Pourquoi cette pub que vous avez vue dans le métro choque et divise la Toile ?

Pourquoi cette pub que vous avez vue dans le métro choque et divise la Toile ?

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© Cheerz

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Elle est placardée partout dans Paris, et elle n’a pas été bien accueillie.

Vendredi, on se baladait sur Twitter/X, et boom, on tombe sur le tweet d’une certaine Sophie, qui met en avant une pub pour Cheerz, une entreprise d’impression photo. À première vue, rien de choquant, une maman pose innocemment avec son bébé dans les bras. Sauf que ça fait l’effet d’une douche froide quand on lit les inscriptions qui y figurent sous forme de bullet points, à gauche : “Fausse couche, fausse couche, Zoé. Chaque sourire a une histoire.” La twitta (ou “Xa” ?) a légendé ainsi : “Euh, on en parle de l’atrocité de cette publicité ?”. Et ajoute : “Qui a validé ça ?”, en mentionnant la marque à l’origine de la publicité.

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On passe notre chemin, on part en week-end en se disant que cette réaction n’était peut-être qu’un micro-phénomène épinglé autour d’une campagne déterrée des limbes d’Internet. Le tweet ne comptabilisait d’ailleurs pas encore énormément de réactions quand on est tombées dessus. Mais il se trouve que cette pub ne nous a pas lâchées du week-end, et qu’elle a commencé à nous déranger, nous aussi. Cette image était placardée à de nombreux arrêts du métro parisien, notamment autour des 3e et 18e arrondissements, et dès qu’on sortait, on tombait nez à nez avec Zoé, sa maman et ses fausses couches.

Cette campagne, bâtie autour du sourire, est le fruit de l’agence Steve. Des déclinaisons sont aussi affichées dans le métro, mêlant des thématiques diverses et variées : le sourire d’une femme ayant survécu à un grave accident, qui vient de finir de courir un marathon ; celui d’une lesbienne, à la Marche des fiertés, qui a fait son coming out et a trouvé l’amour ; celui d’une enfant à la mer, ravie d’avoir enfin sa glace ; celui d’un enfant qui vient de perdre une dent de lait ; ou celui d’une femme émue qui vient de dire oui à son ou sa futur·e époux·se.

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Pour et contre

Après avoir douloureusement affronté pendant trois jours cette publicité chaque fois que nous sortions, nous revenons au tweet de Sophie, où de nombreuses réponses se sont ajoutées. Et on se dit qu’il ne s’agit pas d’un micro-phénomène d’Internet, puisque la pub a efficacement envahi Paris, entre-temps. La publicité choque globalement mais elle divise, surtout. “Certaines de ces pubs sont des bonnes idées mais celle-là est d’une violence”, commente Sophie, qu’un·e autre internaute questionne : “Pourquoi ? Les fausses couches ne sont pas une réalité ? Des mères ne connaissent pas ça avant d’avoir un enfant ?”

“Je ne comprends pas l’indignation non plus. Le sourire sur la photo vient du fait de l’arrivée de la petite Zoé qui a été semée d’embûches avec deux fausses couches. Le passé est douloureux mais la finalité est heureuse. Ma femme ayant fait une fausse couche avant d’avoir ma fille, ça me parle”, surenchère un·e autre. “Mais quel est le rapport avec le produit ? Elle ne va pas mieux [grâce au] site d’impression, par contre, la violence du sujet peut faire du mal à beaucoup de personnes qui passent devant”, argumente Sophie.

Les arguments contre pleuvent : “Je suis outrée” ; “Je suis abasourdi. Quel enfer” ; “Dites-moi, par pitié, que c’est un mauvais fake !?” ; “Mais ils se rendent compte qu’il y a littéralement des gens qui vont chialer de tristesse sans pouvoir se contrôler en tombant sur cette merde ?” ; Effectivement, c’est d’un mauvais goût… C’est comme s’ils montraient une photo de famille avec les grands-parents au centre et qu’ils disaient : ‘Gardez un bon souvenir de vos grands-parents décédés’… Même logique, c’est pas malin… C’est une fausse bonne idée” ; “Avec Cheerz, vos fausses couches s’effacent en un sourire. Merci Cheerz ! (Mais quelle angoisse)” ; “Mais c’est pas le sujet ! Les impressions photo n’aident pas à faire des bébés ! Par contre, ça utilise de souvenirs traumatiques ou des situations douloureuses pour vendre un produit hors sujet”, recadre souvent Sophie.

Face à des arguments pour : Atroce ? D’un côté, on réclame des pubs avec du rouge pour les tampons, on veut pouvoir parler de vulve pour vendre du savon intime mais là on s’offusque ? Les fausses couches, ça existe, c’est trauma mais c’est la nature aussi. Il y a plusieurs lectures ici, à chacun d’y réfléchir en adulte” ; “Pourquoi parler d’atrocité quand on parle de fausse couche ? Le problème est de dramatiser cela. 15 % des grossesses = fausses couches. Étant médecin, je trouve dommage de dramatiser et de créer une pression mentale à toutes les femmes qui ont vécu/vivront ça. Il faut plutôt donner du courage et de l’espoir” ; “Non parce que dans chaque fausse couche, on perd une projection. On perd un bébé idéalisé. On se perd dans une projection. On doit étouffer l’amour qui est né. Non, ça me parle. J’ai fait tellement de fausses couches avant d’avoir à mon tour une Zoé (qui veut dire ‘la vie’), c’est beau” ; “Non mais c’est une étape sur ton parcours. Je comprends le cheminement. Et que grâce à Cheerz, tu peux avoir ces souvenirs facilement”.

Les limites du trauma marketing

Si certaines voix s’élèvent pour dire, à raison, qu’il faut parler davantage des fausses couches et ne pas en faire un tabou sociétal, d’autres pointent du doigt l’indélicatesse de la forme, et surtout le média et la diffusion employés : une pub pour des tirages photo imprimée en format 8 ou 12 mètres carrés, sur des quais de métro très fréquentés. C’est très intrusif, et il ne s’agit pas d’une campagne de sensibilisation d’une association ou du ministère de la Santé, mais bien d’une campagne avec l’intention, comme toutes les pubs, de vendre.

L’accumulation sous forme de bullet points assénant d’un rythme binaire le terme “fausse couche” semble froide et peut heurter les personnes endeuillées ayant vécu la perte d’un bébé ou traversé une fausse couche. Oui, ces personnes prennent le métro aussi, et n’ont peut-être pas envie d’aller au travail, la boule au ventre, avec une pub qui leur rappelle un récent ou ancien traumatisme. Surtout pour vendre des tirages photo, on peut se demander si c’est vraiment utile.

Les pubs dénonciatrices, il y en a, certaines ont même été pionnières dans l’Histoire. Les campagnes choquantes, ça existe et c’est efficace, mais il ne s’agit pas là d’une campagne de la Fondation Abbé Pierre ni d’une pub pratiquant l’autodérision pour dénoncer le sexisme. Encore une fois, c’est pour imprimer des photos, seulement, et ça surfe sur du trauma marketing. Le slogan de la pub, “chaque sourire a une histoire”, n’est peut-être pas le plus adapté à la situation non plus. Nos réactions sont plus de l’ordre du froncement de sourcils que du sourire.