Impeccable moitié du duo de La Pampa, premier film bouleversant d’Antoine Chevrollier vu au Festival de Cannes cette année, Sayyid El Alami était dans nos radars depuis cette séance riche en émotions, bouleversée par le regard fraternel qu’il posait sur cette histoire tragique, tout en sachant s’effacer pour laisser la place à Jojo, le vrai héros du film. Mais des agents récalcitrants avaient eu raison de notre rencontre.
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Dans Leurs Enfants après eux, il a offert tout son panache au personnage d’Hacine, petit voyou sans grande envergure dans les pages de Nicolas Mathieu, devenu un flamboyant antagoniste, dangereux mais émouvant, devant la caméra des frères Boukherma. C’est à cette occasion que nous l’avons rencontré, pour remonter le fil de sa courte mais déjà passionnante carrière.
Très jeune, sur les terrains de foot de Colomiers, Sayyid El Alami s’entraîne au ballon rond puis peaufine ses techniques en regardant des vidéos sur YouTube. Né en 1998 et enfant d’Internet, il réitérera cette même méthode d’apprentissage pour le cinéma, en visionnant d’abord des interviews d’acteurs, avant de s’intéresser aux films en tant qu’œuvres artistiques. “Plus jeune, je regardais beaucoup d’interviews et c’est en découvrant des making of et des behind the scene que tout ça est arrivé.”
En 2010, il est alors adolescent quand débarquent sur nos écrans des flots de séries américaines qui seront une porte d’entrée sur sa cinéphilie et une nouvelle école pour cet acteur autodidacte, jamais passé par la case conservatoire ou Cours Florent mais par les cours de théâtre de sa MJC de quartier puis par l’association 1 000 visages d’Houda Benyamina. “J’ai été davantage bercé par les séries car c’était mon époque. La première série que j’ai aimée, c’est H, puis Prison Break et The Wire. J’ai pris un abonnement Netflix très tôt, dès 2014, donc j’ai beaucoup regardé les premières séries de la plateforme comme Orphan Black, Suits, Dexter, House of Cards et Better Call Saul. Dès que j’aimais un acteur dans une série, j’essayais de le retrouver ailleurs.”
Et cinq après avoir souscrit à Netflix, c’est justement une série américaine et création originale de la plateforme qui lancera sa carrière. En 2019, Sayyid El Alami sera retenu pour le rôle de Jibril Medina, un orphelin palestinien qui croise la route d’un Antéchrist des temps modernes, dans Messiah de Michael Petroni.“Je pensais que cette série allait donner une direction à ma carrière, qu’elle allait dessiner la suite et je pensais même que j’allais déménager aux États-Unis pour la saison 2 mais le COVID a tout stoppé, la série coûtait trop cher.”
Messiah fera également l’objet d’une pétition sur Internet qui condamnait ses atteintes à la religion musulmane avant même que les premiers épisodes n’aient été mis en ligne et teintera les débuts prometteurs de l’acteur d’une forme d’amertume. Pourtant, comme si les séries qu’il a dévorées plus jeunes voulaient se rappeler à lui, les propositions continuent de lui parvenir du petit écran et des plateformes et en 2021, il décroche le rôle de Sami Kacem dans l’adaptation française de la série Une si longue nuit, succédant ainsi à Ben Whishaw dans la version originale britannique et à Riz Ahmed dans la version américaine. “Tout m’a ramené aux séries mais je n’ai pas d’explications, peut-être qu’inconsciemment je l’ai voulu et c’est devenu ma réalité. Peut-être que la loi de l’attraction fonctionne vraiment.”
En 2022, c’est Antoine Chevrollier qui le retiendra parmi plus de 500 jeunes acteurs et lui confiera l’immense responsabilité d’incarner Malik Oussekine dans la mini-série sur l’assassinat par la police de l’étudiant franco-algérien qu’il a réalisée pour Disney+, séduit par sa modernité et sa conscience politique. Cette dernière est-elle indissociable du métier d’acteur ? “Je pense qu’elle devrait être indissociable du métier d’humain”, nous répond-il du tac au tac. Voilà qui est dit et on comprend que sa filmographie ne sera donc jamais une posture.
Ce n’était pas prévu mais comme le veulent les lois de l’attraction, il retrouvera Antoine Chevrollier pour son premier long-métrage La Pampa, où il incarne Willy, le meilleur ami d’enfance de Jojo. L’un est brun, l’autre blond et ils ne se quittent jamais. Pour tuer l’ennui, ils s’entraînent à la Pampa, le terrain de motocross du village jusqu’à ce que Willy découvre le secret de Jojo, qu’on ne dévoilera pas ici. “Je connaissais l’existence du projet car c’est mon frère d’amour mais je ne me suis jamais placé. C’est lui qui m’a appelé en dernière minute et qui m’a dit ‘il faut que je sois sûr que ce n’est pas toi’.” Et ce fut lui.
Pour Leurs Enfants après eux, à l’instar de ses deux réalisateurs qui puisent leur inspiration dans leurs nombreux idéaux cinématographiques américains, Sayyid El Alami est lui aussi allé s’inspirer du côté des États-Unis, même s’il incarne une masculinité très moderne à l’opposé de ses modèles, tant dans ses choix que dans sa douceur. “L’acteur qui joue le mieux la colère intérieure pour moi, c’est Al Pacino. J’ai donc été chercher ça dans son regard et dans ses yeux. Il a une intériorité folle qui m’a beaucoup inspirée.”
Dans le livre de Nicolas Mathieu, tous les adolescents sont le produit du déterminisme social, qu’ils en soient les victimes ou les bénéficiaires. C’est surtout de la solitude et du rejet qu’est née la colère d’Hacine, victime d’une double violence, à la fois sociétale mais aussi familiale, quand son père, immigré marocain mû par une volonté absolue d’intégration, va lui aussi faire preuve d’une immense violence par honte envers la délinquance de son fils. “Ça, je l’ai beaucoup observé, c’est omniprésent. Ce que fait un acteur — sans prétention aucune — c’est de reproduire la vie, donc ça passe surtout par l’observation du réel.”
Guidé surtout par l’être humain qu’il veut devenir behind the scene, Sayyid El Alami ira loin, c’est certain, et le rôle qu’il veut absolument décrocher, c’est la meilleure version de lui-même. “Le discours le plus inspirant que j’ai entendu de ma vie c’est celui de Matthew McConaughey quand il a reçu l’Oscar pour Dallas Buyers Club. À la question ‘qui est son héros’, il a répondu que c’était lui dans dix ans. Bien sûr, il ne sera jamais la personne parfaite qu’il souhaite être mais ça lui donne un objectif et un idéal à poursuivre. Je pense que moi aussi, mon idéal c’est Sayyid à 30, 40 ou 50 ans et le meilleur Sayyid possible.”