Sous le nom d’Eyesofnasser, Nassereddine Anjar, 26 ans, est bien décidé à nous montrer le monde tel qu’il le voit et le ressent. Muni de son appareil photo, il capte son pays, le Maroc, les interrogations de sa génération et toutes les contradictions qui l’habitent, “entre la joie et la mélancolie”, nous confie-t-il. Ses scènes savamment composées, parfois proches des shootings de mode, “transmettent une dualité émotionnelle” chère à ses réflexions artistiques et personnelles : “Mon objectif est de créer une fusion artistique entre [la joie et la mélancolie], donnant ainsi naissance à des images qui reflètent la complexité de la vie elle-même. C’est une incarnation de la société marocaine et de ma génération qui, tout comme mes photos, mêle ces deux aspects contradictoires de la vie.”
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Ces oppositions ne sont qu’une façon pour le photographe d’atteindre un équilibre puisque les émotions ne se chassent pas l’une l’autre, mais cohabitent : “Nous sommes une nouvelle génération remplie d’espoir, d’art et de grandes capacités à s’exprimer. Nous sommes une génération différente de la précédente, et notre travail reflète cette dynamique positive, même si la mélancolie demeure une composante importante de notre réalité.” Son amour de la polarité le pousse à constamment “jouer avec des contrastes visuels en insérant délibérément des éléments qui semblent contradictoires ou qui sont hors de leur environnement naturel” et à créer des “tensions visuelles qui invitent le public à réfléchir aux disparités et aux paradoxes de notre société”.
Feel the zham. “Je photographie principalement mes amis pour créer un environnement de confiance propice à l’authenticité. Cependant, je travaille également avec des mannequins professionnels, J’apprécie également donner l’opportunité à ceux qui sont nouveaux devant l’objectif de vivre leur première expérience de modèle. Mes sujets varient entre amis proches, mannequins et d’autres personnes, apportant diversité et authenticité à mes photographies.” (© Eyesofnasser)
“Je trouve l’inspiration dans la vie quotidienne au Maroc”
Passion devenue métier, la photographie fait partie intégrante du quotidien et des pensées d’Eyesofnasser : “Je trouve l’inspiration dans la vie quotidienne au Maroc et ses contrastes. Les moments authentiques, les détails négligés et les émotions humaines m’attirent. Les rues animées, les marchés colorés, les traditions anciennes et la modernité en évolution offrent d’excellentes opportunités. Les contrastes entre l’ancien et le nouveau, la ville et la campagne, constituent une source d’inspiration pour moi en tant que photographe”.
Une fois l’inspiration puisée dans la sérénité des zones rurales et le fourmillement des rues (notamment dans le souk d’Inezgane, “source inépuisable” dont les “trésors et objets ont façonné [son] imagination et [sa] créativité”, souligne-t-il), le photographe élabore ses séances conceptuelles avec minutie, “en recherchant l’endroit idéal, en sélectionnant les mannequins appropriés, en rassemblant les accessoires nécessaires, et en soignant le stylisme” pour chaque nouvelle idée.
Rwina at the cucina. (© Eyesofnasser)
Ce travail d’orfèvre vise une “ambition ultime” : celle de “revivre [son] enfance à travers une direction artistique authentique et originale”. Sont ainsi mêlés des “éléments de [son] histoire personnelle” et une célébration de la culture marocaine, du vécu de toute une génération : “J’aime que mes photos capturent des émotions hors du commun et je me force à les rendre complémentaires à travers des installations contrastées, parfois choquantes. Mon but est de susciter des réflexions sur la culture marocaine en créant des expériences artistiques qui relient le passé au présent de manière provocante.”
Truffées de trésors traditionnels et de symboles liés à la culture pop mondialisée, les images d’Eyesofnasser oscillent entre “magie”, “émotion” et documentation d’une époque. Ses personnages évoluent dans un monde en constante mutation où les règles et les frontières sont mouvantes, prouvant la faculté de l’appareil photo à fixer le présent pour mieux penser et bâtir l’avenir.
