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“Parler de ma vie de jeune maman, c’était apporter ma pierre à l’édifice” : entretien avec Carla Ferrari de Top Chef

“Parler de ma vie de jeune maman, c’était apporter ma pierre à l’édifice” : entretien avec Carla Ferrari de Top Chef

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© Julien Theuil/M6

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Par Flavio Sillitti

Publié le , modifié le

"On se dit que des pâtes, c’est un plat à manger à la maison, que la pizza, c’est de la junk food. Alors que pas du tout."

Carla Ferrari. Avec un nom comme celui-là, on pouvait s’attendre à une délicieuse couche d’Italie dans cette saison de Top Chef, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on n’en a pas manqué. Au terme de la douzième semaine du concours, c’est finalement la jeune maman franco-italienne qui a rendu ses manchettes, à l’issue d’épreuves qui ont convoqué la créativité, l’audace et l’engagement politique des candidat·e·s, puis du duel contre le titanesque Danny qui s’est une nouvelle fois imposé pour faire partie de la brigade cachée d’Hélène Darroze.

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Les plateaux télé, elle connaît. En effet, les plus attentif·ve·s auront reconnu les traits de cette ancienne présentatrice télé, régulièrement à l’écran dans l’émission pour enfants TFou de cuisine, le tout à seulement 13 ans. Un paquet d’années plus tard, celle qu’on décrivait comme la “jeune prodige des fourneaux” a fait du chemin, aiguisé sa technique dans plusieurs maisons étoilées, a déménagé à Naples en Italie pour y construire sa petite famille mais également y développer son projet culinaire, se hissant même au prestigieux classement des meilleures pizzerias du pays.

On a discuté avec elle de l’importance de cette cuisine méditerranéenne dans son parcours, de la philosophie de la simplicité, de sa vie de jeune maman et de son rôle de modèle. D’un Italien à une autre.

Konbini | Par rapport à ta cuisine, on remarque énormément d’influences méditerranéennes. Qu’est-ce qui t’attire autant dans cette cuisine ?

Carla Ferrari | Ce qui me plaît le plus dans la cuisine italienne notamment, ce sont les valeurs de partage. Les grands plats à partager au milieu d’une table. C’est la gourmandise aussi : des plats en sauce. Et puis, c’est moins connu, mais la cuisine méditerranéenne est extrêmement riche et variée d’une région à l’autre, toujours basée sur cette diète méditerranéenne à base d’huile d’olive, d’énormément de fruits et de légumes. Bref, j’adore ça. [rires]

À tes débuts dans le monde de la cuisine, tu te doutais que cette cuisine méditerranéenne allait prendre autant de place dans ton métier ?

Pas forcément. D’autant plus qu’à mes débuts, j’ai travaillé avec des chefs qui avaient des influences plutôt asiatiques, axées sur le végétal et la finesse. Mais, rapidement, le naturel est revenu au galop et ma cuisine s’est simplifiée au fil du temps, pour la simple et bonne raison que cette cuisine plus fine ne m’émouvait jamais autant que les pâtes à la tomate et au basilic du jardin de chez ma tante. J’ai voulu retrouver ces sensations et ça passait naturellement par une cuisine plus noble.

Justement, ces plats “plus nobles”, comme les pâtes ou la pizza, trouvent-ils leur place en gastronomie, selon toi ?

C’est en train de changer, un petit peu. Mais ça reste encore limité. On se dit que des pâtes, c’est un plat à manger à la maison, que la pizza, c’est de la junk food. Alors que pas du tout. Ce sont des préparations qui demandent un énorme savoir-faire qui est presque de l’ordre du sacré en Italie.

Tu as été récompensée en Italie pour ton propre savoir-faire de la pizza, d’ailleurs.

J’ai ouvert ma pizzeria à Turin en 2019. L’idée était de proposer quelque chose de différent, en cuisinant sur la pizza, en développant de vraies recettes à partir d’elle. Grâce à cette approche et les recettes créées, l’établissement s’est retrouvé dans le classement des 50 meilleures pizzerias du pays, un an seulement après son ouverture.

La classe !

Oui, et surtout une énorme fierté.

Ce savoir-faire, tu as pu le mettre en pratique sur différentes épreuves, notamment des plats de pâtes que tu as proposés à plusieurs reprises. Tu t’attendais à ce que Top Chef te permette de mettre en avant cette cuisine ?

Non, pas forcément. Si on regarde les précédentes saisons, je trouve qu’il y avait moins de place pour laisser cette cuisine plus populaire s’exprimer. Or, cette année, on nous a donné la liberté de faire des choses plus accessibles et simples, et c’est exactement ce que j’essaie de défendre comme valeur en cuisine, donc ça tombait très bien.

Malgré cela, sur les épreuves techniques, tu t’en sortais largement quand même. Tu t’y sentais à l’aise aussi ?

