On a classé (objectivement) les 101 Palmes d’or (!), de la moins bonne à la meilleure (partie 4, de la 40e à la 21e)

On a classé (objectivement) les 101 Palmes d’or (!), de la moins bonne à la meilleure (partie 4, de la 40e à la 21e)

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(© Disney / Le Pacte / Diaphana)

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Par Arthur Cios

Publié le , modifié le

Le plus ambitieux de nos classements cinéma à date.

Il y a des défis, des challenges, qui s’imposent. Des décisions logiques et sensées, ou pas d’ailleurs, mais dont l’existence annihile la notion de choix. Et puis il y a ceux qu’on s’impose. Comme ça, sans raison autre que de se dire : “Je veux faire ça, je veux m’infliger ce truc.”

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Un beau matin de mars 2024, le dimanche 2 mars pour être plus précis, j’ai lancé un film que j’avais longtemps repoussé : Le Goût de la cerise, d’Abbas Kiarostami. Une célèbre Palme d’or, dont j’ai longtemps reporté le visionnage pour la regarder dans les meilleures des conditions. Un film sublime, qui m’a tellement bouleversé que j’ai commencé à m’interroger sur le reste des Palmes.

Et là, une double évidence s’est présentée à moi :

  1. Il y a, avec Anatomie d’une chute, PILE 100 Palmes d’or (avant l’édition 2024, entendons-nous bien). Enfin presque : 101, avec la Palme d’or spéciale pour Le Livre d’image de Jean-Luc Godard en 2018, mais le film n’existe pas (jamais réellement sorti depuis, ni en salle ni en VOD), donc on décide de ne pas le considérer ;
  2. Je n’en avais vu que 38 sur 100.

C’était donc décidé : je me devais de toutes les rattraper. Histoire de mieux comprendre l’histoire du Festival de Cannes. Histoire de compenser mon syndrome de l’imposteur nul considérant ma cinéphilie encore trop maigre. Histoire de rattraper des films culte. Histoire de me lancer un défi débile, chronophage et fatigant – ma passion.

La première difficulté de ce marathon de l’angoisse sera de les lister. Et là, première interrogation : comment peut-on arriver à 100 Palmes en seulement 76 Festivals ? Il faut avoir en tête les quelques curiosités du Festival de Cannes :

  • La première édition en 1939 s’est arrêtée net du fait de la Seconde Guerre mondiale, mais une Palme fut donnée posthume lors de la 55e édition du Festival en 2002 ;
  • En 1946, pour apaiser les relations internationales, le jury a décidé de récompenser un film par pays parmi les 44 (!) présentés. C’est ainsi qu’on s’est retrouvés avec 11 (!) Grands Prix cette année ;
  • En 1947, on essaie de resserrer un peu la compétition et le palmarès. On aura malgré tout six Grands Prix mais par catégorie (comédies musicales, dessins animés, films d’aventures et policiers, films psychologiques et d’amour, et films sociaux) ;
  • À cela s’ajoutent de nombreux prix ex aequo (oui parce que la Palme est créée en 1955, avant on parle de Grand Prix, bref), en 1951, en 1952, en 1961, en 1972, en 1973, en 1979, en 1980, en 1993, et, bon, en 2018, mais pour la Palme fantoche de Godard.

Les calculs étaient donc bons. 100 Palmes. Après avoir vraiment galéré à mettre la main sur toutes, c’était parti pour deux mois intenses. Un marathon démarré le 2 mars et terminé le 28 avril.

Voilà donc notre classement objectif des 100 Palmes d’or, de la pire à la meilleure. Et certaines places risquent au mieux de vous surprendre, au pire de vous agacer.

#40. L’Éternité et Un Jour, de Theo Angelopoulos (Palme d’or 1998)

Sur le papier, le film avait tout pour nous faire lever les yeux au ciel. Un écrivain grec à l’approche de la mort qui s’accroche à la vie après avoir rencontré un jeune migrant albanais qui lui fait revoir les fantômes de sa vie et de son passé. Et pourtant, la poésie d’Angelopoulos nous fait oublier le cliché que son scénario réussit à éviter assez facilement. Une œuvre imposante, et émouvante, qui donne envie de se plonger tête baissée dans la filmographie de son auteur.

