On était en coulisses avec Tip Stevens juste avant qu’il n’enflamme la scène de La Cigale

"En stream, je suis un ermite, sur scène, je deviens fou"

On était en coulisses avec Tip Stevens juste avant qu’il n’enflamme la scène de La Cigale

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Crédits Photo : Camille Girault

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Par Pierre Bazin

Publié le

L’artiste a délivré une incroyable prestation devant une salle comble et un public bouillant venu d’Internet et d’ailleurs.

Dans les loges de La Cigale, le trac n’est pas encore là pour Tip Stevens : “Je ne me rends pas vraiment compte jusqu’à ce que je sois sur scène”, nous confie-t-il. Ce n’est d’ailleurs techniquement pas la première fois qu’il monte sur l’estrade de la célèbre salle parisienne. “La première fois, c’était il y a une dizaine d’années, pour des concerts tremplin”, nous explique-t-il. Mais cette fois, il est bien l’artiste principal de cette soirée. “C’est MA Cigale !” plaisante-t-il. D’ailleurs, c’est même lui, avec son équipe, qui a choisi les “copains” du groupe Imparfait pour faire sa première partie.

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Côté public, c’est l’ébullition, et la salle se remplit aussi vite que les places se sont vendues : en un temps record. Pour comprendre Tip Stevens et surtout l’engouement de ses fans, il ne faut pas que l’écouter, il faut aussi le voir. Sur scène, bien sûr, mais également sur Twitch – les 1 500 personnes présentes ici font les deux.

Photo : Camille Girault (Insta : camille.girault)

Présent sur la plateforme depuis ses débuts, le jeune trentenaire a allié sa passion de la musique au streaming live. Aujourd’hui, il remplit salles comme tchats et il a rejoint, il y a un an, le label Floral Records, fondé notamment par le populaire streamer Ponce.

À la croisée des mondes, au carrefour des genres

La musique, Antoine (de son vrai nom) l’expérimente depuis toujours. Son projet personnel Tip Stevens est une réminiscence plus mature de ses anciens groupes de musique. “Je tournais avec mon groupe Teacup Monster mais je composais des trucs perso, au cul du camion !” Le projet Tip Stevens, lui, naît en 2020 : “Le confinement a été un déclencheur, c’était le moment idéal pour un projet solo.”

Lorsqu’on jette un coup d’œil à sa discographie, on remarque aussi un fait bien étrange : Tip Stevens n’a sorti aucun album. En revanche, en seulement trois ans, il a sorti cinq EP, dont le dernier, Bengal, sorti en mai dernier, vient clore la série Animals Vol. 1. Le volume 2, avec cinq EP aussi, est dans les cartons, nous assure-t-il.

“C’est dans l’ADN du projet depuis le début. Ne faire que des EP permet de ne pas m’enfermer dans un seul style, là je sais que le prochain va être plus électro par exemple.”

Tip Stevens écoute des musiques “de tous styles”, et cela se ressent dans ses différents projets musicaux : rock, électro, folk, etc. Il y en a pour tous les goûts et il est impossible d’être insensible à l’intégralité de sa musique – il faut le voir sur scène de toute façon. Évidemment, il admet tout de même que ses amours de rock indie à la Arctic Monkeys ou The Kooks ne sont pas étrangères dans ses influences musicales.

Photo : Camille Girault (Insta : camille.girault)

Si l’éclectisme musical le définit bien, on aperçoit aussi chez l’artiste une dualité entre son naturel calme en coulisses et un déchaînement d’énergie sur scène. “Chez moi, en studio ou en stream, je suis un vrai ermite !” Mais lorsqu’il monte sur scène, Tip Stevens devient un autre homme, ou peut-être même autre chose encore. “Je deviens fou !” nous dit-il avec une pointe d’impatience, à peine une heure avant le début du concert.

Entre stream et scène, un ermite bien accompagné

Sur scène, Tip Stevens peut compter sur l’aisance instrumentale de ses amis pour l’accompagner à la basse, à la batterie et à la guitare, mais dans son travail de composition, il crée tous ses titres chez lui – mais pas pour autant seul. Car ce sont des centaines, parfois des milliers de gens qui viennent l’écouter et même le voir composer sur Twitch, la plateforme de streaming.

Présent depuis les débuts du phénomène (quand la plateforme s’appelait encore Justin.tv), Tip Stevens ne s’attendait pas à ce que le streaming prenne une dimension aussi importante dans sa carrière musicale. S’il se définit comme un initié de la culture “gamer” (fan de StarCraft notamment), qu’il a joué et joue encore à des jeux vidéo sur Twitch, Tip Stevens consacre désormais la majorité de ses lives à ses compositions musicales en direct devant un tchat curieux, initié ou fraîchement débarqué après avoir écouté ses titres.