Ce qui m’a le plus porté préjudice dans le concours, c’est le fait que mes années d’expérience dans des étoilés remontent à pas mal de temps. Mais bon, la technique, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. Mais même sur la technique, j’essayais tout de même de rester fidèle à mes valeurs concernant la simplicité, et donc même sur ces épreuves-là, je faisais en sorte que la technique ne soit jamais une fin en soi. Qu’elle serve plutôt de vecteur vers la gourmandise et le goût, mais ne jamais faire de la technique pour faire de la technique.

Si une épreuve symbolise bien cet équilibre entre technique et simplicité, c’est celle du palace, où tu as revisité le club sandwich dans une version gastronomique, ce qui t’a valu un coup de cœur du jury. C’est une épreuve symbolique pour toi ?

Absolument. Évidemment de par le résultat, avec ce coup de cœur qui m’a remis un sacré boost à ce moment-là de la compétition, mais le plat proposé représentait bien la cuisine que j’aime, avec les goûts francs, authentiques du club sandwich, revisité sous forme de cannolo précis, minutieux et technique.

Et italien !

Toujours ! [rires]

Tu es une jeune maman, et en plus de la pression du concours, tu as dû relever le défi d’être séparée de ton fils pour la toute première fois depuis sa naissance. Comment tu as géré ça ? Tu t’es sentie soutenue ?

J’ai eu la chance d’avoir un soutien merveilleux de la part de ma famille, qui m’aidait autant physiquement que logistiquement pour que ça fonctionne. Les autres candidat·e·s étaient également là pour moi, même si, évidemment, tout le monde ne peut pas trop comprendre la difficulté d’une situation comme celle-là. Mais je me suis sentie soutenue, oui, et j’en avais bien besoin.

C’était d’ailleurs assez inédit de t’entendre partager ton récit de jeune maman au sein de l’émission, notamment sur l’épreuve d’Adrien Cachot où tu as décidé de politiser ton plat autour de l’allaitement. Tu avais à cœur de faire passer ces messages ?

Ce qui est drôle, c’est que je ne suis absolument pas militante pour un sou. [rires] Je ne défends pas activement de grandes causes, et c’était intéressant de la part de Top Chef de proposer cette épreuve autour de la politisation de sa cuisine, et surtout de voir à quel point c’était évident pour moi de parler de ce sujet en particulier.

On manque de discours de ce genre à la télé ?

Oui, ça manque. Dans cette période précise de ma vie, je souhaiterais entendre plus de vécus. Ce n’est pas forcément qu’il n’y en a pas assez, mais plutôt qu’il en faudra toujours plus, car chaque récit est différent. Le but, c’est de normaliser ces choses et d’apporter du soutien aux autres jeunes mamans qui se reconnaissent dans ces récits. Parler de ma vie de jeune maman dans Top Chef, c’était apporter ma pierre à l’édifice.

Au début de l’émission, tu t’autoproclamais mauvaise perdante, et pourtant, on voit que tu encaisses ton élimination avec beaucoup d’humilité et d’optimisme. Ça t’a étonnée ?

Je crois que c’est dû au fait que pas mal de choses ont changé dans ma vie depuis que je suis maman. C’est vrai qu’avant, j’étais plutôt une grande compétitrice, j’ai toujours fait du sport et j’ai toujours eu ce sens de la gagne. Mais c’est vrai qu’au moment de mon élimination, je me suis surtout rendu compte que j’avais fait une super aventure, que j’étais arrivée plus loin que ce que j’aurais pensé. Et que si ça devait se terminer, c’était que la boucle était bouclée. Je l’ai pris avec beaucoup de philosophie, en me disant que c’était une porte qui se refermait et d’autres qui s’ouvraient.

Et l’une d’entre elles, c’est le fameux restaurant Cantina Francesa, que vous n’avez pas pu ouvrir dans la guerre des restos mais qui ouvre finalement ce mois-ci à Paris. C’est quoi, la folle histoire de ce projet ?

Pour le coup, avec Jean et Mathieu, on était hyperfrustrés de ne pas pouvoir l’ouvrir dans l’émission. On avait pris tellement de plaisir à mettre en place le concept de ce restaurant qu’on a finalement décidé de lui faire voir le jour dans la vraie vie. Au moment de l’épreuve, on ne savait absolument pas qu’on finirait par l’ouvrir, mais suite à un concours de circonstances, avec Bérangère Fagart, autre candidate de cette saison, qui fermait temporairement son restaurant, tout s’arrangeait parfaitement pour qu’on y installe notre Cantina Francesa.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

J’ai pas mal de projets qui arrivent, notamment en France. Je cuisinerais bientôt au bistrot Top Chef, j’ai un dîner à quatre mains de prévu avec ma copine Sarika. Et finalement, c’est encore un secret, mais je serai de retour sur Paris en septembre pour un beau projet pour lequel je serai derrière les fourneaux.