Depuis sa sortie en juin dernier, et même avant ça, avec les bombes des singles “Von dutch” ou “360”, je vis pour BRAT, le nouvel album de la Britannique Charli xcx. Au-delà d’une sortie de disque, c’est un véritable phénomène culturel que la nouvelle reine de la pop niche et glitchy nous a servi, en immergeant la pop culture dans des teintes de vert fluo dégueulasse et d’une philosophie hédoniste trash comme on en avait plus vu depuis Kesha, Uffie ou Miley Cyrus à l’ère Bangerz.
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Alors qu’elle est aujourd’hui nommée aux Grammy Awards dans les “grosses catégories”, et qu’elle a fait de “brat” (qui se traduit “morveuse” ou “sale gosse” en français) le mot de l’année selon un dictionnaire influent, Charli xcx a récemment entamé une tournée solo des arènes de son pays natal, l’Angleterre, et j’ai eu la chance d’être invité à sa date à l’O2 de Londres par le festival parisien We Love Green, qui l’accueillera en juin prochain sur sa main stage. Alors, pour que vous sachiez : j’étais derrière un poteau, et c’était le meilleur concert de ma vie.
La zone restricted view, mon nouveau paradis
J’ai longtemps critiqué les fans hardcore prêts à payer des tickets pour se retrouver à l’arrière de la scène. Last minute oblige (j’ai appris que j’assistais au concert un jour avant), les seuls tickets disponibles demeuraient ceux dits des “restricted view”. Comprenez : vous êtes très proches de la scène (cool), mais à tout moment vous ne voyez rien (moins cool). En l’occurrence, rassurez-vous : je ne suis pas vraiment derrière la scène, mais plutôt sur le côté, avec une vue sur les backstages, et surtout un énorme poteau latéral qui m’empêche de visualiser l’avant-scène.
Dans l’antre de cette mythique salle de l’O2, alors que je me place dubitativement dans le coin de l’arène, je me rends rapidement compte que cette zone est un merveilleux croisement des classes que Pierre Bourdieu aurait adoré décortiquer. On y retrouve autant les jeunes fans en hess qui ont cassé leur tirelire, que les guests proches de Charli (Oliver Sim du groupe The xx est assis à deux places de moi, je crie), que les groupes plus “familiaux”, pas assez fans pour débourser trop d’argent afin d’assister au concert, mais assez curieux pour se procurer des tickets à prix cassés.
Les styles s’y chamboulent : les crop tops fluo se mêlent aux cardigans formels et aux chaussures Salomon du genre de bourgeois insupportables qu’on retrouve dans le XIème arrondissement de Paris et, rapidement, comme c’est souvent le cas quand on mêle des groupuscules qui n’ont rien à faire ensemble, c’est l’effervescence. Après une première partie bien menée par Shygirl (qui a d’ailleurs fait monter sur scène notre Yseult nationale en vue de leur featuring “FUCK ME”), Charli débarque en trombe et, derrière mon poteau, je frémis.
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Charli xcx, reine de scène
Ce qui suivra, c’est près de deux heures de show bestial, sauvage et frontal, dans une arène ultra soldout et bouillante pour l’occasion, remplie d'”angels” (nom donné à ses disciples) prêt·es à idolâtrer la reine qu’ils et elles ont vu grandir et s’élever au fil des années, du rang de princesse hyperpop underground à nouvelle reine de l’anti-pop mainstream qui séduit aujourd’hui les cool kids et même les grandes marques — de H&M à Acne Studios.
Le spectacle est clairement dédié à son dernier disque, dont presque tous les morceaux sont rejoués, incluant certains remixes issus de l’excellent album Brat and it’s completely different but also still brat paru en octobre 2024. Certains survivants de sa discographie passée se glissent tout de même dans la setlist, à commencer par l’inévitable tube “I Love It” (dont elle semble un peu saoulée, si vous voulez mon avis), les sublimes “party 4 u” et “Track 10” (chanté sous la pluie, en mode Shay si Shay était “brat”), mais aussi “Vroom Vroom”, le vrai tube de Charli, qui a fait gronder la salle et frissonner mon petit corps fébrile.
On souligne l’efficacité de ces nouvelles pépites, taillées pour le club (comme le martelle “Club classics”), mais aussi pour les stades visiblement, en témoignent les excellents “Guess”, dont l’itération avec Billie Eilish est choisie, le tonitruant “Everything is romantic” ou le lead single “Von dutch”, qui ne manque jamais de m’enflammer. Seule en scène (c’est une simple bande-son qui l’accompagne, et ça c’est “brat”), avec un tube néonisé et des écrans géants qui la suivent à chaque minute du show, Charli le prouve : elle n’a besoin de rien d’autre qu’elle-même et ses lunettes de soleil géantes pour régner sur scène.
Pop culture
Tout comme ses shows à Madison Square Garden de New York, où sont montées sur scène Lorde et Addison Rae, cette date à l’O2 de Londres promettait son lot de surprises. Et je n’ai pas été en reste : ce ne sont pas moins de trois têtes bien connues qui sont venues prêter main forte à Charli, à savoir Caroline Polachek sur le remix d'”Everything is romantic” (j’ai hurlé) et de “Welcome To My Island”, mais aussi Yung Lean et la reine (!) Robyn.
Les deux artistes suédois·e·s ont tout d’abord pris le micro pour chantonner timidement et maladroitement le remix de “360” — pas forcément le moment musical le plus mémorable du show, mais sans équivoque l’un des plus iconiques — avant que Robyn ne prenne possesion la scène pour interpréter son tube éternel “Dancing On My Own”. Alors que Robyn chante en choeur avec les 20 000 personnes présentes ce soir-là, extatiques, et que la new gen (Shygirl, Yung Lean et Charli) l’acclame à l’arrière de la scène, la pop culture s’écrit sous mes yeux et je suis en larmes.
Derrière mon poteau, au plus près de ma nouvelle obsession pop, j’ai certainement vécu l’un des moments musicaux les plus vibrants et vivants de mon année 2024, et je ne peux que prier pour que la foule parisienne du We Love Green mette le paquet pour le passage de la mère suprême, le samedi 7 juin prochain au Bois de Vincennes. Angels français·es, soyez à la hauteur.