“Quand je vois un viewer poster son premier message dans le tchat me disant qu’il vient de Spotify, je suis trop heureux !”

Le streaming lui ouvre des portes, c’est d’ailleurs par ce biais qu’il fait la connaissance de Ponce, au détour d’un podcast-live de ce dernier consacré aux droits d’auteur musicaux sur Internet. Un jour, Ponce “raid” Tip Stevens (il envoie son audience vers son live à la fin de sa session) ; quelques jours plus tard, les viewers de Ponce louent les qualités de ce live musical et de l’artiste qu’ils ont découvert. Les premiers liens se tissent.

Photo : Flonflon (Insta : flonflon_musique)

À La Cigale, pas de doute : le public est bien celui d’un concert rock. Pour autant, on y retrouve des viewers de longue date de Tip Stevens, des fans de la première heure, et évidemment des “Fleurs”, le surnom donné à la communauté de Ponce. En 2022, Tip Stevens signe d’ailleurs chez Floral, le label fraîchement créé par Ponce, une collaboration somme toute logique pour cet enfant d’Internet.

Mais si le public a pu se retrouver dans le tchat de Tip Stevens, il n’en est pas moins déchaîné IRL. Chaque chanson trouve son écho et les fans répondent en chœur aux riffs et phases endiablés du chanteur qui déroule un show au carrefour des genres musicaux, le tout dans une liesse collective – et transpirante, évidemment. “Le pire, c’est que je suis un peu agoraphobe au quotidien, moi”, nous a-t-il confié juste avant d’entrer sur scène. “Mais en concert, ce n’est pas pareil, c’est du chaos organisé !”

Photo : Camille Girault (Insta : camille.girault)

“Il y a un noyau dur dans la musique qui nous prend encore de haut”

Tip Stevens n’est pas un streamer qui fait de la musique, c’est un musicien qui fait du stream. Et si ces deux mondes se rejoignent aisément au quotidien, ce n’est pas toujours le cas pour une certaine vieille garde dans le milieu de la musique. Remplir une Cigale en quelques semaines grâce à la puissance des réseaux, c’est paradoxalement une marque de faiblesse pour certains. Tip Stevens, lui, en a largement fait une force.

“Il y a encore des gens qui disent : ‘Ah ouais, il est youtubeur, quoi !’ On les comprend parce que c’est difficile pour une certaine génération, mais ça progresse quand même.”

Dans le même temps, il se rappelle que de nombreux groupes sont venus vers lui et son équipe pour lui demander des conseils sur comment se lancer sur Twitch, notamment durant le confinement, quand tous les concerts étaient arrêtés. “Ils ont tous voulu se mettre à streamer ! J’ai dû leur expliquer que derrière chacun de mes lives, il y avait deux heures de préparation a minima à l’époque.”

Les temps changent et les frontières s’amenuisent progressivement entre la culture internet et le monde de la musique. “Le rap notamment a fait beaucoup dans ce sens, et c’est presque dans son essence”, dit-il, citant par exemple la présence croissante de rappeurs sur les lives et vidéos d’Amine, RebeuDeter, Gotaga ou encore Squeezie.

De l’autre côté, la musique doit encore faire sa place sur Twitch. “Je suis souvent le premier streamer francophone dans la catégorie ‘Musique’ alors que je n’ai pas non plus des audiences dingues”, admet-il. Il faut vraiment créer son univers musical sur Twitch, la conversion en “vrai public” vient, elle, naturellement, mais elle n’est pas automatique.

Tip Stevens reste toutefois confiant dans la puissance d’engagement d’une communauté en ligne, son tchat est rempli d’aficionados de la musique qui regardent avec assiduité toutes ses sessions studio retransmises en direct. “J’essaye de toujours garder du temps pour après le concert, il y a des gens qu’on a vus pendant toute la tournée, on connaît leurs pseudos.”

Que ce soit comme tremplin ou en parfaite complémentarité, Internet a d’ores et déjà lancé la carrière de Tip Stevens. Mais déjà la dernière chanson traditionnelle, “Home”, résonne devant un public qui semble presque déçu que tout se finisse. “On leur a fait une surprise, pour la première fois, on va vraiment faire un rappel !” nous a-t-il dit juste avant le concert. Quelques heures plus tard, Tip Stevens est à l’image de son public : épuisé et comblé.

Avant / Après le concert

Merci à Floral Records pour l’invitation. Retrouvez les liens de Tip Stevens à cette adresse.