À travers les 254 pages de son magazine, Wendy Huynh nous fait voyager dans les banlieues parisiennes avec des photos et des reportages très personnels.
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Lors de son année scolaire 2016, Wendy Huynh finalise un projet de fin de cycle qui lui tient particulièrement à cœur : elle y parle de la banlieue, un endroit dans lequel elle a grandi, qu’elle a détesté et qu’elle a finalement apprivoisé, jusqu’à l’aimer. Le projet prend une telle importance qu’elle décide d’aller plus loin, de faire participer des artistes des alentours et de publier Arcades, un magazine sur la culture et le mode de vie des banlieues.
Résultat, un magazine sous forme de livre d’art qui nous fait entrer dans le quotidien de jeunes et de moins jeunes que Wendy a suivis, a appris à connaître plus qu’elle ne les a simplement pris en photo. Les photos, shootées à l’argentique, mêlent portraits, paysages, scènes de vie quotidienne et entretiens écrits avec certains des modèles choisis par la photographe.
Cheese | Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Wendy Huynh | Je m’appelle Wendy Huynh, j’ai 24 ans et je suis photographe. J’ai grandi dans la banlieue Est de Paris près de Marne-la-Vallée, à Torcy puis à Bussy-Saint-Georges, une ville résidentielle à 30 km de Paris. Après une année de prépa art à Paris, je suis allée à la Central Saint Martins de Londres, en Fashion Communication with Promotion. Je suis sortie diplômée en juillet 2016, et c’est à ce moment-là que j’ai lancé Arcades.
Comment as-tu lancé Arcades ?
À la base, c’était mon projet de fin d’année à la Central Saint Martins : chaque élève devait produire son propre magazine. J’ai voulu aller plus loin dans le projet et j’ai lancé une campagne Kickstarter afin de récolter des fonds et en imprimer 300 copies. Je me suis occupée seule du concept, de la production, de la réalisation du contenu et de la maquette du magazine car je voulais que le premier numéro reflète pleinement mon esthétique et ma vision. C’était un travail énorme et un gros challenge, parce que je n’ai rien appris de très technique ou de très concret à l’école, il a donc fallu que j’apprenne tout par moi-même.
J’ai tout de même été bien entourée, notamment de mes amis de la Saint Martins, de mes amis stylistes (Floris Bénéjam, Yeon You), photographes (Sarah Louise Stedeford, Alyssia Lou) et illustrateurs (Honey Forestier, Héléna Kadji) qui ont eux aussi contribué à ce premier numéro. J’ai aussi rencontré des personnes qui trouvaient le projet intéressant, comme le typographe Mattéo Ménégaux qui a réalisé le logo d’Arcades, et Chaï Boun, qui m’a aidée sur la soirée de lancement à Paris et la distribution du magazine par exemple.
Quelle est la fréquence de publication du magazine ?
Le premier numéro est sorti l’été dernier et je travaille actuellement sur le deuxième numéro, consacré à la banlieue de Londres, qui sortira fin avril. Je suis tentée de dire qu’Arcades est une publication annuelle. Le premier magazine fait 254 pages, je le vois plus à la limite entre un magazine intemporel et un livre, mais si je peux en sortir deux ou trois dans l’année, je le ferai.
Peux-tu nous expliquer l’identité d’Arcades ?
Arcades est un magazine photo qui parle de la culture et de la vie en banlieue. Chaque numéro traite d’une banlieue différente d’un point de vue documentaire. Le premier numéro est consacré à la banlieue parisienne, avec des interviews de jeunes artistes qui viennent ou qui travaillent autour de la banlieue, des reportages photo en immersion dans la vie de plusieurs jeunes et des éditos mode et documentaires où je mets en avant des pièces de designers.
