Pourquoi les marchands d’art français grondent contre ce nouveau règlement ?

Pourquoi les marchands d’art français grondent contre ce nouveau règlement ?

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© Andrew Neel/Unsplash ; © Cullan Smith/Unsplash

Ce règlement visait à l’origine à lutter contre le financement du terrorisme par un trafic illicite d’objets d’art.

Le Syndicat national des antiquaires (SNA) a dénoncé à Paris un règlement européen sur l’introduction et l’importation de biens culturels qui risque, selon leurs dires, d’être “très dommageable” aux marchand·e·s d’art et collectionneur·se·s européen·ne·s. Ce règlement, qui visait à l’origine, selon la Commission européenne, à lutter contre le financement du terrorisme par un trafic illicite d’objets d’art, est entré en vigueur en 2019. Son application définitive, qui nécessite l’installation d’un système informatique centralisé, attendra fin juin 2025.

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Ce texte va obliger tout importateur d’objet d’art “créé ou découvert en dehors de l’UE” à apporter les preuves qu’il a été exporté légalement depuis son pays d’origine. Autant dire “l’impossible”, notamment pour les antiquités et pièces archéologiques extra-européennes, ont dénoncé des spécialistes devant la presse. Pour l’avocat Pierre Valentin, cela “risque de décourager fortement l’importation dans l’UE de ces biens culturels, les collectionneurs et marchands français mais aussi étrangers qui viennent à Paris pour les foires d’art, par exemple”.

“Si un objet est vendu à un Français par un marchand américain, ce dernier aura l’obligation de demander une licence d’importation avec un problème de délais. Et il ne voudra sans doute pas prendre le risque de se la voir refuser avec saisie et confiscation”, ajoute-t-il. Pour ce spécialiste, “certains marchés risquent d’être déplacés vers Londres, New York ou la Chine, ce qui aura aussi un impact sur l’emploi”.

Depuis 2017, le code du patrimoine oblige la France à interdire l’importation de biens exportés illégalement mais le règlement européen “va beaucoup plus loin en réclamant une licence d’importation ou une déclaration d’importateur qui supposent de fournir des documents parfois inaccessibles ou impossibles à obtenir”, explique Me Valentin. “L’offre va complètement chuter. Cela signifie clairement un appauvrissement du patrimoine européen en matière d’art extra-européen, avec à la clé une baisse considérable des ventes de ces objets” au sein de l’UE, a estimé Christophe Hioco, spécialiste d’art asiatique et trésorier du SNA.

Si les antiquités et pièces d’archéologie extra-européennes sont surtout concernées, les arts précolombien, chinois, japonais, indien ou islamique, les fossiles, les icônes russes ou les tableaux impressionnistes états-uniens sont également visés, selon le SNA. Les musées, touchés moins directement grâce à des exemptions, seront également concernés “en cas de donation ou legs avec des biens tombant dans le champ d’application”, selon le syndicat.

“Le marché de l’art est vulnérable face à des gens qui, dans certains cas, savent que les œuvres sont illégales mais n’iront pas le vérifier”, dit à l’AFP Vincent Michel, professeur d’archéologie à l’université de Poitiers et spécialiste du trafic illicite d’antiquités au Proche-Orient. Selon ce spécialiste, qui forme les forces de l’ordre et les douaniers, “un trafic d’ampleur d’antiquités pillées”, qu’il se refuse à chiffrer, touche ce qu’il nomme “les pays source”, comme l’Irak, la Syrie, la Libye, le Yémen, l’Afghanistan ou l’Égypte, ce “qui nous invite à la plus grande vigilance”.

“On est dans une logique monétaire avant tout, les antiquités pillées peuvent circuler plus facilement que la drogue ou les armes et leur trafic concerne autant la petite délinquance que le grand banditisme et le financement du terrorisme”, ajoute-t-il, en citant plusieurs exemples comme l’organisation État islamique, le Hezbollah, les talibans, les attentats du 11 septembre 2001, dont “l’un des cerveaux avait tenté de revendre des antiquités afghanes à Hambourg en 1999”.