2004
J’ai 14 ans. Il est 7 h 35 du matin, il fait encore nuit, une fine pluie m’oblige à dissimuler mon acné sous ma capuche. Je monte dans le car numéro 33, qui m’emmène de mon petit village de Cantenay-Épinard à la petite ville de Montreuil-Juigné dans le 49, où mon collège de secteur, Jean Zay, m’attend de pied ferme. Je prends place côté fenêtre, le car démarre et j’appuie sur play. Mon lecteur CD lance l’album Hybrid Theory, sorti en 2000 et le premier titre, “In The End”. J’aurais préféré Meteora (2003), mais c’est au tour de mon petit frère de l’écouter. Malgré ce traumatisme, je colle mon front à la vitre. Mon esprit s’évade.
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“It starts with one thing, I don’t know why, doesn’t even matter how hard you try.”
Dans ma tête c’est bruyant, mais je garde une posture dark. Parfois mes lèvres bougent toutes seules, prétendant chanter, mais je reste discret. Pas envie de passer pour un loser qui fait du playback. Évidemment, je ne comprends pas un mot des paroles, mais je sais que ça me parle, que c’est triste et dur comme la putain de vie que je mène à commencer ma journée avec Maths et SVT.
Je fais le mec mystérieux, genre mes parents m’ont saoulé (en vrai, ils sont adorables). La vérité, c’est que j’ai le charisme d’un chou-fleur et j’ai les aisselles en sueur car je sais que je vais bégayer si je croise mon crush Charlotte. Je ne connais rien à la vie, j’ai peur de tout, mais Linkin Park m’accompagne et me donne de la force.
Quelques années plus tard, Linkin Park reste présent dans mes oreilles avec l’album Minutes to Midnight (2007). Je deviens un hacker solide en utilisant le site YouTube to MP3 pour remplir mon lecteur mp3, et “What I’ve Done” et “Numb” continuent de back up mes pensées solitaires. Puis j’entre dans l’âge adulte et j’oublie. Je passe à autre chose.
2024
J’ai 34 ans. Linkin Park fait partie de mon passé. Plusieurs de mes titres préférés comme “Papercut”, “One Step Closer”, “Don’t Stay”, “P5hng Me A*wy” ou “Krwlng” continuent de faire coucou sur Spotify quand je lance une lecture aléatoire, faisant remonter l’espace de trois minutes le souffle d’un souvenir. Mais rien de plus.
Ce jeudi 5 septembre, Linkin Park est en live et annonce avec un concert d’une heure un nouvel album, From Zero, le 15 novembre prochain. Après le décès du chanteur Chester Bennington, le groupe s’est trouvé une nouvelle voix en la personne de Emily Armstrong. J’écoute sans trop d’attente leur nouveau single, “The Emptiness Machine”.
“I know you’re waiting in the distance, just like you always do, just like you always do.”
Maintenant, je comprends l’anglais, je le chante à la perfection quand je coupe mes courgettes et cuisine mes pâtes aux 1 000 légumes © (recette originale). Étrangement, je le chante beaucoup moins bien quand des gens m’écoutent. Sur “The Emptiness Machine”, l’instru me parle d’emblée. La voix de Mike fait vibrer la vitre sur laquelle je posais mon front dans ce car numéro 33. La voix d’Emily fait vibrer mon âme. J’aime bien. Non, j’aime beaucoup. Je réécoute. Une fois. Deux fois. Hop, c’est ajouté dans ma playlist.
“Why I stay, when you just push away? No matter what you see, you’re still so blind to me.”
Plus jamais je ne te repousserai. Plus jamais je ne resterai aveugle. Linkin Park est de retour, et l’ado fan de mangas et de cartes Magic aussi. Il va être bon ce repas.