Au château de la Star Academy, la bienveillance, prônée par la production comme une valeur cardinale de l’émission, a été très bien assimilée par les professeurs et les élèves. Beaucoup moins par leurs fans, sur les réseaux. Campagnes de dénigrement, harcèlement, complotisme, insultes et, pire encore, les comportements toxiques pour faire sauver “son” candidat ont inondé la Toile pendant cette saison 12, qui prend fin ce samedi soir.
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Quelques heures avant la fermeture des portes du château de la Star Academy symbolisant la fin à venir de la saison 12, l’association SOS Racisme a annoncé mercredi soir déposer plainte auprès du procureur de la République du tribunal judiciaire de Paris concernant les attaques racistes subies par Ebony, finaliste du programme. La jeune femme de 20 ans, originaire de Guadeloupe, talentueuse en chant comme en danse, est le cas le plus parlant des dérives qui accompagnent la diffusion de l’émission culte de TF1. Mais pas le seul, loin de là. La majorité des élèves a été victime, au cours de l’émission, de campagnes de dénigrement, de moqueries et de messages insultants de la part des suiveurs du programme sur les réseaux sociaux. Les soutiens des candidats, organisés en “teams”, s’affrontent sur la Toile comme des armées numériques pour tenter de faire sauver leur élève préféré, quitte à parfois nuire aux autres.
On peut ainsi lire, en traînant sur ces plateformes, que Marine [l’autre finaliste, ndlr] est une “manipulatrice et calculatrice” et qu’“une fille qui pleure autant n’a pas les épaules pour le monde de la musique, c’est donc le moment de l’éliminer”. Qu’Ulysse, 24 ans et sorti du château le 4 janvier, est un “guignol” “nul à chier et fade”. Que Marguerite, 24 ans également, est “une mocheté qui va gagner” car “elle est pistonnée”. Que Maureen a été “protégée par la prod qui voulait nous faire croire que c’était une potentielle demi-finaliste alors qu’elle est claquée”. Qu’Ebony, “prétentieuse”, “moche et sans aura”, est elle aussi “pistonnée par son père qui paye la prod et le public”.
Quand elle saute au cou de son papa venu lui faire la surprise de partager une chanson avec elle sur un prime, ces mêmes comptes diffusent des sous-entendus incestueux. Quand Paul, 23 ans, décide d’assumer ses goûts en s’habillant d’un manteau de fourrure et de cuissardes pour les premières évaluations de la saison, on peut lire dans des groupes Facebook qu’il est “une honte pour la France” ou que c’est “une horreur. Il dit être hétéro, je plains sa petite amie”. L’équipe de modération d’un de ces groupes Facebook rassemblant plusieurs dizaines de milliers de téléspectateurs de l’émission nous a ainsi confié devoir faire un travail de modération “jour et nuit” pour tenter de garder propres les espaces de discussion.
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Des comportements à l’opposé des valeurs véhiculées par les élèves au château
Dès les premiers jours de vie en commun au château de Dammarie-les-Lys et comme la saison dernière, Michael Goldman, qui campe le rôle de directeur de l’académie, a rassemblé tous les élèves dans le salon pour leur faire passer un message de cohésion. L’idée était de dire : même si vous êtes en compétition, faites preuve d’esprit d’équipe, soutenez-vous et montrez de la bienveillance les uns envers les autres. Une ambiance “troupe”, recherchée par la production de l’émission, qui fait la particularité de cette téléréalité devenue familiale – elle ne l’a pas toujours été – et pas comme les autres, très souvent articulées autour de clashs plus ou moins scénarisés.
Cette ligne directrice de bienveillance a, cette année encore, été bien assimilée par les résidents du château : un élève qui revient d’évaluation ou dont on débriefe une prestation est toujours félicité ou réconforté par le groupe, on se réjouit du succès des autres, on s’encourage dans les périodes de doute ou de fatigue. Et si de vrais moments de discorde existent, comme dans tout groupe qui cohabite au sein d’une maison, les angles sont rapidement arrondis par des discussions posées montrant une maturité relationnelle parfois bluffante pour l’âge moyen des candidats. Les profs véhiculent ces mêmes valeurs en étant constructifs dans leurs critiques et en multipliant, notamment via la coach d’expression scénique Marlène Schaff, les messages d’acceptation de soi auprès de ces jeunes artistes régulièrement en crise de confiance et de légitimité.
S’identifier à un candidat, un risque à savoir gérer
Mais alors comment des téléspectateurs, pourtant quotidiennement témoins de cet esprit de tolérance infusé par l’émission, en arrivent à adopter des comportements à l’opposé des valeurs portées par le programme et les élèves qu’ils aiment suivre ?
“Quand on s’identifie à un candidat, on s’attache à lui, on l’aime et on a envie de le défendre contre d’autres qui, au contraire, nous agacent ou qu’on trouve moins bons”, pose la psychologue clinicienne Amélie Boukhobza. “Il y a quelque chose de personnel qui se met en route, le candidat devient presque un prolongement de soi-même.” Les échanges que Konbini a pu avoir avec plusieurs personnes activement impliquées dans le soutien d’un élève sur les réseaux nous ont en effet montré l’importance du sentiment d’appartenance induit par le fait de faire partie d’une “team” qui défend les intérêts d’un candidat. Il est d’ailleurs courant de lire ou d’entendre “Si mon favori sort, j’arrête de regarder”, comme si la personne était éliminée du programme en même temps que le candidat qu’elle soutient.
Cette identification excessive, conjuguée au pouvoir qu’ont les téléspectateurs de décider du destin des candidats dans l’émission en votant et en influençant le vote des autres, aboutit chez certains aux débordements évoqués plus tôt.
“Un engrenage pulsionnel”
Le rôle des algorithmes dans la prolifération de ces comportements toxiques, qui ont toujours existé mais sont de plus en plus visibles, est également décisif. Ces algorithmes, notamment celui de X/Twitter et plus encore depuis son rachat par Elon Musk, mettent en avant les contenus outranciers car ils font réagir davantage, et durcissent nos positions en nous enfermant dans des bulles où tout le monde pense comme nous. “Cela crée un effet de groupe car on se sent validé par les autres”, explique la psychologue Amélie Boukhobza. “Plus c’est violent, plus ça buzze, donc ça décomplexe. Les discours, parfois renforcés par l’anonymat qui déresponsabilise, se radicalisent. On est pris dans un engrenage pulsionnel et on ne pense plus aux conséquences que les mots peuvent avoir sur ces jeunes gens à leur sortie de l’émission.”
TF1 a plusieurs fois diffusé des messages de prévention en ce sens et certains des élèves déjà éliminés ont confié leur indignation en découvrant le traitement réservé en ligne à certains de leurs camarades. La finale de l’émission, entre Ebony et Marine, est à suivre ce samedi soir à partir de 21 h 10.