La fois où j’ai fait 500 km pour voir Sneazzy mais qu’il n’est jamais venu : histoire romantique des petits médias rap

La fois où j’ai fait 500 km pour voir Sneazzy mais qu’il n’est jamais venu : histoire romantique des petits médias rap

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Par Sandra Gomes

Publié le , modifié le

Nous, journalistes, on a tous une raison de détester un artiste, on a tous une villain origin story.

Cet été, on a décidé de vous raconter nos moments d’interview les plus fous, du meilleur au pire. Entre grandes gênes, petits bonheurs et chaudes larmes, on vous dévoile tout.

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Oh, je vous vois venir. Un nouvel article de Konbini qui veut se payer la tête de Sneazzy, pas original, déjà fait. Non, laissez-moi vous raconter derrière cette anecdote, que l’on appellera un rendez-vous manqué, le fabuleux quotidien des petits médias rap. Les péripéties de ces jeunes passionnés qui décident de dédier tout leur temps, leur énergie et leurs quelques deniers (pas grand-chose, en général) à ce foutu rap… pour très souvent, beaucoup d’ingratitude. Je fus un membre actif de ce club avant d’avoir une place dans la rédaction pour laquelle j’écris ces mots et je me rends compte tous les jours que c’était sûrement la meilleure formation de journaliste que je pouvais suivre.

Au départ, il y avait des jeunes passionnés

Revenons quelques années en arrière. Nous sommes alors en février 2020. Quelques mois auparavant, à Lyon, s’est formé un petit groupe de passionnés qui voulait parler de rap. En 2019, l’essor des médias rap sur les réseaux sociaux en était encore à ses balbutiements mais il s’apprêtait à devenir colossal, pour tous ceux qui étaient actifs à cette époque, c’était perceptible. La génération d’auditeurs rap se renouvelant sans cesse, la musique elle-même se réinventant à chaque saison, apportant à chaque fois son lot d’innovations, de nouvelles têtes et de remises en question, il y avait toujours de quoi commenter.

All Eyez On vu alors le jour sous l’initiative de deux frères ambitieux, rejoints peu à peu par des membres tous plus érudits les uns que les autres et prêts à en découdre devant un micro. C’est comme ça que je rejoins l’aventure, peu de temps après son lancement. À l’époque, j’étais déjà active dans l’industrie musicale en tant que photographe. Je documentais alors le rap sous ce prisme, en écumant les concerts et plateaux de tournage avec mon A7III.

Un local technique en guise de bureau et des plans Boursorama

Le plan était simple : on se réunissait le plus souvent possible dans un petit local technique d’un bar dans le quartier de Saxe-Gambetta pour discuter de toutes nos idées et, d’une part, on développait une série de podcasts sur l’histoire des grands collectifs du rap français, d’autre part, lorsque des artistes étaient prévus de passage à Lyon pour des concerts, on faisait en sorte de les avoir en interview. À force d’insister, ça finissait par marcher. Oui, il fallait sacrément insister parce qu’en tant que petit média, pas grand monde ne nous donnait l’heure.

Viennent alors les premiers contacts avec les antagonistes de cette histoire : les attachés de presse. En vrai, ils font un métier difficile, ingrat, instable et on peut facilement le reconnaître, mais jusqu’à ce que chacun obtienne ce qu’il veut, entre média et RP, c’est une guerre psychologique. Alors ce fut une sacrée bonne nouvelle quand, à l’hiver 2020, on réussit à organiser une interview avec Sneazzy, rappeur bien connu du groupe 1995 qui s’apprête alors à sortir un nouvel album. Son attachée de presse (on l’appellera Inès), nous propose une date, une heure et une adresse pour venir la mettre en boîte.

Le problème, c’est qu’en plus d’être un petit média, on est un petit média lyonnais et Sneazzy n’a pas prévu de venir graille un tacos à la Marinade de sitôt. L’occasion est quand même belle et, boostés par les premières interviews réussies, on se décide à faire le déplacement. C’est évidemment à nos frais mais on voit ça comme de l’investissement pour permettre au média de continuer son développement, il n’y a pas de secret, ça marche comme ça, je crois. Je n’ai pas le temps de m’arrêter là-dessus mais sachez que le modèle économique du média repose sur des plans Boursorama, ceux qui peuvent comprendre comprendront. On a pas mal de matos à monter avec nous alors ce sera ma princesse, ma Twingo, qui nous emmènera jusqu’à Paris. Un joli modèle de 1998 que j’ai la chance d’avoir dégoté en boîte automatique, ma première voiture pour laquelle j’ai souscrit à un crédit à la consommation que je n’ai pas encore fini de rembourser à l’époque mais on y est bien, dans la Twingz, et la misère est si belle.