#39. Viridiana, de Luis Buñuel (Palme d’or 1961 ex aequo)

La notion de bien et de mal a souvent été questionnée par le célèbre cinéaste mexicain. Ici, elle se traduit par, en plus, une vraie diatribe contre l’Église catholique, qu’il méprisait tant. Viridiana veut être nonne, mais tout lui rappelle que Dieu l’a abandonnée, et elle ne représente pas la perfection. Les mendiants qu’elle impose à son horrible oncle sont en réalité les seuls personnages humains du scénario, ni bons ni mauvais, juste humains. Impatients, reconnaissants de ce que leur offre l’ange tombée du ciel, ayant la flemme parfois de travailler, généreux entre eux, et prêts à outrepasser les règles et faire une immense fête, quitte à se mettre à dos tout le monde (y compris Viridiana) – et au passage reproduire la Cène, mais avec des SDF, donc. Un film faussement simple, mais d’une richesse et d’une sincérité déconcertante.

#38. Le Ruban blanc, de Michael Haneke (Palme d’or 2009)

Haneke est vraiment le cinéaste de la cruauté. Parfois tendant vers vraiment le sadisme un peu gratuit. Parfois questionnant avec intelligence l’origine de la violence. Des films sur la Seconde Guerre mondiale, on en a eu des centaines. Ce qui intéresse le cinéaste autrichien plutôt, c’est ce qui a pu mener de jeunes gens à adhérer au nazisme. Comment des enfants, nés juste avant la Première Guerre mondiale, peuvent-ils avoir tant de méchanceté ? Est-elle légitime ? logique ? inévitable ? Et à qui la faute ? (aux adultes, au pasteur injuste et violent, au médecin violeur et incestueux, à ceux qui tolèrent les crimes). D’abord un peu drôle, puis déchirant, avant d’être difficile. Une Palme méritée.

#37. Le Salaire de la peur, d’Henri-Georges Clouzot (Grand Prix 1953)

Un des plus grands films français de l’Histoire, en fait. La tension incarnée. Que le jury présidé par Jean Cocteau ait été plus touché par ces truands déplaçant de l’explosif que par Les Vacances de monsieur Hulot de Jacques Tati en dit long sur la force du film. Car plus qu’un simple long-métrage tendu, le film se délivre comme étant une vraie réflexion sur l’amitié, le capitalisme, la désillusion – le tout avec une première heure d’installation d’histoire. Non, vraiment, Clouzot était vraiment l’un des meilleurs conteurs.

#36. Orfeu Negro, de Marcel Camus (Palme d’or 1959)

Oui, Camus exploite (consciemment ou non) un certain fantasme, une certaine vision du Brésil et de son exotisme. Non, tout n’a pas vieilli. Mais tout de même : un cinéaste français, de renom, qui adapte un mythe grec (Eurydice et Orphée), avec un casting noir (ce qui était, à l’époque, plus que rare), et qui va permettre à la bossa nova de traverser les frontières (!). Le tout avec des séquences surfant avec l’horreur, ou avec le documentaire – le réalisateur a réellement filmé des moments du Carnaval de Rio et les a incorporés dans le montage –, mais dont le fond est et reste une histoire d’amour. Non, c’est très, très fort.

#35. Dumbo, de Ben Sharpsteen (Grand Prix 1947 – dessins animés)

Eh bien oui, un des meilleurs Disney a reçu cette belle récompense, légitime. Et pour le coup, le film n’est pas loin d’être l’un des plus cinématographiques du studio, entre des séquences de vertige, les rêves imaginés par Dalí et des moments d’une beauté et d’une chialade absolue. Immense, oui, oui, oui.

#34. Kagemusha, d’Akira Kurosawa (Palme d’or 1980 ex aequo)

Quand on cite Kurosawa, c’est souvent pour parler des Sept Samouraïs ou Rashōmon. Rarement des films de sa période américaine, ou de ceux de son retour (années 1970 ou 1980). Et pourtant. Ce film, si important, est le grand retour du cinéaste culte. Un long-métrage qui ne se monte que grâce à l’aide d’un certain George Lucas (fan, et qui s’est allègrement inspiré du Château de l’araignée pour son premier Star Wars) et de Coppola, et qui récolte une Palme d’or absolument légitime. Parce que tout y est : la folie des grandeurs du cinéaste, ces décors et costumes sublimes, sa photo léchée, agrémenté d’un travail sur la couleur à décrocher la mâchoire.

#33. 4 mois, 3 semaines, 2 jours, de Cristian Mungiu (Palme d’or 2007)

On parlait de films trop difficiles à regarder un peu plus haut dans le classement. Qu’est-ce qui différencie ce qui nous repousse dans Le Pianiste de Polanski et ce qui nous attrape dans cette œuvre de Mungiu ? Le traitement du hors-champ, sans doute ? Car s’il est bien question d’un avortement clandestin dans la Roumanie d’avant la chute du communisme, le cinéaste ne se concentre pas sur celle qui subira l’acte, mais sur l’amie qui va tout faire pour que celui-ci arrive. On ne voit donc pas l’avortement. Tout comme on ne voit pas le viol par le “médecin”. Et s’il ne montre pas l’immontrable, ce qu’il filme demeure difficile à regarder. Un repas aura rarement été aussi insupportable (hormis celui de Festen, on vous l’accorde). Très fort.

