarisé à quatre reprises et auteur de la BO du film de Siodmak. Williams lui emprunte des sonorités imposantes et un goût prononcé pour le suspense, auquel il ajoute quelques touches de modernité. Il faut dire que Williams a travaillé comme pianiste dans des clubs de jazz, en marge de ses études à la prestigieuse Juilliard School de New York. Cette expérience lui permet de marier avec une rare élégance les orchestrations symphoniques et celles d’un big band de jazz.
La dimension très percussive du thème principal, notamment, rappelle à la fois les travaux de Lalo Schifrin (que le grand public connaît surtout pour le thème mythique de Mission impossible) et ceux d’un John Barry sur les premiers James Bond, dont le film est contemporain.
Rancho Bravo – Andrew V. McLaglen, 1966
Artisan dévoué au service des studios hollywoodiens, Andrew V. McLaglen a écumé le genre du western, hélas sans laisser de traces durables dans l’esprit des cinéphiles. Avec James Stewart en tête d’affiche, ce western tardif respecte la recette à la lettre : Stewart incarne un rustre cow-boy chargé par la veuve d’un fermier de convoyer un taureau de prestige à travers le pays.
Pour un jeune Williams, alors dans le besoin de faire ses preuves, un projet comme celui-ci tombe à pic. Le compositeur mobilise tout son savoir-faire pour accoucher d’une bande originale typique du genre, saturée d’envolées lyriques et d’héroïsme old school. C’est aussi l’occasion pour Williams de creuser le sillon qui fera sa gloire : celui du néosymphonisme, dont il est le père spirituel.
Le compositeur s’inscrit dans l’héritage direct de ceux qui ont fait les grandes heures de la musique de films américaine, principalement des émigrés européens : Franz Waxman, Alfred Newman (créateur de la célèbre fanfare de la 20th Century Fox), Max Steiner ou encore Erich Korngold.
Pour l’anecdote, le thème mythique de Star Wars a sans l’ombre d’un doute été inspiré par celui du film Crimes sans châtiment, mis en musique par Korngold en 1942.
Images – Robert Altman, 1972
Dans la foulée de M.A.S.H., film emblématique du Nouvel Hollywood et succès colossal à sa sortie, Altman signe avec Images un drame psychologique teinté d’horreur, qui vaudra à Susannah York un Prix d’interprétation au Festival de Cannes.
Malheureusement, le film ne connaît qu’une exploitation limitée aux États-Unis et reste aujourd’hui l’un des plus méconnus de son auteur.
Ayant déjà collaboré avec le cinéaste sur le téléfilm Nightmare in Chicago, Williams livre pour ce film un travail très expérimental. Avec le concours du percussionniste et claviériste japonais Stomu Yamashta, Williams malmène les règles tacites de l’harmonie, avec des suites d’accords jouées au piano qui semblent déjà annoncer les thèmes minimalistes et dissonants d’un John Carpenter.
Plus encore, le compositeur s’essaye aux musiques d’avant-garde, avec notamment l’utilisation du Cristal Baschet, instrument percussif aux sonorités métalliques. Enfin, Yamashta prête sa voix à quelques élucubrations particulièrement anxiogènes qui achèvent de faire de cette bande originale l’une des plus singulières de la carrière de Williams, rappelant ainsi sa grande versatilité.
Sugarland Express – Steven Spielberg, 1974
Toute première collaboration entre Spielberg et Williams, Sugarland Express est un point de départ étrange. Volontairement ancré dans l’imaginaire du Nouvel Hollywood, le film est un road-movie suivant un couple de marginaux, joués par Goldie Hawn et William Atherton, lancé dans une course-poursuite interminable pour récupérer la garde de son fils.
Tout comme le film, régulièrement oublié du fait de sa position dans la carrière de Spielberg (juste après le succès de Duel et juste avant le triomphe des Dents de la mer), sa musique est loin d’être la plus célèbre de la carrière de Williams. Elle vaut pourtant le détour, de par son caractère très émouvant mais aussi ses orchestrations : le thème principal est en quelque sorte une illustration musicale du dilemme à l’œuvre dans l’esprit de Spielberg, lorsqu’il tourne ce premier long-métrage pour le grand écran. Comment marier ses influences classiques tout en faisant son trou dans un paysage hollywoodien complètement transformé ?
Dans sa première moitié, le thème fait la part belle à la musique folk (guitare acoustique, batterie discrète et harmonica), avant que n’entre en scène un orchestre de cordes bouleversant. En d’autres termes, John Williams trouve par sa musique une passerelle entre le symphonisme de l’âge d’or et la simplicité du Nouvel Hollywood, à l’époque où, par exemple, Sam Peckinpah recrute Bob Dylan pour composer la BO de Pat Garrett et Billy le Kid.
Furie – Brian De Palma, 1978
Parmi les maîtres à penser de John Williams figure aussi le grand Bernard Herrmann, compositeur attitré d’Alfred Hitchcock. En 1976, Williams aura d’ailleurs l’honneur de mettre en musique Complot de famille, le dernier long-métrage du maître du suspense. Mais c’est bien avec Furie de Brian De Palma (grand adorateur d’Hitchcock, ayant lui-même collaboré avec Herrmann) que cette parenté stylistique saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles. Pensé comme une suite spirituelle de Carrie, le film suit le personnage de Peter Sandza (Kirk Douglas), dont le fils, doué de pouvoirs psychiques, a été kidnappé par une agence gouvernementale.
La grandiloquence de la mise en scène de De Palma offre à Williams un terrain de jeu exceptionnel : dès le thème d’ouverture, un crescendo puissant que l’on pourrait sans peine juxtaposer au générique de Sueurs froides, Williams témoigne d’un goût prononcé pour le suspense et l’angoisse. Des cordes stridentes, des coups de semonce percussifs et même l’utilisation du thérémine, instrument de l’étrange et du fantastique par excellence, prouvent que Williams a bien retenu les leçons de Bernard Herrmann. Il s’épanouit autant dans un univers merveilleux que dans les méandres de l’épouvante.
À noter toutefois que Williams se permet aussi, dans Furie, quelques morceaux nettement plus guillerets, aux sonorités jazzy, qui rappellent sans l’ombre d’un doute les travaux d’Henry Mancini, l’homme derrière le thème de La Panthère rose.