Pourquoi l’image créée par IA “All Eyes on Rafah” continue d’agiter les réseaux ?

Pourquoi l’image créée par IA “All Eyes on Rafah” continue d’agiter les réseaux ?

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© Amirul Shah

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Par Lise Lanot

Publié le

Deux créateur·rice·s se querellent l’auctorialité de l’image générée par une intelligence artificielle et partagée près de 50 millions de fois sur Instagram.

L’image générée artificiellement aurait été partagée près de 50 millions de fois sur Instagram. On y voit un camp dont une partie est plongée dans l’ombre et où s’élève, en arrière-plan, une ligne de montagnes. Des milliers de baraquements alignés composent la majeure partie de l’image et, au centre, les mots “All Eyes on Rafah” (“Tous les regards sur Rafah”) se dressent en lettres capitales.

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Générée par une intelligence artificielle, l’image a été relayée en masse après une nuit particulièrement insoutenable, le 26 mai, lors de laquelle Israël a bombardé un camp de personnes déplacées à Rafah, tuant 45 personnes et en blessant 249, selon le ministère de la Santé du Hamas. Après une vague de condamnations à l’international, Benjamin Netanyahou avait qualifié les bombardements d’erreur tragique”.

L’image d’Amirul Shah, postée en mai 2024, plus de deux mois après Zila Abka.

Désormais, deux Malaisien·ne·s se disputent l’auctorialité de l’image en question : Zila Abka, une professeure de sciences amatrice d’art généré par IA, et Amirul Shah, étudiant et photographe. L’image, qui a été notamment partagée par des célébrités telles que Bella Hadid, Lewis Hamilton ou Dua Lipa, vient du compte d’Amirul Shah. Pourtant, Zila Abka a créé une image drôlement similaire avec l’outil Image Creator de Microsoft, a-t-elle rapporté à NPR.

Sa création date de février et est inspirée d’une prise de parole, datant du 14 février 2024, de Rik Peeperkorn, représentant de l’Organisation mondiale de la Santé à Gaza, qui insistait sur le fait que “tous les regards” (“All Eyes”) devaient être tournés vers Rafah. L’ONU parlait alors des “hostilités et de la crainte d’une offensive à grande échelle menée contre Rafah”. La version d’Amirul Shah, qui réfute s’être inspiré de la création de sa compatriote, est légèrement dézoomée et ne fait pas apparaître les mentions du nom de Zila Abka et du fait que l’image soit “AI generated” – générée par une intelligence artificielle –, ce qu’a regretté la professeure de sciences face au nombre de partages.

L’image de Zila Abka fait sur Image Creator en février 2024.

Les deux créateur·rice·s n’en démordent pas, mais rappellent auprès de NPR que l’important réside dans le message diffusé plutôt que dans le nom de son auteur·rice : “Si le but est de sensibiliser les gens, alors je devrais remercier la personne en question”, a déclaré Zila Abka, tandis qu’Amirul Shah affirme que son intention n’était pas de gagner en “popularité” : “Je voulais rendre justice aux Palestiniens qui se trouvent là-bas [à Rafah, ndlr].”

Une image qui fait débat

Cette viralité n’a cependant pas été louée à l’unanimité. Certain·e·s internautes regrettent le fait qu’après sept mois de bombardements israéliens, ce soit une image générée artificiellement, “aseptisée”, qui inonde les réseaux alors qu’il existe pléthore d’images réelles partagées directement par les Gazaoui·e·s, puisque, comme le déclarait l’avocate irlandaise Blinne Ní Ghrálaigh le 11 janvier 2024 devant la CIJ : “C’est le premier génocide où les victimes diffusent leur propre destruction en temps réel.”

L’actrice Rachel Zegler (Hunger Games, West Side Story) a par exemple partagé sur une story Instagram son ressenti : “Je trouve ça sincèrement dérangeant que le seul moyen que tant de personnes se soient soudainement senties à l’aise de partager leur soutien aux vies palestiniennes soit via une image générée par une IA qui ne frôle même pas les horreurs que ces êtres humains sont en train de vivre.”

De l’autre côté, certain·e·s estiment que le fait que l’image soit artificielle et “aseptisée” a permis d’éviter la censure des réseaux sociaux, et donc qu’elle puisse être aussi massivement partagée. Selon Anastasia Kavada, professeure spécialisée dans les médias à l’université de Westminster citée par la BBC, et Felix Simon, chercheur à l’université d’Oxford cité par NPR, c’est également la temporalité de la publication (après la nuit du 26 mai, qui a fait réagir les médias et la communauté internationale) qui a facilité cet engouement. La BBC rapporte que, pour Anastasia Kavada, la publication est “devenue virale à un moment où de nombreuses personnes se sont senties ‘outrées’ à l’annonce des frappes sur le camp de Rafah”.