Je voulais vraiment suivre le mode de vie typique d’une personne habitant aux alentours d’une grande ville et amener une expérience sociale aux lecteurs. La quasi-totalité des photos du magazine a été shootée à l’argentique. J’ai fait ce choix parce qu’en suivant la routine de plusieurs personnes en banlieue, j’en ai appris beaucoup sur elles. Le fait de les shooter à l’argentique permet de se concentrer encore plus sur l’expérience sociale en elle-même, et pas sur le rendu et la perfection des photos.
L’argentique m’a permis de créer une relation plus qualitative avec le modèle, de toujours rester concentrée sur l’atmosphère et la lumière qui règnent autour. C’est aussi pour cela que j’ai tenu à garder des planches contact dans le magazine, pour mettre en avant cette pratique photographique et pour le côté visuel et graphique.
“Un regard honnête sur la banlieue de nos jours”
Pourquoi avoir choisi la banlieue comme point central de ton magazine ?
J’ai grandi en banlieue et, adolescente, je détestais ça. Je me sentais loin de tout ce qui pouvait se passer à Paris, alors que je n’étais qu’à 30 minutes de la capitale en voiture. Je me souviens qu’en prépa art, je n’osais pas dire à mes camarades que je mettais une heure pour venir en cours, parce que toute la classe habitait dans le coin. Ce n’est pas que j’avais particulièrement honte de la banlieue, mais je voulais montrer que moi aussi je faisais partie de ce “centre”, de la capitale.
C’est en faisant mes études à Londres que j’ai commencé à m’intéresser à la ville dans laquelle j’ai grandi. Bussy-Saint-Georges, c’est une ville-dortoir, calme et chiante, où toutes les maisons se ressemblent, située à proximité du monde parfait de Disneyland. J’ai grandi avec tout ce dont j’avais besoin autour de moi, c’est-à-dire des écoles à 5 minutes de la maison, un centre commercial pour faire du shopping, des grandes maisons pour faire la fête le week-end : ma ville s’auto-suffisait.
J’ai réalisé que cette façon de vivre était quelque chose d’unique et de très différent de la capitale. Les “banlieusards” ont leur façon de s’habiller, de parler, de sortir, qui est propre à leur ville. Ils ont leur propre culture. La différence entre une grande ville et sa périphérie peut être subtile, mais elle est tellement intéressante.
On me sort souvent comme référence de la banlieue le film de Mathieu Kassovitz, La Haine (1995). C’est un film que j’adore, mais ce n’est plus tellement ça, la banlieue, aujourd’hui. Elle n’est pas seulement dure et pauvre comme la plupart pourrait le penser, elle est aussi résidentielle, parfois au décor surréaliste comme on le voit à Cergy. La banlieue c’est avant tout une diversité culturelle, sociale et esthétique et le but d’Arcades est de le montrer avec honnêteté et transparence.
Où habites-tu aujourd’hui, toujours en banlieue ?
Après mes études à Londres, je suis retournée vivre chez mes parents en banlieue à Bussy-Saint-Georges, surtout pour économiser quelque temps. Je pense que si j’avais financièrement les moyens (tout en sachant que je pouvais vivre sans loyer à 35 minutes de la capitale) et que j’avais trouvé un job qui me plaisait, j’aurais essayé de me prendre un appart’ sur Paris ou en banlieue plus proche, comme Montreuil.
La banlieue, c’est un sujet extrêmement intéressant à exploiter, mais c’est aussi une certaine réalité quand on y vit. Les RER sont toujours en retard ou supprimés, il n’y a plus de train à partir de minuit, et en ce qui concerne Marne-la-Vallée, il ne s’y passe pas toujours grand chose.
Heureusement que certaines banlieues se développent au niveau culturel, avec par exemple le musée d’art MAC-VAL à Vitry-sur-Seine, le centre d’art contemporain Le Crédac à Ivry-sur-Seine qui est installé depuis 2011 à la Manufacture des Œillets (où l’on trouve aussi des ateliers de création et des ateliers d’artistes), le Chinois à Montreuil pour faire la fête et le réseau d’art contemporain le Tram qui organise des sorties en autocar avec un guide, pour visiter différents centres d’art en banlieue et sur Paris.