#32. Anatomie d’une chute, de Justine Triet (Palme d’or 2023)

Difficile de juger une Palme aussi récente. Et ça le sera pour toutes les mises à jour de ce classement. Néanmoins, il était assez évident que celle-ci serait assez haute. Pas forcément comparable aux chefs-d’œuvre qui suivent, mais tout de même. Et ce n’est même pas dû au rayonnement à l’international du film, mais bien à la maîtrise de son écriture, de sa mise en scène et de sa direction de casting. On ne pouvait pas la mettre plus bas, mais compliqué de la mettre plus haut. De toute façon, tout ce qui suit est de haute volée…

#31. Titane, de Julia Ducournau (Palme d’or 2021)

Oui, alors on vous voit venir. Trop de gens ont été déçus du film qui a suivi le choquant Grave. Et pourtant… Hommage à Cronenberg, drame familial qui démarre comme un pur film d’horreur avant de devenir une histoire d’amour, du body horror comme on en avait rarement vu dans un film d’auteur… Comment ne pas être impressionné par le parcours de cette formidable cinéaste, et des images qu’elle réussit à évoquer ? Non, vous avez été trop dur avec cette belle Palme.

#30. La dolce vita, de Federico Fellini (Palme d’or 1960)

Évidemment. C’est peut-être même trop bas pour certains. On dira, pour être un peu de mauvaise foi, que tous les segments ne se valent pas. Mais purée, Fellini a vraiment roulé sur le début des années 1960 (il enchaînera avec l’un des plus grands films de l’histoire, Huit et demi, en 1963)… Filmer le rien, qui dit tout d’une société à un instant t, il n’y a que lui pour le faire aussi bien. Marcello Mastroianni n’a jamais été aussi beau. Et typiquement, un film qui est marqué par une misogynie d’époque et qui réussit à avoir un (minimum de) commentaire dessus.

#29. Le vent se lève, de Ken Loach (Palme d’or 2006)

La découverte Cillian Murphy. Ken Loach qui abandonne son réalisme social pour aller vers le film d’époque. Les horreurs commises par les Anglais avant l’indépendance de l’Irlande comme sujet, chose si peu racontée et surtout au cinéma. Les yeux bleus de Cillian Murphy. La réflexion sur la nature même de la révolte (nationaliste, ou socialiste ?). De manière générale, parce qu’on parle de Loach, la question du capitalisme derrière cette guerre. La mise en scène, nue et abrupte. La modernité du propos. La photo du film. Cillian Murphy.

#28. Une aussi longue absence, d’Henri Colpi (Palme d’or 1961 ex aequo)

De prime abord, on ne pensait pas adorer ce film, drame classique dans la forme du début des années 1960 de la France des campagnes. Et puis est arrivée une chose formidable : Alida Valli. L’actrice phare du Troisième Homme (Palme dont on parlera un peu plus tard, désolé du spoil) et du génial Les Yeux sans visage a débarqué pour nous foutre un gros poing dans le bide, avec un but unique : nous faire chialer. Ce n’était pas très difficile. En femme endeuillée qui pense reconnaître dans le SDF qui vient de débarquer son mari disparu il y a seize ans et qui n’aurait aucun souvenir de sa vie d’antan, elle livre une partition qu’on ne lui connaissait pas encore. Bouleversante, de A à Z. Et pas aidée par une très belle mise en scène, de très belles idées (le jukebox), et une écriture parfaite.

#27. Sexe, Mensonges et Vidéo, de Steven Soderbergh (Palme d’or 1989)

Il y a plein de raisons d’adorer Steven Soderbergh. Déjà, il est un des cinéastes les plus talentueux de sa génération. L’un des plus audacieux aussi, capable d’aller d’un genre à l’autre, de passer d’un film à gros budget et au casting colossal à un petit film tourné à l’iPhone (un des premiers, par ailleurs). Il est aussi l’un des plus jeunes palmés de l’Histoire (Palme d’or à 26 ans, presque aussi bien que Louis Malle qui l’a eue à 24), et surtout, fait rare : il a eu la récompense ultime pour son tout premier long-métrage. Et quelle Palme légitime (alors même qu’il faisait face à des poids lourds, de type Cinema Paradiso, Le Temps des Gitans, Do the Right Thing, Sweetie de Jane Campion…). Maîtrisée de bout en bout, avec un sous-texte si riche (sur le sexe, sa représentation, son rôle, la vie que l’on mène, celle qu’on cache). Pfiou.

