Loin des bombes russes, ce couple ukrainien exilé revit sa passion pour la photo argentique

Loin des bombes russes, ce couple ukrainien exilé revit sa passion pour la photo argentique

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© Marleen Beisheima/AFPTV/AFP

"Les gens s’intéressent à ce que nous faisons. Ce sont des gens très bien, les ondes sont positives."

Quand les bombes russes ont commencé à pleuvoir sur Kyiv, sa ville natale, Katya Hridina-But était enceinte de son troisième enfant et fière propriétaire d’un laboratoire de photographie argentique. Après une année et demie mouvementée, elle est désormais installée à Berlin avec son mari Dima, leur fille aînée parle aujourd’hui couramment l’allemand et le couple propose ses services aux mordu·e·s de la pellicule dans la capitale de la première économie européenne.

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Dans leur magasin Film Speed Lab (FSL), le couple dit offrir un service de développement des négatifs en 24 heures à tou·te·s les amoureux·ses de la photographie d’antan qui renaît de ses cendres depuis quelques années. “Les pellicules ne sont pas mortes, la demande augmente”, dit l’entrepreneuse de 38 ans. C’est un intérêt nourri par les réseaux sociaux, ce qui ne manque pas d’ironie, note-t-elle. Les Ukrainien·ne·s “ont les mêmes intérêts que les gens aux États-Unis ou en Allemagne, ils regardent tous TikTok et font de la photo”, selon elle.

La jeune femme, qui a donné naissance à son enfant pendant son exode à Tchernivtsi, dans l’Ouest ukrainien, se présente comme le cerveau de la petite entreprise. Son mari, exempté de mobilisation car père de trois enfants, y apporte toute sa passion pour la photographie. Cet homme de 40 ans dit aimer “l’émotion folle” émanant d’une pellicule qui, contrairement au numérique, exige de la patience avant de révéler sa beauté et sa puissance.

“Ondes positives”

Il dit aimer aussi les parcs de leur quartier bobo et familial de Prenzlauer Berg, la modernité de son magasin moitié labo, moitié salle de séjour, l’accueil chaleureux du voisinage. “Les gens s’intéressent à ce que nous faisons”, dit-il. “Ce sont des gens très bien, les ondes sont positives.” Le couple Hridina-But, qui s’exprime avec l’AFP encore essentiellement en anglais, a rejoint les rangs, encore modestes, des petit·e·s entrepreneur·se·s parmi les plus d’un million de réfugié·e·s ukrainien·ne·s enregistré·e·s en Allemagne depuis le début de l’invasion russe. Les deux ont surmonté assez rapidement les obstacles de la redoutée bureaucratie allemande pour lancer leur affaire.

La paperasserie, “c’est juste une particularité du pays, il faut passer par là, et puis tout fonctionne”, affirme Katya, qui a reçu aussi l’aide précieuse d’ami·e·s allemand·e·s et de certain·e·s de leurs salarié·e·s. Leur entreprise n’est pas encore rentable mais l’activité ne cesse d’augmenter. Elle compte désormais, avec une équipe de cinq, majoritairement ukrainien·ne·s, continuer à vendre et développer des pellicules couleur ou noir et blanc et proposer aussi un traitement ECN-2 pour les pellicules cinéma.

Parallèlement, le couple a conservé sa boutique de Kyiv, qu’une dizaine de salarié·e·s continuent de faire tourner. L’Allemagne a fait une exception à la loi pour les Ukrainien·ne·s demandeur·se·s d’asile leur permettant d’intégrer immédiatement le marché du travail. Quelque 36 000 avaient trouvé un emploi stable dans le pays à fin janvier, selon les dernières données du gouvernement allemand, dont un millier travaillaient à leur compte.

L’entreprise FSL a une clientèle dans toute l’Allemagne, parmi laquelle figurent aussi des réfugié·e·s qui fréquentaient leur boutique de Kyiv, comme Yana Isaienko. La jeune femme de 22 ans travaille désormais chez FSL et alimente son dynamique compte TikTok. Elle s’est aussi engagée dans l’organisation le 24 février, soit un an après le début de la guerre, d’une exposition dans le magasin montrant une série de photos destinées surtout aux exilé·e·s qui souffrent du mal du pays. Mais ces images fortes permettent aussi d’ancrer la guerre au cœur des préoccupations des client·e·s allemand·e·s, juge-t-elle.

Parmi ses préférées figure celle d’une grand-mère ukrainienne aux joues rouges en train de confectionner les fameux raviolis vareniki à la cerise, et celle d’un “hérisson tchèque”, du nom des obstacles antichar improvisés apparus dans les rues de Kyiv, avec une fleur dont la tige est comme plantée dans le métal. Avec l’invasion, “vous commencez à penser différemment à votre famille, à votre histoire, vous voulez rassembler le plus de choses possible”, dit-elle. Le photographe ukrainien indépendant Stan Gomov, 27 ans, aime venir au magasin qui lui permet de se sentir “chez lui”, dit-il. “Et plus généralement, il est important actuellement de se soutenir les uns les autres.”