Je suis entrée dans le monde des Morts (oui, oui) et j’y ai trouvé des réponses à mes angoisses existentielles

Je suis entrée dans le monde des Morts (oui, oui) et j’y ai trouvé des réponses à mes angoisses existentielles

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© Donnia Ghezlane-Lala/Konbini

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Par Donnia Ghezlane-Lala

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J’ai visité pour la première fois de ma vie les catacombes de Paris, et j’y ai rencontré de chouettes crânes et esprits qui ont apaisé mes angoisses de la mort.

Y a-t-il une vie après la mort ? Oui, vos os, votre crâne, votre squelette tout entier peuvent être transformés en de jolies installations artistiques enterrées à 65 pieds sous terre – si on en croit ma visite des catacombes de Paris. Et si ce n’est pas une belle réincarnation, ça ! C’est à peu de chose près la question que je me suis posée en allant visiter pour la première fois ce lieu parisien mystérieux, situé dans le 14e arrondissement.

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Ma visite s’est d’ailleurs avérée salvatrice puisqu’il faisait 35 degrés ce samedi-là, et donc 14 degrés “en bas”, avec un taux d’humidité très élevé comme on peut s’y attendre. Un conseil : par temps de canicule, allez vous réfugier aux catacombes. Attention au mal de crâne en sortant : la faute à la pression atmosphérique… ou à l’énergie des esprits qui vous traversent pendant une bonne heure.

L’expérience fut mystique et instructive. Je me suis dirigée solo avec mon petit audioguide dans les tréfonds de Paris. La visite débute par un escalier de 131 marches à descendre. J’avais l’impression qu’il me menait à l’empire de Satan, que j’étais punie, que c’était ça le purgatoire, ou le mythe de Sisyphe… Mais me voilà bien arrivée dans les abysses de Paris. Avant d’y aller, je pensais que les catacombes étaient simplement les égouts de Paris, et j’étais loin d’imaginer ce qui m’attendait.

L’ossuaire : hague d’ossements. (© Pierre Antoine/Les Catacombes de Paris)

Dépouilles et sculptures

Ce qui m’accueille, à part les équipes bienveillantes dès l’entrée, c’est l’odeur de soufre (c’était sûrement autre chose) dans l’escalier. Mon audioguide me prévient assez rapidement du taux d’humidité de ces tréfonds et de la richesse des minéraux des carrières de notre chère capitale. J’avance dans les galeries, et un trait noir au-dessus de moi parcourt le plafond du tunnel que je suis. Ce trait noir est là depuis les débuts des travaux de réaménagement des carrières : les ouvriers s’y référaient pour se repérer sans lumière et électricité à disposition.

Je vois des inscriptions au mur : ces écritures donnent des infos sur la rue, le nivellement, les dates, orientent et situent les rénovations. Je me crois dans un film d’horreur et je me rêve en final girl. J’avais déjà visité le flippant Couvent des Capucins à Rome, donc je savais gérer ce genre de situations. Mais pourquoi les catacombes existent ? À l’époque, Paris et “ses environs” (comprendre : les 13e et 14e arrondissements, qui n’étaient pas considérés comme intra muros) s’effondraient littéralement. Toutes les carrières partaient en fumée, et il fallait faire état des dégâts, réparer, consolider, car le sol parisien s’apprêtait à avaler tout cru ses habitant·e·s.

L’ossuaire des catacombes : le Tonneau. (© Pierre Antoine/Les Catacombes de Paris)

Les galeries que je visite aujourd’hui sont donc le fruit de ces travaux. Sauf que ça aurait pu s’arrêter là mais non, un jour, un gus s’est dit : “Et si j’y foutais mes morts ?”, pensant que ce serait un chouette lieu de conservation. C’est à la fin du XVIIIe qu’on a appelé ces galeries et carrières rénovées, les “catacombes”, tout ça pour rivaliser avec celles de Rome, qui en avait déjà, elle, des catacombes.

Revenons à nos morts. Face à la menace sanitaire que représentait le cimetière des Innocents (pas si innocent que ça…) à cause du trop grand nombre de corps en décomposition entassés en continu, ce gus décide donc de déplacer ces dépouilles dans nos belles catacombes réaménagées. Son but était d’assainir le centre de Paris car les cimetières devenaient insalubres, propageaient des maladies, empoisonnaient l’air, faisaient tourner le lait, le vin et les vivres, bref, vous avez compris, c’était la hess.

