Pour la Saint-Valentin, versez vos plus belles larmes devant l’insoluble triangle amoureux de Take This Waltz

Pour la Saint-Valentin, versez vos plus belles larmes devant l’insoluble triangle amoureux de Take This Waltz

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Par Manon Marcillat

Publié le

Michelle Williams nous fait ressentir l’injustice du désir, qui souvent ne s’explique pas, comme rarement à l’écran.

Dans la catégorie “l’amour c’est trop injuste”, on demande Take This Waltz de Sarah Polley à la barre. Quelques années avant de réaliser le film d’ensemble oscarisé Women Talking, la cinéaste canadienne filmait un triangle amoureux bouleversant et intimiste pour nous livrer sa vision, bien pessimiste, du couple, du désir et de l’amour.

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Tragiquement banal, le film débute dans un aéroport, sous les auspices rassurants d’une banale comédie romantique et n’oublie pas l’incartade de rigueur à la fête foraine, mais on y pleure surtout beaucoup. Take This Waltz n’est jamais sorti en salles en France et pour la Saint-Valentin, une séance de rattrapage s’impose.

Pour son premier long-métrage en tant que réalisatrice, Sarah Polley avait décidé de filmer l’amour confronté à la maladie d’Alzheimer, “une histoire terrible qui arrive à tant de familles mais que je n’ai jamais vu raconté dans un film aussi convaincant et attendrissant”, nous disait Wim Wenders dans son Vidéo Club à propos de Loin d’elle. Dans Take This Waltz, elle capture une nouvelle forme de bouleversement, partagé par tant d’autres, dans à nouveau un couple canadien contemporain, mais beaucoup plus jeune.

Dès les premières minutes du film, les questionnements qui tourmenteront Margot (Michelle Williams) et nourriront tout le film sont posés. Journaliste en freelance, elle assiste à la reproduction d’une scène de châtiment public pour cause d’adultère dans la forteresse de Louisbourg en Nouvelle-Écosse, afin d’en rédiger la brochure touristique. Si l’adultère n’est plus passible d’une telle sanction, la douleur qu’il peut provoquer, même chez celui qui le commet, peut parfois s’en rapprocher, nous dit donc la réalisatrice.

C’est là que Margot va rencontrer Daniel (Luke Kirby), qu’elle retrouvera dans l’avion du retour, où ils partageront des conversations intimes, de celles que l’on peut avoir avec des inconnus que l’on pense ne jamais revoir, pris au piège de la faille spatiotemporelle des trajets en avion. C’est donc dans les airs que Margot confie à Daniel avoir en horreur les correspondances car elle déteste les entre-deux — “I don’t like to be in between” — raison pour laquelle elle se déplace assistée d’une chaise roulante dans les aéroports.

Dans le taxi, les deux voisins d’avion comprendront qu’ils sont également voisins de rue. Après l’intimité et l’alchimie évidente succédera la gêne, comme celle que l’on peut éprouver lorsqu’on marche avec quelqu’un après lui avoir dit au revoir. Car Margot est mariée à Lou (Seth Rogen), un auteur de livres de cuisine sur les différentes techniques de cuisson du poulet, avec qui elle vit un amour tendre, voire enfantin, fait de rires, de taquineries un peu niaises et de surnoms idiots. Alors que Seth Rogen pourrait être l’amoureux pataud et un peu grossier, gimmick qu’il a souvent adopté à l’écran, il est ici charmant et réconfortant bien que parfois légèrement irritant.

Leur relation maritale est une des plus belles réussites du film car si l’amour que Margot nourrit pour son mari est bien différent du désir qu’elle éprouve pour son nouveau voisin, les moments qu’ils partagent sont tout aussi jolis que ceux, volés, avec Daniel. Et c’est cette équation quasi insoluble qui fait de Take This Waltz un triangle amoureux douloureusement ordinaire.

Margot vit une relation aussi intense que platonique avec son voisin — qui nous régale de la plus belle des scènes de sexe sans sexe — mais continue également d’essayer de faire vivre sa relation avec Lou, aussi empreinte d’amertume quand les rires s’arrêtent et que ce dernier ne cesse de se soustraire à ses tentatives de séduction. “Ça demande du courage de te séduire”, avouera-t-elle à son mari, dans une séquence infiniment triste, portée par une Michelle Williams que l’on sait particulièrement convaincante dans la partition du déchirement amoureux depuis Blue Valentine.

Les joues sont rouges, les nuques sont moites dans la chaleur étouffante de l’été torontois et les rues colorées de Little Portugal. On ne sait pas quel risque va oser prendre celle qui déteste les entre-deux mais on sait qu’une, deux ou trois personnes y perdront des plumes. Si Margot est coincée entre ces deux hommes, jamais elle n’est passive et mènera la danse jusqu’au bout. Et sans avoir véritablement compris comment la réalisatrice est parvenue à mettre en images — et l’actrice en émotions — l’injustice du désir qui bien souvent ne s’explique pas, on a versé nos plus belles larmes, presque salvatrices, devant Take This Waltz.

Take This Waltz est disponible sur Mubi.