Personne ne nous rendra ces 1 000 kilomètres

Rendez-vous donné à 5 heures du matin, je récupère la fine équipe, on charge le matos et nous voici en route vers la capitale. Sur le trajet, on écoute NOUVO MODE, l’album envoyé en avant-première, sur mon répétiteur Bluetooth, à défaut d’avoir un CarPlay, et on lui trouve des qualités, on note quelques questions, quelques rebonds. Préparez-vous maintenant, la fin arrive très vite. 5 heures de route plus tard, on est fracassés mais animés par une certaine excitation, on se gare dans le 18e arrondissement, proche de l’hôtel où une salle est mise à disposition pour l’interview. C’est un sous-sol très atypique décoré façon salon marocain avec tapis et fauteuils anciens, un peu en vrac mais on est arrivés bien en avance pour arranger tout ça et préparer notre cadre. Plus pros que des pros.

Pleins d’ambitions, on n’a plus qu’à démarrer, mais vous l’aurez compris, c’est maintenant : Sneazzy ne viendra jamais. Inès n’a pas d’explications à nous donner, “ça n’avait pas été confirmé” ou “il ne veut plus faire d’interviews”… C’est un des fondateurs du média qui se débat auprès de son attachée de presse pour trouver une solution mais l’excitation laisse place à un long silence. J’ai l’impression que le silence a duré jusqu’au retour à Lyon. Rien n’y fait, il ne viendra pas, il ne veut plus. On n’aura jamais de vraies explications. De notre côté, on sait que tout avait été confirmé, on ne se serait pas déplacés de 500 kilomètres à la légère mais, du côté artiste, ça restera flou. Un désistement de dernière minute, il n’a plus envie de donner d’interviews ou alors… il n’a plus envie de nous en donner à nous.

C’est là qu’on se fait remettre à notre place gentiment, celle de petit média de province (je parlerai du mot province dans une autre chronique). Une semaine plus tard, en se baladant sur YouTube, on explosera de rire devant une miniature. Pas besoin de cliquer, on a tout compris tout de suite. Le média Interlude publie “Sneazzy face à lui-même” et le décor, on le connaît bien, c’est le vieux tapis et les fauteuils qu’on s’était fait chier à mettre en place. Donc au moment où on se faisait virer et qu’on était allés noyer notre peine dans de la sauce algérienne d’un snack environnant, un autre média prenait notre place. Je peux vous dire que sur le trajet du retour, on trouvait plus aucune qualité à cet album. C’est de bonne guerre, on gardera ça pour nous.

© YouTube Interlude

Bienvenue dans le monde des médias

C’était ma villain origin story mais, en vrai, on n’en a gardé aucune rancune et peu importe la raison de ce rendez-vous manqué, on a tous appris. Les frères fondateurs du média ont poursuivi l’aventure avec une émission rap sur Twitch qui rayonnera localement et, avec mon fidèle acolyte de la bande, Ilies, on a lancé notre propre podcast OUTCAST qu’on alimentera fidèlement pendant trois ans et qui deviendra un sacré repère de geeks du rap.

Nous sommes en août 2024 et, depuis, la Twingo a été vendue, j’ai décidé de m’installer à Paris et je suis désormais journaliste chez Konbini. Je crois beaucoup trop au fait que tous les petits cailloux que l’on entasse les uns sur les autres finissent par former des montagnes. Alors, j’ai énormément de tendresse pour cette époque, pour tous ces événements, tous ces jobs aussi chaotiques qu’instructifs qui m’ont menée jusqu’à vous. J’ai énormément de respect et d’admiration pour tous ceux qui œuvrent pour faire vivre la musique qu’ils aiment par-dessus tout, en écrivant des articles, en enregistrant des vidéos sur YouTube ou des longs podcasts de discussion, en débattant sur Twitch ou encore en alimentant l’horrible réseau social X/Twitter de vos meilleures recommandations. Vous participez à mettre en lumière un genre qui a été longtemps mis dans l’ombre mais vous faites surtout vivre, à votre échelle, la musique la plus vibrante de ces dernières années.

REP la Twingz.