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Pendant quinze mois, le transfert des ossements a eu lieu, et d’autres acheminements étaient prévus dans les décennies à venir. Il y avait beaucoup de décès, à cause des épidémies, mais aussi des émeutes : le roi Louis XVI venait de déclarer la France en faillite. En termes d’émeutes, ça équivaut à un gouvernement macroniste qui nous annonce un centième 49.3, mais fois 100. Le nombre de mort·e·s était catastrophique, c’était le début de la Révolution française. Et il fallait les transporter, vite, dans les catacombes. On estime alors que les catacombes compteraient pas moins de six millions de dépouilles de Parisien·ne·s. Parmi celles-ci, les os de grands noms : Rabelais, Racine, Pascal, Danton et Robespierre. Puis un jour, un autre gus s’est dit : “Et si, avec tous ces os empilés, on faisait de jolies sculptures en forme de cœurs ? Et si on ouvrait ce lieu comme un musée ?”, et c’est là que c’est parti en fétiche morbide.

Entrée dans le royaume des Morts

“Arrête, c’est ici l’empire de la mort.” C’est en passant sous cette phrase, affichée à l’entrée des ossuaires, que je suis entrée dans le royaume des Morts. Clairement, elle donne le ton et je flippe un peu. L’énergie de l’espace a même étrangement changé : c’est plus froid, le cœur bat plus vite, les tempes tapent plus fort. Sur le chemin, je tombe sur la fontaine de la Samaritaine, qui abritait à l’époque quatre poissons rouges. L’expérience a montré que l’écosystème des catacombes permettait de maintenir les poissons en vie, sauf qu’ils ne se sont pas reproduits. Les ouvriers des catacombes avaient une croyance (qui n’a pas pu être vérifiée) : les poissons étaient capables de donner des indications sur les changements de temps à venir.

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Outre ma rencontre avec cette fontaine, je suis aussi tombée sur des citations qui font sourire, et dont voici quelques extraits bien “mantras d’emos naviguant sur Skyblog en 2007” : “À la mort, on laisse tout” ; “Ce que l’on sème ne peut prendre vie que par la mort” ; “Elle est horrible la mort du pécheur” ; “C’est par la malice du démon que la mort est entrée dans le monde” ; “Tout est consommé” ; “Les justes sont à l’abri des angoisses de la mort” ; ou encore “Pour moi, la mort est un gain”.

En réalité, au-delà d’un musée de l’horreur, ce lieu fait remonter toutes mes angoisses existentielles, toutes mes peurs mortelles. La vie a-t-elle un sens si on est voué·e·s à finir comme ça ? Qui était ce crâne-là, devant moi ? Quelle était sa vie, son travail, était-il un bon père ? Buvait-il du café ou du thé le matin ? Est-ce que cette personne aurait aimé être affichée ici, à la vue de tou·te·s et des appareils photo des touristes, pendant des siècles et des siècles ? Moi aussi, je serai décharnée comme ça quand je mourrai. Oui, je vais mourir.

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Mais ce paysage macabre, à mesure que j’avançais dans les allées jonchées de pierres tombales, à mesure que je lisais ces citations, m’aidait à accepter mon destin, à relativiser mon existence, et surtout à avoir l’impression de faire partie d’un tout, d’une expérience collective humaine, celle que nous partagerons tou·te·s, la Mort. Et je ne sais pas pourquoi cette pensée était réconfortante, de pouvoir m’imaginer dans le grand bateau de l’Humanité, et non pas seule face à mon destin. Alors, j’ai posé ma valise à angoisses et je l’ai laissée dans les catacombes de Paris.

À la fin de mon cheminement, l’audioguide me raconte une anecdote qui résonne avec mes épiphanies de carpe diem : le 2 avril 1897, entre minuit et deux heures du matin, la crème de la crème parisienne a organisé une très grande fête clandestine dans les catacombes. Les responsables ont fermé les yeux pour laisser ce gratin profiter de sa soirée à la Eyes Wide Shut. L’invitation promettait un “concert spirituel et profane” à la bougie, “au milieu des crânes et tibias”.

Des fiacres de nuit étaient prévus pour acheminer discrètement la centaine d’invité·e·s triée sur le volet. La playlist, concoctée par un orchestre composé de 45 instrumentistes, était “de circonstances” : des Marches funèbres à gogo, de Chopin, de Beethoven, et une Danse macabre, de Saint-Saëns. Après avoir rendu mon audioguide, remonté les 112 marches de l’escalier du retour, je me suis dit que c’était ça, la vie, en attendant la Mort : des descentes aux enfers, des remontées, des fêtes profanes, et beaucoup de musique à écouter, en attendant.

© Donnia Ghezlane-Lala/Konbini

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L’ossuaire des catacombes : lampe sépulcrale. (© Pierre Antoine/Les Catacombes de Paris)

L’ossuaire des catacombes. (© Pierre Antoine/Les Catacombes de Paris)

L’ossuaire des catacombes. (© Pierre Antoine/Les Catacombes de Paris)

Les catacombes : le bain de pieds des carriers. (© Pierre Antoine/Les Catacombes de Paris)