Quelles ont été tes inspirations quant à ce projet ?
Je me suis beaucoup inspirée de la démarche documentaire de Yan Morvan et de son témoignage sur les gangs en banlieue, du regard de photographes tels que Luc Choquer sur la France et ses habitants, ou encore les portraits de Charles Fréger et de Guy Hersant. J’ai aussi regardé beaucoup de films représentant la banlieue, notamment ceux d’Éric Rohmer comme Les Nuits de la pleine lune, qui retranscrit merveilleusement bien l’ennui qui règne dans la ville de Lognes, ville nouvelle de Marne-la-Vallée à l’est de Paris.
Ma plus grande source d’inspiration reste ce qui se trouve autour de moi. Je me suis beaucoup promenée dans différentes villes de banlieue, j’ai écouté les conversations des gens dans le RER et observé leur tenues et leur façon de se comporter et de parler. Je voulais faire un magazine qui parle de la banlieue actuelle, il était donc normal pour moi en premier lieu de sortir voir ce qui se passait de mes propres yeux.
Qu’espères-tu apporter avec Arcades ?
J’espère apporter un regard honnête sur la banlieue de nos jours, une réflexion sur les modèles représentés dans la presse, montrer qu’il y a des gens dont personne ne parle qui sont dix fois plus intéressantes physiquement et moralement que les mannequins que tout le monde s’arrache. Montrer qu’il est possible de créer un projet de A à Z en s’inspirant de ce qui se trouve autour de soi, quand on habite dans une ville où on se fait chier. Inciter les gens à s’intéresser à la photographie et permettre aux jeunes que je prends en photo d’être fier d’avoir leur tête imprimée dans un magazine.
As-tu des spots en banlieue à conseiller niveau photo ?
Je conseillerais tous ceux que j’ai shootés pour le magazine ! Mes trois préférés sont :
- Cergy et son Axe Majeur, une œuvre incroyable et très étrange composée de douze stations, qui divise la ville en deux.
- L’étrange rond point de Champs-sur-Marne, sur lequel sont construites trois petites pyramides et des mini-sphinx.
- Créteil, pour la diversité de ses quartiers : la foule de skaters sur la place de la Mairie, le développement de nouvelles résidences modernes dans le quartier du “Nouveau Monde”, un énorme lac, la Maison des Arts et de la Culture de Créteil, le quartier du Mont Mesly, avec l’Allée du Commerce (qui voit ses commerces fermer les uns après les autres, malgré son nom), et bien sûr le centre commercial Créteil Soleil !
De quoi aimerais-tu parler dans le prochain numéro ?
Dans le prochain numéro, j’aimerais explorer les mêmes thématiques mais dans une ville ou un pays différent. J’aurai aussi une équipe derrière moi, constituée de mes amis proches pour m’aider sur les prochains numéros. Je ne vois pas seulement Arcades comme un magazine print mais une plateforme qui exploite le sujet de la banlieue en général.
Pour la sortie du premier numéro, 100 CDs ont été produits en collaboration avec Hood Wood, un collectif de musique issu de Bussy-Saint-Georges, qui a réalisé des tracks exclusives pour Arcades. Les CDs ont été vendus lors de la soirée de lancement du magazine à la boutique Blackrainbow et sont toujours en vente sur le site du magazine. Le but d’Arcades est de donner une vision de la banlieue à 360 degrés, à travers différents supports médiatiques et ça m’a paru logique d’avoir du son pour ce premier numéro.
Il y a plein d’autres projets que je prévois de sortir cette année, dont une exposition autour de la banlieue, des événements, des collaborations avec des vidéastes et aussi développer des produits et des goodies autour de la banlieue !
Vous pouvez retrouver Arcades Magazine sur le site du magazine, Facebook et Instagram.
Article co-écrit avec Juliette Geenens.