#26. Missing, de Costa-Gavras (Palme d’or 1982 ex aequo)

On cite souvent Z, jamais Missing. Alors que bon Dieu, Costa-Gavras l’a pas volée, cette fichue Palme. C’est quand même dingue de réussir à faire un film qui est typiquement dans ses codes – un thriller politique sur la répression d’un État face aux individualités, de gouvernement et de complicité de part et d’autre –, et d’en faire tout autre chose. Car plus qu’une histoire d’homme kidnappé par le nouveau régime de Pinochet, c’est aussi la confrontation entre deux mondes : les jeunes militants et la vieille classe qui refuse de croire aux complots. C’est une réflexion sur l’amour, ce qu’on est prêt à sacrifier pour le retrouver, et l’union que la déchirure peut former (oui, oui). Jack Lemmon ne pouvait être associé qu’à ses Billy Wilder, et Sissy Spacek qu’à Carrie et Malick. Plus maintenant.

#25. Le Guépard, de Luchino Visconti (Palme d’or 1963)

L’évidence même. Un film classique en apparence, mais qui marque un tournant. Dans la carrière de Visconti, assurément. Mais aussi dans la manière d’aborder les films d’époque. Dans un récit historique, mais qui parle aussi de l’artiste derrière cette classe dominante qui ne comprend pas le monde qui évolue et les futures luttes des classes. La mort d’une époque, contée à la fin d’une autre. Un film tellement riche, et aidé par une photo sublime et un Alain Delon plus parfait que jamais. Assurément l’un des plus grands films de l’Histoire. Mais force est de constater qu’on aura préféré certains visionnages malgré la grandeur du chantier…

#24. L’Épouvantail, de Jerry Schatzberg (Palme d’or 1973 ex aequo)

À commencer par ce film rare, rarement montré, rarement discuté, mais ô combien puissant. On est au début de l’ère Pacino (il vient de faire Le Parrain, qui n’était autre que son troisième long pour rappel, et s’apprête à commencer sa collaboration avec Sidney Lumet). Schatzberg l’a déjà fait briller en junkie à New York, il peut bien le montrer en petit comique nomade (vous avez dit contre-emploi ?) qui traverse les États-Unis avec un comparse croisé par hasard – Gene Hackman, rien que ça. Les laissés-pour-compte, les marginaux. Ceux qui peuplent réellement le pays mais que le cinéma a du mal à mettre en avant. Et que Schatzberg sublime, sans être naïf non plus. Loin d’être le film classique qu’il semble être. Peut-être ne mérite-t-il pas cette place, mais on s’en fiche : le coup de cœur est trop gros.

#23. Marty, de Delbert Mann (Palme d’or 1955)

Les larmes. Les larmes de la beauté de la vie. Les larmes de la vraisemblance d’une histoire d’amour aussi simple que déchirante. Les larmes d’un homme qui assume pleurer souvent, régulièrement. Les larmes d’un film si simple, faussement simple, qui est si beau et fort. On ne l’avait pas vu venir, et on en est ravis.

#22. Une affaire de famille, de Hirokazu Kore-eda (Palme d’or 2018 ex aequo)

Le meilleur de Kore-eda. Et pourtant, on parle quand même d’un cinéaste à la carrière conséquente, et jonchée de pépites (After Life, bon Dieu). Sauf qu’on renchérit : c’est le meilleur de son auteur. Un auteur important du cinéma japonais contemporain, donc un film qui l’est encore plus. Un film qui s’inscrit, par ailleurs, parfaitement dans sa filmographie (la famille, la pauvreté, les marginaux, l’amour au milieu de tout ça). Et une Palme qui a beaucoup de force, réussit à faire passer du rire aux larmes en trois secondes maximum. Elle est récente, mais elle ne pouvait pas être plus bas. C’est la règle, c’est comme ça.

#21. Le Troisième Homme, de Carol Reed (Grand Prix 1949)

C’est quelque chose de faire un grand film. Cette expression galvaudée, qu’on a déjà utilisée quinze fois sans doute, de chef-d’œuvre. Et c’est encore tout autre chose de faire un grand film qui a une personnalité, du caractère. Qui a son propre style. Qui va chercher du côté de l’expressionnisme allemand, du film noir dont il sera une des pierres angulaires et du documentaire en même temps. Qui va innover avec sa caméra, avec sa lumière, avec ses décors et pondre des images inédites. Beaucoup trop impressionnant.