Fallait-il y voir un signe ? En pleine production du Royaume des abysses, merveille d’animation chinoise racontant une incroyable odyssée sous-marine, des pluies diluviennes se sont abattues sur l’équipe du film jusqu’à complètement inonder les bureaux et les salles de montage. Une bénédiction aquatique que les superstitieux ont vue d’un bon œil, comme s’il s’agissait du présage d’un succès annoncé, mais surtout une catastrophe qui a failli sonner le glas de cette belle aventure.
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Au total, ce sont plus d’une quarantaine de postes de travail qui ont dû être sauvés des eaux et passés au sèche-cheveux pendant des heures, les images faisant le tour d’Internet. L’illustration d’une entreprise cinématographique de longue haleine qui a mobilisé au total plus de 1 500 personnes et demandé sept années de travail, pour un résultat visuel époustouflant.
Le Restaurant Ambulant
Le Royaume des abysses raconte la folle aventure vécue par Shenxiu, une fillette de 10 ans partie en croisière avec son père, sa belle-mère et un demi-frère qui concentre toute l’attention. Mal dans sa peau, renfermée sur elle-même, pas à sa place dans une famille qui n’est plus vraiment la sienne, elle ne se remet pas du départ de sa mère, qui s’est volatilisée sans raison.
Mais une nuit, en pleine tempête, elle croit l’apercevoir au large et tombe à l’eau. Elle se réveille dans un monde aquatique merveilleux, haut en couleur, peuplé de poissons à l’apparence humaine, et trouve refuge dans le restaurant des abysses, un étrange établissement gastronomique tenu par Nanhe, un chef fantasque, et son équipe de morses et de rongeurs.
Entre le récit d’initiation d’une petite fille à cheval entre deux mondes et le bestiaire fabuleux et féerique, on se croirait parfois dans Le Voyage de Chihiro. Le film est évidemment un hommage au travail du maître Miyazaki. Mais plus encore que la petite fille, c’est le personnage du cuisinier qui attire tous les regards. Facétieux et rusé, prenant souvent l’apparence d’un clown déjanté, Nanhe rappelle Sanji, le maître queux de l’équipage de Luffy dans One Piece. Son amour pour la nourriture, ses expérimentations, ses acrobaties et ses craquages intempestifs dynamitent sans cesse le récit.
D’abord antagoniste de Shenxiu, il va devenir le meilleur allié de la petite fille dans son odyssée sous-marine. Le seul espoir pour regagner son monde.
Une proposition visuelle inédite
Mais au-delà du récit, Le Royaume des abysses, c’est d’abord une claque visuelle qui reste longtemps en tête. Aux manettes de ce projet artistique à part, Tian Xiaopeng, virtuose de l’animation, déjà remarqué au Festival d’Annecy en 2015 avec Monkey King: Hero Is Back, une adaptation de la légende du roi singe malheureusement inédite en France, fait des merveilles et nous en met plein les yeux.
Déferlement psychédélique de couleurs et de formes, le film va au-delà de l’animation, il donne à voir ce qui ressemble à de la peinture animée. Un effet bluffant qui s’explique par une combinaison jamais vue jusque-là de techniques traditionnelles d’encre chinoise (notamment le sumi-e, un procédé consistant à diluer progressivement une couleur pour obtenir une gradation d’intensité) et d’une technologie à la pointe de la 3D.
(© KMBO)
Les équipes ont ainsi passé de longues heures à filmer en gros plan de vrais écoulements de peinture pour ensuite les incorporer à leur modèle d’animation. Une idée de génie et une prouesse technique qui créent une sensation inédite pour le spectateur, l’impression d’être englouti à la fois par les flots et par des torrents de peinture colorés. Par moments, l’expérience immersive rappelle Avatar : La Voie de l’eau. Comme le chef-d’œuvre technique de James Cameron, il faut voir le film en 3D pour en mesurer pleinement la puissance. Tian Xiaopeng met en scène un carnaval burlesque à couper le souffle qui émerveille et bouleverse.
Dans une époque terne, triste, rongée par le mal-être et les idées noires, il sonne la revanche des couleurs et fait de l’imaginaire et du rêve la clé d’un réenchantement du monde.