“Je t’écris sous l’impulsion de la liberté, depuis une Palestine libre” : 3 artistes palestiniens nous racontent la colonisation

“Je t’écris sous l’impulsion de la liberté, depuis une Palestine libre” : 3 artistes palestiniens nous racontent la colonisation

Image :

© Maen Hammad

photo de profil

Par Lise Lanot

Publié le , modifié le

La parole aux concerné·e·s : Maen Hammad, Jacqueline Bejani et une artiste anonyme nous ont donné de leurs nouvelles alors que les bombes s’abattent sur leur pays, la Palestine.

Face aux atrocités commises en Palestine et à la difficulté de communiquer sur le sujet, nous laissons aujourd’hui la parole à celles et ceux qui subissent – de près ou de loin – la colonisation et les bombardements de l’armée israélienne. Voici les nouvelles envoyées par trois artistes palestien·ne·s sur leur pays, les peurs et la colère, l’espoir et l’effroi. Place aux mots du photographe Maen Hammad, de la peintre Jacqueline Bejani et d’une artiste qui a souhaité rester anonyme, de peur de la censure et des représailles.

À voir aussi sur Konbini

© Maen Hammad

Maen Hammad : “Imaginer la liberté n’est pas hors d’atteinte”

J’écris depuis la Cisjordanie occupée, depuis le camp de réfugiés des ancêtres de mon père. J’écris sous l’impulsion de la liberté. La liberté que mon peuple porte en lui, même si cet État libre n’existe pour le moment que dans nos rêves.

En tant que photographe et documentariste, je crois en la capacité de mon appareil photo à partager ce rêve qui nous habite, cette soif de liberté. Au sein de notre monde, où mon peuple n’existe que sous la forme de sujets déshumanisés ou de décompte de morts, je crois en la capacité de mon appareil à documenter nos moments de vie – en opposition directe à plus de 75 ans de domination israélienne sur notre terre, nos corps et nos imaginations.

J’écris avec dignité, j’écris avec certitude qu’imaginer la liberté n’est pas hors d’atteinte. Je t’écris en sentant la liberté abonder dans mes veines, depuis Gaza et mes compatriotes, depuis les collines vallonnées de la Cisjordanie, depuis les rives historiques de la Palestine. Je t’écris depuis Falasteen. Depuis une Palestine libre.”

© Maen Hammad

Jacqueline Bejani : “Il faut du courage”

“Des humains enfermant d’autres humains à ciel ouvert, sans eau, sans électricité, sans nourriture et les bombardant à l’envi. Une armée surpuissante protégeant des colons, les incitant à chasser des familles entières de leurs maisons, à s’y installer, gardant leurs meubles, leurs vêtements et leurs âmes. Des colons, toujours protégés par l’armée la plus ‘morale’ du monde, jetant leurs poubelles dans les maisons palestiniennes… Leurs poubelles… Tous les jours.

Au vu et au su de tous.
Au vu et au su de tous.
Au vu et au su de tous.

Je pourrais être cet humain, le colon s’amusant à piller les biens des Palestiniens assistant à des funérailles, s’amusant à pousser les porteurs de cercueil pour le faire tomber. L’armée qui a bombardé les écoles, les hôpitaux, 18 établissements de santé, 20 ambulances (cf. le 12 octobre dernier, Nations Unies), les crèches et des quartiers entiers de Gaza.

De grâce, arrêtez-moi. De grâce, ne me laissez pas donner ce fardeau en héritage.

Les tentatives pour rejeter la faute sur les victimes, pour couvrir ces horreurs, seront éventées. L’histoire est longue et la roue tourne.

Il faut du courage.”

© Jacqueline Bejani

Artiste anonyme : “C’est une période terrible, horrible, et le pire est à venir”

“C’est très compliqué pour les Palestien·ne·s qui sont à l’intérieur de l’État d’Israël. Ces dernières années, le gouvernement israélien contrôlait tout ce qui se passait sur les réseaux sociaux. Il existe une unité militaire spéciale dédiée à cela. En plus de la censure de contenus palestiniens sur Meta, on subit désormais des campagnes d’arrestation à grande échelle de la part de la police israélienne à cause d’une story qui partage une invitation à aller prier à la mosquée ou un peu d’empathie à l’égard des Palestinien·ne·s de Gaza.

À la suite du 7 octobre dernier, l’École des beaux-arts Bezalel, ‘la plus prestigieuse académie d’arts d’Israël’, a renvoyé les élèves arabes à cause de leurs stories sur Instagram, prétextant qu’il s’agissait d’apologie du terrorisme. Chaque story concernant la guerre peut être interprétée ainsi. Il se passe évidemment la même chose avec chaque université ou institut en Israël.

Plus de deux millions de Palestinien·ne·s vivent actuellement en Israël, terrifié·e·s des conséquences de publier ne serait-ce qu’un post sur les réseaux sociaux. Ils sont privés de leurs droits les plus basiques d’expression. Des violations de la loi sont prétextées pour justifier des arrestations arbitraires et des simulacres de procès afin de silencier tout le monde. Et je pense que ce n’est que le début.

Je pense à après la guerre… Et j’espère qu’elle va se terminer bientôt mais je n’y crois pas, personne n’y croit. Au bout du compte, nous, Palestiniens d’Israël, nous allons à l’école avec les Israéliens, on boit notre café avec eux, comme eux, on travaille avec eux à l’hôpital, on fait la queue au café le matin à côté d’eux. Mais maintenant, ils regardent chacun d’entre nous comme des ennemis. Ils ont donné des armes à 25 000 personnes en Israël, afin de légitimer les violences, sous prétexte de ‘légitime défense’. Beaucoup de colons, en Cisjordanie, ont blessé ou tué des Palestiniens. C’est une période terrible, horrible, et le pire est à venir. On ne peut pas s’exprimer, on ne peut rien publier, cela prouve le niveau de démocratie de cet État.”

© Jacqueline Bejani

L’organisation With Humans organise une vente de tirages de “photographes pour la Palestine” ici.