Khanz o Bnine. “J’aime intégrer des accessoires qui ajoutent une touche de structure à des domaines qui sont souvent perçus comme non structurés. Ici, c’est un sandwich traditionnel bien connu dans les rues marocaines. Dans mon image, j’ai ajouté un packaging sophistiqué à ce sandwich, évoquant ainsi l’esthétique des marques de sandwiches mondialement connues. Cette juxtaposition vise à questionner nos perceptions et à remettre en cause les notions de familiarité et d’étrangeté.” (© Eyesofnasser)
Khettaf. “Je m’occupe du stylisme lors de mes shootings, parfois avec l’aide de mes amis qui travaillent dans le domaine de la mode. L’aide des stylistes joue un rôle essentiel dans la création de l’esthétique recherchée. Parfois, je travaille avec des tailleurs traditionnels et j’utilise des vêtements venant de la garde-robe de ma grand-mère pour créer des looks uniques. Dans cette photo, le manteau rouge est confectionné à partir des tissus du salon de ma grand-mère et est réalisé par un tailleur traditionnel du quartier.” (© Eyesofnasser)
Derb Casino. “Ici, j’ai cherché à représenter des individus stylés qui se retrouvent en dehors de leur environnement habituel. Je peux capturer l’image d’une fille de notre génération dans une salle de jeux située dans un quartier populaire, un lieu généralement caractérisé par des attentes et des limites sociales strictes.” (© Eyesofnasser)
Dajangel. “J’avais préalablement confirmé notre accord avec le propriétaire du magasin de volaille pour cette séance photo. Cependant, à notre arrivée, lorsqu’il a vu le mannequin avec les ailes, il a refusé de nous laisser prendre des photos à l’intérieur de son magasin. Après une discussion, et en insistant, j’ai réussi à négocier pour prendre des photos juste à l’extérieur de son magasin pendant qu’il continuait à travailler en arrière-plan. Une fois que j’ai réussi à prendre les photos à l’extérieur et qu’il était de dos pour que son visage ne soit pas visible, nous sommes rentrés. Il a été surpris mais a fini par accepter. Cette expérience s’est avérée mémorable, d’autant plus qu’elle s’est déroulée un samedi, attirant l’attention de la foule dans le souk qui nous observait. Les shootings au Maroc sont souvent riches en anecdotes et en récits captivants en raison des défis imprévus qui peuvent surgir sur place.” (© Eyesofnasser)
Chichalife. “Mon choix d’employer des couleurs et d’explorer les jeux de lumière dans mon travail artistique dépend essentiellement du concept que je souhaite transmettre. Chaque concept exige une palette de couleurs spécifique pour communiquer des émotions distinctes, tout en conservant une touche de ma culture marocaine.” (© Eyesofnasser)
La vie en rose. (© Eyesofnasser)
Think outside the balcony. “Les shootings avec moi peuvent varier considérablement en raison de multiples facteurs. Souvent, une préparation préalable est nécessaire pour organiser l’emplacement, obtenir les autorisations requises et coordonner les aspects logistiques. Parfois, tout se déroule sans accroc, mais il peut également y avoir des imprévus.” (© Eyesofnasser)
Mixed feelings. (© Eyesofnasser)
Billiardo. “Dans cette image, la fille se tient debout sur une table de billard, dépassant les conventions sociales, ce qui crée un contraste frappant et invite le public à remettre en question les stéréotypes et les attentes conventionnelles.” (© Eyesofnasser)
Tamghart. “J’ai choisi de photographier une femme non marocaine pour ma série ‘Tamghart’ afin de créer un mélange culturel unique et d’introduire le concept de la femme marocaine traditionnelle de manière originale. En photographiant une personne asiatique qui porte le caftan de ma grand-mère, je souhaitais illustrer la façon dont la culture marocaine peut transcender les frontières culturelles.” (© Eyesofnasser)
Vous pouvez retrouver le travail de Eyesofnasser sur son compte Instagram.